Défense en France - Changement de Ministère - La réglementation française en matière d'armement
Changement de ministère
Qu’il s’agisse de la défense proprement dite, de la condition des personnels, de la réorganisation de l’appareil militaire ou des problèmes d’information, le bilan de l’activité de M. Michel Debré à la Défense nationale est éloquent. On retrouve partout sa volonté de faire aboutir des réformes et de mener à bien une évolution rendue nécessaire à bien des égards.
Dans le domaine de la défense c’est d’abord la troisième loi de programme, permettant la poursuite du plan d’équipement militaire [NDLR 2023 : 1971-1975], qui a été votée en 1970 et révisée en 1972 pour évaluer les augmentations des coûts et en tenir compte pour l’établissement du budget 1973. Ainsi cette loi remise à jour couvre-t-elle l’équipement des Armées jusqu’au début de 1976.
C’est aussi l’élaboration, pour chaque armée, des plans à quinze ans puisqu’il apparaît nécessaire de dépasser l’horizon couvert par les lois de programme. Le plan naval et celui des forces stratégiques ont été adoptés en 1972, ceux des armées de terre et de l’air au début de 1973.
C’est enfin la réorganisation du Service national par la loi de 1970, reprise dans le Code voté en 1971. Cette loi a récemment fait couler beaucoup d’encre, de salive… et de sueur, avec une « spontanéité » qui indique assez bien les motifs politiques sous-jacents à cette agitation. Car l’analyse lucide de ce texte montre clairement qu’il traduit la nécessaire adaptation à notre époque des modalités d’application du principe démocratique de la conscription.
Cette réforme du Service national fut assortie, au sein des Armées, de différentes mesures pratiques, édictées en 1972, visant également à adapter à notre temps les conditions d’exécution du service militaire, et dont la traduction financière a été inscrite au budget 1973. Ce budget, comme le précédent, a également exprimé la volonté du ministre de parvenir à une revalorisation, nécessairement progressive, de la condition matérielle de tous les militaires.
Quant à la condition militaire elle-même, elle a fait l’objet d’études ayant abouti au statut général des militaires, loi votée en 1972, et à la parution des premiers statuts particuliers et décrets d’application. L’élaboration de ces textes a été conduite en liaison fréquente avec le Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM), organisme consultatif créé en 1969 et associé depuis lors par le ministre à la préparation des textes les plus importants.
C’est dans le même esprit que fut diffusée en 1970 une instruction sur la formation militaire générale qui fait appel aux notions d’organisation, d’information et de participation, pour adapter le style de vie des Armées à celui du monde dans lequel elles doivent s’insérer.
Toujours avec le même souci d’adaptation, M. Debré a tenu à donner à la femme, dans les Armées, la place qui est la sienne dans la société moderne. L’École Polytechnique a accueilli en 1972 ses premières élèves féminines. Le Service national féminin a trouvé des volontaires. Un nombre croissant de postes d’officiers et de sous-officiers sont confiés à des femmes. Enfin, un nouveau statut leur permet d’envisager une véritable carrière militaire avec même deux étoiles dans leur giberne.
Adaptation aussi aux méthodes modernes que la mise en place des budgets de fonctionnement dans les unités et des budgets de gestion dans les services, ainsi que les études de coût-efficacité et d’adoption des techniques de Planification-programmation-préparation du budget (3 PB) qui aboutissent pour la première fois en 1971 à la présentation d’un budget de programme.
Adaptation également aux impératifs du siècle, la restructuration du potentiel industriel militaire et le remodelage du domaine immobilier qui concilie défense nationale et aménagement du territoire.
Enfin, conscient de ce que l’Armée ne saurait, de nos jours, continuer à rester la « grande muette ». M. Debré a attaché un soin particulier aux problèmes d’information. Il a publié le premier Livre blanc sur la Défense (1972), instrument indispensable de connaissance pour le citoyen, et relancé une politique dynamique de relations publiques en réorganisant le Service d’information et de relations publiques des armées (Sirpa).
On peut dire que grâce à sa ténacité, que certains n’ont pas manqué de lui reprocher, M. Michel Debré aura, durant la période de quatre années pendant laquelle il fut à la fois à la tête et au service de la Défense nationale (1969-1973), apporté à celle-ci des réformes et un esprit nouveau portant la marque de sa ferme volonté de modernisation.
