Aéronautique - Les avions d'entraînement militaires à réaction - Vers une modernisation de la défense aérienne des États-Unis - L'US Air Force a tiré les enseignements de la perte des B-52au-dessus du Nord-Vietnam
Les avions d’entraînement militaire à réaction
Bien que l’on n’y trouve pas le caractère prestigieux attaché à la réalisation des matériels aériens les plus sophistiqués, le marché des avions d’entraînement militaire à réaction n’en constitue pas moins un objectif majeur pour l’industrie aéronautique. En effet, dans ce domaine particulier, l’analyse de la conjoncture permet d’envisager l’avenir avec le plus grand optimisme. C’est ainsi que les spécialistes s’accordent généralement à relever de très nombreuses conditions favorables à un développement assez spectaculaire.
1. Tout d’abord, au risque d’énoncer un truisme, il est évident que tant qu’existeront des avions pilotés – et en fait longtemps encore – la nécessité s’imposera d’entretenir des écoles de pilotage dotées d’avions d’entraînement.
2. Les critères de formation des pilotes d’avions de combat, désormais généralement admis, donnent une place essentielle, pour ne pas dire unique, au matériel à réaction qui a peu à peu remplacé l’avion à hélice même dans les disciplines de base. Dans le même ordre d’idée, la mise en service quasi généralisée d’appareils à réaction dans l’aviation de transport et de liaison implique la nécessité de faire subir aux équipages qui les mettent en œuvre une formation de base sur réacteur d’entraînement.
3. L’accession des Nations en voie de développement à la capacité industrielle s’accompagne inéluctablement du développement de leur défense nationale aussi bien en quantité qu’en qualité technique. Cette évolution marque en particulier l’aviation militaire des pays concernés et se traduit par un besoin en pilotes toujours croissant en nombre et en degré de qualification professionnelle.
4. Pour ces mêmes États, la possession d’appareils d’entraînement permet d’acquérir, au moins dans le domaine de la formation de leurs personnels, une indépendance souvent souhaitée et dont les conséquences sont généralement appréciables aussi bien sur le plan politique que sur le plan purement technique.
5. Par ailleurs, l’avion d’entraînement à réaction peut toujours être doté d’un armement qui, bien que souvent léger, n’en est pas moins significatif, comme ont pu par exemple le montrer les Fouga Magister israéliens durant la campagne des Six Jours.
Cette bivalence entraînement-appui tactique présente un intérêt indéniable aussi bien au plan de l’économie réalisée qu’à celui de la souplesse d’utilisation de l’avion. En France, l’Armée de l’air offre une excellente illustration du concept d’emploi de ce type de matériel. En temps de paix, ses avions d’entraînement sont utilisés d’une part en école pour la formation de ses jeunes pilotes et, d’autre part, au sein des escadres de combat pour y servir de complément à l’entraînement normalement réalisé sur avions à hautes performances. En temps de guerre, cette importante flotte, équipée en conséquence, est placée pour emploi sous l’autorité des grands commandements opérationnels pour être utilisée soit en appui soit en défense aérienne.
6. L’avion d’entraînement est relativement bon marché à condition, d’une part, de résister à l’attirance du perfectionnisme de la version tactique et, d’autre part, de pouvoir s’assurer le développement d’une série importante. Si ces conditions sont réalisées, on admet généralement que le coût unitaire s’élève à environ 5 MF, ce qui, par rapport aux avions de pointe, est relativement modeste mais représente pour une série de mille appareils un pactole non négligeable pour un constructeur.
7. Malgré leur simplicité relative, la conception et le développement en série de tels appareils impliquent, pour une nation, la mise en œuvre de moyens de production très évolués. On peut donc penser que pour de nombreuses années encore, le monopole de fabrication restera entre les mains des pays les plus industrialisés. L’évolution se fera progressivement suivant un processus déjà engagé : construction sous licence (Macchi MB326 au Brésil) puis réalisation d’une copie très inspirée (Mitsubishi T2 au Japon) pour déboucher finalement sur un appareil de conception entièrement nationale tel le Hal Kiran indien. En fait, même dans cette perspective, on peut imaginer qu’il reste encore des beaux jours pour les constructeurs des Alpha Jet, HS1182 et autres Delfin.
8. La commercialisation à l’étranger de ces appareils ne devrait pas poser de problèmes d’ordre politique car ils échappent en principe à l’embargo généralement imposé aux matériels évolués ou stratégiques. C’est donc une certaine sécurité qui est offerte aux producteurs pour la diffusion de leurs modèles, sécurité qu’ils ne rencontrent pas toujours dans la réalisation de leurs contrats.
Cette analyse rapide de la conjoncture dans laquelle se place le marché en cause s’appuie nécessairement sur quelques chiffres qu’il convient de citer pour en apprécier les réalités.
Pour l’Amérique du Nord et l’Europe, les possibilités de vente sont actuellement évaluées à environ 2 500 appareils ; on retrouve un volume sensiblement équivalent pour le bloc socialiste, tandis que le Tiers-Monde offre un débouché pour un millier d’appareils.
