Défense dans le monde - Otan : la session ministérielle du Conseil atlantique - Grande-Bretagne : préoccupation gouvernementale à propos de la défense du sud-est asiatique - République fédérale d'Allemagne : l'unité allemande et le quadripartisme après le traité fondamental
Otan : la session ministérielle du Conseil atlantique
Le Conseil atlantique réuni à Bruxelles les 7 et 9 décembre a examiné les problèmes posés par la conciliation de la détente en Europe avec les impératifs de la défense commune. La session a été pour l’Alliance l’occasion de faire preuve d’une certaine fermeté et pour les États-Unis de réaffirmer leur engagement sur le théâtre européen.
Les débats sur la détente ont porté sur la nécessité d’une cohésion des pays membres dans les négociations en cours ou en perspective : relations avec la République démocratique allemande (RDA), CSCE (Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe), MBFR (Mutual and Balanced Force Reductions).
Compte tenu des progrès intervenus dans les rapports entre les deux Allemagne – le traité entre Bonn et Berlin-Est a été signé le 21 décembre 1972 – les ministres ont noté la possibilité pour leurs gouvernements respectifs d’établir avec la RDA des relations bilatérales. Ils ont cependant tenu à réaffirmer le soutien de l’Alliance à la politique de la République fédérale (RFA) visant à rendre au peuple allemand son unité par une libre autodétermination.
La même solidarité a été estimée nécessaire dans les négociations sur la CSCE afin que soient arrêtées en commun les dispositions et les directives permettant à une telle conférence d’aboutir à des résultats constructifs. L’importance attachée par les pays occidentaux à la libre circulation des personnes, des idées et des informations a été soulignée – quoique hors des paragraphes consacrés à la CSCE pour ne pas indisposer a priori l’interlocuteur soviétique – dans le communiqué final.
Sans estimer opportun d’établir des liens formels et spécifiques entre la CSCE et les MBFR, les ministres ont indiqué qu’à leur avis les progrès enregistrés dans chacune des négociations auront un effet favorable sur l’autre. Convaincus que la sécurité de l’Alliance est indivisible, ils ont rappelé la déclaration du Conseil à Rome en 1970 : les réductions mutuelles et équilibrées des forces dans la région centrale de l’Europe ne doivent pas nuire à la sécurité d’autres régions.
Les discussions sur la défense ont été dominées par l’examen de la menace que représente l’accroissement quantitatif et qualitatif du potentiel militaire du Pacte de Varsovie qui « par son ampleur et sa nature, note le communiqué, paraît dépasser largement toute exigence strictement défensive ». Les pays des flancs nord et sud de l’Alliance se sont montrés particulièrement inquiets de l’intensification des activités navales soviétiques dans l’Atlantique et la Méditerranée.
Aussi, les ministres réunis en Comité des plans de défense ont convenu que le potentiel de défense de l’Otan ne devait pas être diminué, sauf dans le cadre de réductions mutuelles de forces, équilibrées en importance et dans le temps. À cet égard, ils ont avec satisfaction pris connaissance d’un message du président Nixon précisant que, sous la seule réserve que les autres pays de l’Alliance adoptent une attitude analogue, « les États-Unis renouvellent leur promesse de maintenir et d’améliorer leurs forces en Europe et de ne pas les réduire, à moins d’une action réciproque de la part de leurs adversaires ».
Les mesures décidées le 6 décembre par les dix pays de l’Eurogroup – accroissement d’un milliard et demi de dollars des budgets militaires en 1973, collaboration plus poussée en matière de fabrication d’armements – et la réalisation du projet NADGE (infrastructure électronique de la défense aérienne de l’Otan) dans moins d’un an, ont été notées dans le communiqué final du Conseil comme autant de preuves de la volonté des pays de l’Alliance de mener les négociations futures dans un esprit de réelle association, et à partir d’une position de force effective.
Bref, l’esprit dans lequel s’est tenue la dernière session du Conseil atlantique a, cette année plus encore que les précédentes, fait ressortir que les efforts militaires des pays membres et la recherche de la détente loin d’être incompatibles sont complémentaires et qu’une capacité de défense suffisante et crédible est la condition nécessaire de négociations réalistes sur la sécurité en Europe.