Le nouveau ministre, Robert Galley, est né en 1921. Commandeur de la Légion d’Honneur, Compagnon de la Libération, il avait, avant sa nomination à la tête des Armées, la responsabilité du ministère des Transports où il venait de prendre l’attitude énergique que l’on sait à l’occasion de la mise en place du plan « Clément Marot » (mars 1973) de circulation aérienne.
La nomination d’un ministre des Armées constitue un retour à la situation d’avant 1969, date à laquelle Monsieur Michel Debré avait reçu, par décret du 4 juillet (Cabinet Chaban-Delmas) confirmé par un décret du 12 juillet 1972 (Cabinet Messmer), diverses délégations du Premier ministre. Ces délégations, s’ajoutant aux attributions du ministre des Armées, lui conféraient celles de ministre d’État chargé de la Défense nationale. Elles concernaient : la préparation des directives générales pour les négociations concernant la défense ; la coordination de la préparation et de l’exécution des mesures de défense intéressant plusieurs départements ministériels ; la direction des organismes compétents en matière d’action scientifique de la défense. La délégation n’étant pas reconduite, ces attributions font désormais retour au Premier ministre et, de ce fait, le Secrétariat général de la défense nationale (SGDN) est à nouveau rattaché à Matignon.
La réglementation française en matière d’armement
À une époque où la fabrication et le commerce des armes font l’objet de réflexions, de débats, de prises de position, en général pour les condamner a priori, il n’est peut-être pas inutile de préciser les bases de la réglementation française dans ce domaine.
Un décret et un arrêté du 12 mars 1973 nous en fournissent l’occasion, qui mettent à jour les dispositions du décret-loi du 18 avril 1939 en tenant compte de celles de l’arrêté du 2 avril 1971 concernant l’exportation.
La réglementation comporte, de façon logique, une classification des matériels « de guerre » ou considérés comme tels, et des dispositions sur la fabrication et le commerce de ces matériels, variables suivant les catégories.
En matière de commerce intérieur, les dispositions concernant les autorisations d’acquisition, de détention et de port d’armes ne relèvent pas de cette chronique. Nous nous limiterons à exposer la réglementation qui régit la fabrication et, pour le commerce, l’importation et l’exportation des armements.
Classification des matériels
La première catégorie englobe toutes les armes de guerre destinées au tir (pistolets automatiques ou mitrailleurs, fusils, fusils-mitrailleurs, mitrailleuses, canons, obusiers et mortiers) ainsi que leurs composants et munitions, et les engins explosifs ou incendiaires tels que grenades, bombes, torpilles, mines, missiles, roquettes et lance-flammes.
Dans la deuxième catégorie sont classés les matériels destinés à porter des armes de guerre (véhicules, chars, navires, aéronefs) ainsi que leurs composants et leurs équipements divers (pilotage, navigation, détection, contre-mesures, bombardement, lancement de torpilles et de missiles, transmissions, photos et parachutes).
La troisième catégorie comporte les matériels et équipements et leurs composants, destinés à la protection contre les gaz de combat ou contre la guerre chimique ou incendiaire.
La quatrième catégorie rassemble les armes à feu dites de défense, la cinquième les armes de chasse, la sixième les armes blanches, la septième les armes de tir, de foire ou de salon et la huitième les armes de collection et celles rendues définitivement inaptes au tir. Seules les trois premières catégories sont considérées comme matériel de guerre.
Fabrication et commerce
Toute personne ou société qui veut se livrer à la fabrication ou au commerce des armes des sept premières catégories est tenue d’en faire la déclaration préalable au préfet du département. Pour les quatre premières catégories, la fabrication et le commerce sont soumis à une autorisation de l’État et à son contrôle.
L’autorisation, valable cinq ans et renouvelable, n’est accordée qu’aux entreprises appartenant à un Français ou qu’aux sociétés dont les gérants et la majorité du capital sont français. Il peut être dérogé à ces conditions soit exceptionnellement pour des raisons de défense nationale soit en faveur de ressortissants des États-membres de la Communauté économique européenne (CEE) mais uniquement pour le commerce des armes et munitions de la quatrième catégorie. Lorsque l’État notifie un marché de matériel de guerre, c’est la notification qui tient lieu d’autorisation et le titulaire est soumis aux mêmes obligations.