Finalement si la construction d’avions d’entraînement militaire à réaction constitue déjà une activité prospère pour l’industrie aéronautique, ses perspectives d’avenir sont encore plus favorables. Une telle situation explique la concurrence acharnée que se livrent certaines firmes pour conquérir les nouveaux marchés.
Vers une modernisation de la défense aérienne des États-Unis
L’US Air Force (USAF) espère que le Département de la Défense (DoD) approuvera le plan de modernisation de l’Air Defence Command (ADC), devenu ces dernières années le parent pauvre dans le système militaire de défense des États-Unis.
Le déclin en qualité et quantité de l’ADC, amorcé depuis une quinzaine d’années, s’est encore accentué en raison des restrictions financières liées à l’accroissement de la participation de l’Air Force à la guerre dans le Sud-Est Asiatique.
Actuellement l’ADC correspond en gros au tiers de ce qu’il représentait dans le milieu des années 1950, époque où la menace des bombardiers soviétiques n’était pas considérée comme négligeable.
Ainsi les effectifs sont passés de 240 000 à 100 000 hommes. Le nombre des escadrons de combat opérationnels est tombé de 67 à 7 auxquels il convient d’ajouter, il est vrai, les unités de la Garde nationale travaillant à temps partiel. D’autre part, il n’est pas envisagé de remplacer les cinq escadrons équipés de missiles d’interception BOMARC (Boeing Michigan Aerospace Research Center) qui ont disparu de la panoplie défensive.
Les 116 unités radar de détection à grande distance initialement mises sur pied ont diminué de moitié et les six escadrons de détection et de surveillance en vol ne sont plus que deux. Corrélativement, la détection à basse altitude atteint le minimum acceptable et enfin la couverture radar se limite toujours à la frontière Nord, la côte Est et la côte Ouest.
À ceci s’ajoute un parc aérien composé essentiellement de F-106 Delta Dart de General Dynamics [NDLR 2023 : Convair a été acheté en 1953] aux performances dépassées dans le domaine du rayon d’action, de la vitesse, de l’attente en vol et des équipements, face à des appareils soviétiques tels les avions de reconnaissance MiG-25 Foxbat dont la vitesse de pointe est supérieure à Mach 2,5 et surtout le Tu-22M Backfire de Tupolev, bombardier supersonique à géométrie variable et à grand rayon d’action, dont les quatre prototypes ont terminé leur expérimentation en vol et qui sortent maintenant en production de série.
En regard de cette menace nouvelle des bombardiers soviétiques, le ministre de la Défense, Melvin Laird, a invité l’été dernier le Comité des chefs d’état-major (JCS) à étudier un plan de modernisation de l’ADC. Beaucoup de stratèges civils et militaires s’imaginaient en effet que la raison d’être de l’ADC avait disparu avec la menace des missiles intercontinentaux soviétiques et la disparition provisoire de leurs bombardiers à long rayon d’action. Cette théorie est désormais déjouée par l’apparition du Backfire, d’autant plus que les accords qui peuvent intervenir sur la limitation des missiles stratégiques offensifs au cours des conversations SALT 2, risquent de conduire les Soviétiques à mettre l’accent sur une force de bombardiers stratégiques pilotés qui représenterait une menace extrêmement sérieuse pour les États-Unis dans l’état actuel de leur système de défense aérienne.
Aussi la modernisation de l’ADC couvrira-t-elle trois domaines interdépendants :
– l’acquisition d’un intercepteur piloté amélioré (IMI) ;
– la fabrication en grand nombre, d’avions de surveillance électronique (AWACS) ;
– la construction de radars transhorizon pour la détection et l’alerte à très grande distance (OTHB).
L’AWACS est un Boeing 707 modifié, propulsé par huit réacteurs. Il est capable de la détection et du contrôle de l’interception. L’IMI sera probablement une variante du McDonnell Douglas F-15 Eagle, avion monoplace de supériorité aérienne déjà commandé par le Tactical Air Command.
En réalité, l’Air Defence Command souhaite être doté du Grumman F-14 Tomcat, biplace à géométrie variable, en raison de la grande portée de son radar et de sa possibilité de détection en bas dénivelé et aussi compte tenu de sa capacité d’emport en engins air-air à longue portée. Mais le Chef de l’état-major de l’USAF, le général John D. Ryan, a beaucoup insisté pour que le F-15 soit retenu sous réserve de modification accroissant son rayon d’action et son autonomie d’attente en vol. Son armement consisterait en huit engins air-air Sidewinder et Sparrow.
Ces matériels apporteront des modifications dans l’organisation de l’ADC. À cet égard, le JCS recommande la mise sur pied de 11 escadrons d’IMI. Mais cette proposition est battue en brèche par l’Army qui met en avant le rôle de ses missiles sol-air. Une solution de compromis aboutira à la création de 6 ou 8 escadrons.
Par ailleurs, l’ADC a reçu mission d’assurer la couverture radar de la Floride à la Californie le long de la frontière sud et d’y maintenir quatre unités d’interception en alerte à cinq minutes.