Grande-Bretagne : préoccupation gouvernementale à propos de la défense du sud-est asiatique
Lors du retour au pouvoir des conservateurs, M. Healh avait déclaré qu’il entendait maintenir la présence britannique dans le Sud-Est asiatique et le gouvernement britannique avait été l’élément moteur de l’accord dit des Cinq Nations visant à assurer la sécurité régionale. Les victoires travaillistes lors des récentes élections australiennes et néo-zélandaises ont suscité certaines craintes quant à l’avenir du système mis sur pied.
L’accord dit des Cinq Nations pour la défense de la Malaisie et de Singapour a été signé en avril 1971 entre l’Australie, la Grande-Bretagne, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande et Singapour. Il remplaçait l’ancien traité de défense anglo-malais et réduisait notablement l’engagement britannique. D’automatique qu’il était en cas de crise, celui-ci était maintenant conditionnel et subordonné à des consultations préalables. De plus, les forces britanniques stationnées dans la zone aux côtés des forces des quatre autres pays, étaient ramenées à un niveau modeste (1) l’ensemble étant placé sous les ordres d’un officier général australien. Ainsi, tout en diminuant ses charges dans la zone, la Grande-Bretagne continuait-elle de marquer l’intérêt qu’elle porte à sa défense.
Cependant, l’arrivée au pouvoir des travaillistes en Australie et en Nouvelle-Zélande risque de remettre cet arrangement en question. En effet, si les promesses électorales sont tenues, l’Australie ne remplacera pas le contingent actuellement affecté à la « Force des Cinq Nations » (ANZUK) (2) et les récentes déclarations du Premier néo-zélandais semblent indiquer que celui-ci s’alignera sur la position australienne. Étant donné l’importance du rôle de ces deux nations dans la défense régionale, il serait difficile pour la Grande-Bretagne de maintenir sa présence dans le Sud-Est asiatique à son niveau actuel. Elle devrait ou se résigner au démantèlement de l’ANZUK ou augmenter considérablement ses effectifs.
On comprend qu’une telle perspective inquiète le gouvernement britannique, d’autant que la pénétration soviétique s’est accentuée dans la région alors que l’Otase a quelque peu perdu de sa consistance. Mais la Grande-Bretagne n’est pas seule à prêter attention à la situation. Sans que l’océan Indien soit prioritaire, les États-Unis se préoccupent de l’absence relative de forces alliées dans la zone. Après avoir fourni une contribution essentielle à la construction de la base de Diego-Garcia dans les Chagos (3) qu’ils partagent avec les Britanniques, ils ont aussi décidé depuis le 1er janvier 1972, d’inclure l’océan Indien dans la zone de responsabilité de la 7e Flotte.
Les projets des travaillistes australiens et néo-zélandais embarrasseraient fort la Grande-Bretagne s’ils étaient mis à exécution. Cependant, leur victoire électorale étant assurée, les uns et les autres marquent quelque retrait par rapport à leurs déclarations initiales. Il est probable que cet important problème régional sera évoqué lors du voyage que Lord Carrington doit effectuer dans le Sud-Est asiatique au début de 1973. Par ailleurs, les États-Unis ne peuvent manquer de s’intéresser à son règlement, au moment où ils songent à réajuster leur stratégie dans les espaces du Pacifique et de l’océan Indien.
RFA : l’unité allemande et le quadripartisme après le traité fondamental
Le traité fondamental entre les deux Allemagne et la déclaration quadripartite sur Berlin ont été présentés, le premier, par Bonn, comme sauvegardant la position de l’unité allemande, le second, par les alliés, comme consolidant le quadripartisme. On peut s’interroger sur la réalité de ces avantages en considérant la façon dont la RDA a su interpréter les textes.
À propos du Grundvertrag, l’une des questions parmi les plus importantes pour le Chancelier Brandt, celle de la nation allemande, reste sans solution. En fait, elle n’est véritablement évoquée que par le biais de la mention du désaccord des deux parties à ce sujet. La remise d’une lettre stipulant que le traité n’est pas en contradiction avec l’objectif de la politique de la RFA visant à réaliser l’unité allemande apparaît à beaucoup comme une garantie illusoire. Par ailleurs, M. Honecker, Premier ministre est-allemand a précisé sans ambiguïté dans une interview récente son opposition à toute forme de réunification en même temps qu’il niait toute possibilité de convergence idéologique entre la RFA et la RDA.