Celles-ci comportent le devoir de fournir certains renseignements et de se soumettre au contrôle de l’État. Doivent être signalés, tout changement dans la composition de la société (personnes ou capital) qui serait de nature à modifier les conditions d’obtention de l’autorisation, toute modification (prise ou modification de brevet de fabrication) ou cessation d’activité, ainsi que toute commande de matériel des quatre premières catégories non destinées à l’exportation et n’émanant pas de l’État. Le contrôle de ce dernier revêt un aspect technique et un aspect comptable. Les opérations industrielles sur lesquelles s’exerce le contrôle sont limitées à l’usinage et au montage des matériels complets des quatre premières catégories et de leurs éléments aux opérations les amenant à leur forme définitive ou très approchée, ainsi qu’aux chargements de munitions. Les titulaires d’autorisation sont tenus de laisser pénétrer les vérificateurs dans toutes les parties de leur entreprise pour s’y livrer aux investigations, recensement et contrôles qu’ils jugeront nécessaires. Le contrôle comptable porte sur les bénéfices et les dépenses de publicité et de représentation et sur le registre spécial que doivent tenir les titulaires d’autorisation. Ce registre, qui met en évidence jour par jour les matériels mis en fabrication, réparation, transformation, achetés, vendus, loués ou détruits, est contrôlé par les préfets au moins deux fois l’an par collationnement avec les pièces justificatives.
L’autorisation de fabrication ou de commerce peut être retirée au cas où le titulaire cesse de remplir les conditions exigées pour l’obtenir ou cesse l’exercice des activités autorisées. Il en va de même en cas d’infraction aux obligations énumérées plus haut, qui découlent de l’autorisation accordée, ou à la législation du travail et en cas de condamnation pour crime ou à plus de trois mois de prison pour les délits prévus sur une liste limitative (fraude douanière, infraction à la loi sur la presse, récidivistes, menées anarchistes, alcoolisme, infractions au Code de la route et à la réglementation sur les poudres et substances explosives).
Le régime de l’importation
La règle générale est la prohibition pour l’importation des matériels des six premières catégories. Toutefois des dérogations sont prévues. Tout d’abord il existe une dérogation générale pour :
– les matériels admis temporairement en vue d’essais, expériences, réparations, ou concours de tir internationaux ;
– les éléments destinés aux phases de développement, mise au point, production ou entretien des matériels des deux premières catégories faisant l’objet d’un accord de coopération technique entre la France et un pays étranger ;
– les matériels qui ne font que transiter de frontière à frontière sur le territoire national.
Par ailleurs, le ministre de l’Économie et des Finances peut octroyer des dérogations exceptionnelles, après avis favorable des ministres des Affaires étrangères, des Armées et de l’Intérieur. Ces dérogations font l’objet de décrets mais les importateurs intéressés par les matériels concernés doivent néanmoins solliciter une autorisation du service des douanes. Le délai de validité de cette autorisation, qui est normalement de six mois, peut être réduit à trois mois ou étendu à un an selon l’avis des ministres intéressés. Ne peuvent, sauf exception, obtenir cette autorisation d’importation que ceux qui détiennent déjà une autorisation de fabrication ou de commerce telle que définie plus haut. Les commandes de matériel étranger passées par les Armées font seulement l’objet d’une simple demande d’autorisation au service des douanes sans nécessiter l’avis des ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères.
Le contrôle des importations de matériels de guerre consiste en un compte rendu des opérations réalisées que chaque titulaire d’autorisation doit adresser au ministère chargé de la Défense Nationale à l’expiration du délai de validité de son autorisation particulière.
Le régime de l’exportation
En ce qui concerne les opérations d’exportation, les matériels de guerre ou assimilés font l’objet d’une classification spéciale. La catégorie A englobe :
– les armes de tir de la première catégorie, à l’exception des armes de poing ;
– les engins explosifs et leurs accessoires de largage ou de lancement ;
– les équipements de navigation, de pointage, de détection et d’écoute ;
– les blindages et engins blindés et véhicules automobiles ;
– le matériel de transmission et de chiffrement ;
– les poudres et explosifs n’ayant pas d’utilisation civile (chasse, travaux publics…) ;
– le matériel de protection.
En catégorie B sont classés les armes de poing (pistolets et revolvers), les armes de chasse ou de défense dont les munitions peuvent être utilisées par des armes de la catégorie A, les lance-flammes, engins et produits divers servant à la guerre chimique ou incendiaire, les outillages spécialisés pour la fabrication des matériels des catégories A, C et D.
La catégorie C recouvre les armements navals.
Dans la catégorie D sont regroupés les armements aériens, au sens très général du terme, c’est-à-dire non seulement les aéronefs mais leurs constituants (moteurs, hélices, trains d’atterrissage, éléments de cellule), leur armement (canons, mitrailleuses, tourelles et affûts), leur équipement (pilotage, navigation, photo, transmissions, détection, contre-mesures, et même les parachutes).