Enfin, si le F-15 est retenu comme futur intercepteur amélioré, il se pourrait que l’on assiste à terme à la suppression de l’ADC et à sa prise en charge par le Tactical Air Command.
Le coût des opérations de modernisation de l’ADC est estimé approximativement à 800 millions de dollars par an pendant cinq ans.
Les ressources budgétaires pour le développement des programmes AWACS et OTHB seront incluses dans le budget 1974 qui sera soumis au Congrès en ce début d’année. En raison de l’indécision qui pèse sur le choix de l’IMI, il n’y aura pas de fonds dégagés pour sa construction dans le prochain budget, mais probablement dans l’année fiscale 1975.
L’Air Force a tiré les enseignements de la perte des B-52 au-dessus du Nord-Vietnam
Les bombardiers lourds B-52 de l’US Air Force ont subi des pertes assez importantes pendant les deux derniers mois de 1972 et les premiers jours de 1973 au cours de leurs missions au-dessus du Vietnam. En effet, l’USAF reconnaît avoir perdu 15 bombardiers du fait des missiles sol-air SAM pendant la période de reprise des bombardements américains du 18 au 29 décembre 1972. À ce nombre, il faut ajouter un bombardier lourd abattu en novembre, donc avant la reprise des bombardements, dans la région de Hanoï Haïphong et un autre B-52 descendu le 4 janvier 1973 après la cessation des bombardements, au cours d’une opération près de Vinh, au sud du 22e parallèle. Ceci porte le chiffre total des pertes à 17 bombardiers lourds pour la période considérée.
Les Nord-Vietnamiens ont déclaré qu’un de ces bombardiers, abattu après la rupture des négociations de Paris du 18 décembre 1972, aurait été le fait d’un chasseur MiG-21 Fishbed. L’USAF affirme de son côté que toutes leurs pertes proviennent des missiles sol-air ennemis et rejette cette déclaration nord-vietnamienne en arguant d’un témoignage d’un pilote volant dans la même formation qui aurait vu le missile heurter l’avion.
En plus de ces pertes de bombardiers lourds, il convient d’ajouter que l’Air Force a reconnu avoir perdu dans le même temps 2 avions chasseurs bombardiers à flèche variable General Dynamics F-111 Aardvark, 2 McDonnell Douglas F-4 Phantom II et un hélicoptère de sauvetage Kaman HH-53C Huskie.
La Navy et le Corps des Marines perdirent entre les 18 et 29 décembre 1972, 2 LTV A-7 Corsair II d’attaque, 2 Grumman A-6A Intruder, un F-4 et un avion de reconnaissance North American Rockwell R4.5C Vigilante.
Ces pertes incitèrent l’Air Force à prendre un certain nombre de mesures parmi lesquelles il faut citer l’intensification des attaques des sites SAM effectuées par biplace Fairchild Republic F-105 Thunderchief et F-4D, tous deux armés d’engins air-sol anti-radar, mais aussi en orientant les raids plus au nord, pour traiter les sites placés à proximité des deux villes de Haïphong et de Hanoï. La défense sol air vietnamienne de ces deux villes était estimée à 26 bataillons de missiles et l’attaque en était rendue difficile car les emplacements de tir étaient changés par les forces nord-vietnamiennes plusieurs fois par jour.
Parallèlement aux mesures tactiques, des mesures techniques furent prises par l’USAF : elles concernaient l’équipement de contre-mesure électronique des bombardiers lourds B-52.
Dès la constatation de la gravité des pertes, le Strategic Air Command (SAC) constitua rapidement un comité qui eut pour mission de chercher les raisons et le pourquoi de ces 17 bombardiers abattus par missiles sol-air. Ce comité présidé par le Chef d’état-major opérations du SAC comprenait en plus des militaires spécialistes de la question, des représentants des sociétés ayant fabriqué les deux systèmes principaux de contre-mesure électronique des B-52. Les recommandations de ce comité furent déposées rapidement puisque le 29 décembre, deux modifications des antennes de l’ensemble de contre-mesure électronique étaient décidées. Ces modifications relativement simples avaient l’avantage de pouvoir être appliquées dans des délais très brefs. D’autres améliorations plus complexes à réaliser étaient censées suivre ces premières mesures.
En ce qui concerne le taux de pertes des bombardiers lourds au-dessus du Nord-Vietnam, l’armée de l’air américaine a annoncé un chiffre situé entre 2 et 3 %, basé sur le taux de sortie et le nombre de bombardiers participant aux missions.
Il est intéressant de constater qu’avant le mois de mars 1972, le taux des pertes imputables aux missiles SAM et portant sur tous les types d’appareils au-dessus du Nord-Vietnam, était d’un avion américain abattu pour 62 missiles tirés. Durant cette dernière période de bombardement au nord du 20e parallèle, le taux est passé à 60 engins SAM tirés pour un avion détruit. Ce chiffre montre certes un meilleur rendement des tirs d’engins de défense sol-air, mais l’analyse qui en est faite montre qu’il concerne principalement des avions équipés de système de contre-mesures électroniques et que dans ce domaine comme dans tout autre, la parade doit être adaptée à l’évolution de la menace. ♦