Concernant les « allégements humanitaires », on peut relever que la RDA a pris sans tarder et sans trahir la lettre du traité, un certain nombre de mesures qui visent à défendre ses ressortissants contre les séductions de l’Occident et à limiter la circulation des personnes. D’une part, en effet, le SED (Parti socialiste unifié d’Allemagne [NDLR 2023 : communiste]) et ses organisations parallèles ont appelé à une vigilance accrue pendant que les organisations de jeunesse et les écoles recevaient la consigne de développer la « conscience socialiste ». D’autre part, un nombre élevé d’Allemands de l’Est : militaires, fonctionnaires d’État et municipaux se sont vu retirer l’autorisation de recevoir des visites de l’Ouest. La mesure aurait été étendue aux personnels travaillant directement ou indirectement pour la défense. De nombreux collectifs d’entreprises ou d’établissements publiés ont également lancé des campagnes d’émulation socialiste et demandé à leurs adhérents d’appuyer l’action du gouvernement. Si l’on ajoute à ces mesures l’effet des tracasseries administratives à l’occasion de chaque visite, on estime que l’efficacité des « allégements humanitaires » pourrait être réduite de 50 %.
Quant à la déclaration réaffirmant les droits des quatre puissances, il est à craindre qu’elle ne soit surtout symbolique. Peu après en effet, M. Honecker rappelait que l’accord quadripartite de septembre 1971, et par conséquent la déclaration du 8 novembre 1972 elle-même, ne valent que pour Berlin-Ouest. De plus, la reconnaissance de la qualité étatique de la RDA et l’installation prochaine de représentations diplomatiques occidentales à Berlin-Est n’équivalent-elles pas à admettre le fait accompli qui désigne ce secteur de la ville comme capitale de l’État communiste ? Ne risquent-elles pas d’être interprétées comme une reconnaissance implicite de la coupure de Berlin et donc comme un abandon des droits occidentaux ? L’installation de ces représentations dans la capitale de fait de la RDA ne peut manquer d’ailleurs de poser certains problèmes aux Alliés occidentaux et entre autres ceux du rôle de leurs missions diplomatiques et militaires à Berlin-Ouest ainsi que du bien-fondé, aux yeux de Pankow, des patrouilles en secteur oriental dès lors qu’existerait la possibilité d’accréditer des Attachés militaires à Berlin-Est.
Mais l’érosion du quadripartisme n’est pas seulement le fait de la RDA. Tout en continuant à rechercher la garantie et l’appui des Occidentaux chaque fois que cela lui est utile, la RFA montre aussi certaines impatiences de la tutelle alliée et son aspiration à plus d’indépendance. Certaines de ses démarches récentes le montrent assez, telle la question posée du droit de vote au Bundestag et au Bundesrat des représentants de Berlin-Ouest, celles de la représentation de Berlin-Ouest à l’ONU par le gouvernement fédéral et enfin de l’éventuelle conclusion d’un accord aérien avec la RDA qui pourrait comprendre la venue de la Lufthansa à Berlin-Tegel.
En définitive, si le Grundvertrag comporte des côtés positifs et en particulier celui de lancer une certaine dynamique des rapprochements, on peut craindre que la logique communiste ne s’ingénie à les tourner. Par ailleurs, on voit les difficultés qui attendent les Alliés occidentaux à tenter de maintenir ce qui reste du quadripartisme. ♦
(1) Un bataillon renforcé, six frégates, un élément de reconnaissance aérienne, un escadron d’hélicoptères et un sous-marin détaché auprès de la marine australienne.
(2) ANZUK pour Australia, New-Zeland, United Kingdom du nom des trois puissances qui fournissent l’essentiel de la participation alliée.
(3) En effet les travaux à Diego-Garcia sont entièrement effectués et financés par les États-Unis. Leur coût est de 8 millions de livres.