L’exportation de matériels de guerre des catégories A, B C et D est soumise à une autorisation préalable et à un contrôle. Le mot exportation doit être compris au sens large du terme puisque l’autorisation préalable est nécessaire pour les opérations effectuées avec l’étranger concernant la prospection des marchés, l’acceptation de commandes, les échanges ou cessions ou communications d’études ou de prototypes, les présentations et essais, la cession de droits de propriété industrielle ou de documentation. Une dérogation obtenue pour l’une de ces opérations ne préjuge pas de l’octroi ou du refus d’une dérogation pour une autre opération ou d’une autorisation d’exportation. Comme pour l’importation, l’autorisation préalable ne peut être accordée, sauf exception, qu’à un titulaire d’autorisation de fabrication et de commerce ; elle est valable normalement pour six mois ; elle peut être réduite à trois mois ou étendue à un an selon les avis des ministères intéressés. Par analogie également avec les règles prévues pour l’importation, ne sont pas soumis au régime de l’autorisation préalable les matériels en transit de frontière à frontière, ceux admis temporairement pour essais, expériences ou réparations, les éléments d’un programme d’armement réalisé en coopération technique franco-étranger ainsi que les armes, munitions et parachutes sortant de France à l’occasion de compétitions internationales. Échappent également à l’autorisation préalable les aéronefs de la catégorie D lorsqu’il est dûment établi qu’ils effectuent des vols de caractère commercial, industriel ou touristique et les pièces de rechange destinées aux appareils des sociétés françaises de transport aérien. Toutefois ces dérogations peuvent être suspendues soit de façon générale soit pour les expéditions à destination de certains pays nommément désignés.
Les autorisations d’exportation sont délivrées par le ministre des Finances après qu’une dérogation exceptionnelle à la prohibition d’exportation ait été octroyée par le Premier ministre. Celui-ci prend sa décision après avis de la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre. Cette commission se réunit au moins deux fois par mois sous la présidence du SGDN. Elle comprend des représentants des Affaires étrangères, des Finances et des Armées et, en plus de l’examen des demandes d’autorisation d’exportation, elle a pour mission d’étudier l’orientation à donner à la politique de fabrication des matériels de guerre pour l’étranger et les moyens d’agir sur le volume et la qualité des fabrications et exportations.
Le contrôle des opérations d’exportation revêt plusieurs aspects. Sur le plan de la fabrication, tous les canons d’armes de guerre destinés au commerce extérieur sont soumis à des épreuves constatées par l’application d’un poinçon et reçoivent une marque dite d’exportation. Sur le plan du commerce, le contrôle des livraisons fait l’objet de plusieurs dispositions. D’une façon générale, l’autorisation d’exportation peut être subordonnée à la preuve que les matériels dont l’expédition est envisagée sont directement livrés aux autorités qualifiées du pays importateur ou à tel organisme désigné par elles. Au départ de France, les matériels doivent faire l’objet, de la part du bénéficiaire, d’une autorisation d’exportation, d’une déclaration au préfet mentionnant leur nature et leur nombre, les modalités de transport et le point de sortie du territoire. L’arrivée en pays de destination et la mise à la consommation des matériels sont garanties par un acquit à caution déchargé par un document délivré par le service des douanes du pays importateur. Dans les cas, évoqués plus haut, où les exportations font l’objet d’une restriction pour certains pays, l’acquit délivré par la douane française et déchargé par la douane du pays importateur garantit, en plus de l’arrivée au pays de destination, les clauses de non-réexpédition dans un pays à destination duquel le transit, le transbordement ou la réexpédition se trouvent interdits. Enfin, comme les importateurs, les titulaires d’une autorisation d’exportation doivent faire connaître, à l’expiration de son délai de validité, les opérations réalisées.
Compte tenu de la grande variété des matériels soumis à la réglementation, des contestations peuvent se produire entre les importateurs ou exportateurs et le service des douanes sur la classification, la dénomination ou l’origine des marchandises en cause. Il est prévu à cet effet, au ministère des Armées, un comité composé d’un représentant du ministre et des experts qualifiés qui tranche souverainement.
Sans qu’il soit nécessaire de s’étendre sur les multiples dispositions pénales prévues en cas d’infraction à la réglementation exposée ci-dessus, on peut constater que la France n’est pas le paradis des « marchands de canons » et des trafiquants d’armes que certains laissent entendre. ♦