Défense dans le monde - Grande-Bretagne : les partis politiques du camp catholique en Ulster - États-Unis : la politique américaine à l'égard de l'Europe ; les exercices Reforger IV et Crested Cap IV - Amérique latine : assemblée générale de l'Organisation des États américains (OEA)
Grande-Bretagne : les partis politiques du camp catholique en Ulster
En Ulster, où la situation apparaît toujours aussi compliquée, les efforts du secrétaire d’État pour l’Irlande du Nord M. William Whitelaw n’ont pas réussi jusqu’ici à rapprocher les communautés catholique et protestante. Du côté catholique, il existe une opposition légale représentée au Stormont (1) par le Parti socialiste et démocrate du travail (Social Democratic and Labour Party, SDLP) et une opposition clandestine, essentiellement le fait des deux Irish Republican Army (IRA). Des mouvements visant à la défense des droits civiques de la majorité catholique se sont, en outre, développés. Enfin le Parti communiste et divers groupements gauchistes ne pouvaient manquer de s’intéresser au problème. Le présent article donne un aperçu de ces différentes formations et de leur activité.
Le SDLP a été créé en août 1970, par scission de la branche irlandaise du Parti travailliste britannique. C’est une formation modérée dont la grande préoccupation est d’éviter d’être débordée par la surenchère d’organisations plus radicales. Il est favorable à une solution qui assurerait, dans un cadre britannique, l’égalité des droits entre les deux communautés.
L’IRA qui, aux yeux du public symbolise l’action de la minorité catholique, est l’organisation armée du Mouvement républicain ou Sinn Fein. En décembre 1969, en raison de désaccords politiques internes, ce mouvement et l’IRA elle-même se scindent en deux fractions rivales. Ainsi naissent l’IRA « officielle » marxiste et l’IRA « provisoire » qui continue de représenter les tendances traditionnelles. Pour les deux clans l’objectif est le même : départ des Britanniques, réunification des deux Irlande, mais chacun varie sur les moyens à employer pour le réaliser ; les « Officiels » ont choisi l’action politique, les « Provisoires » l’action violente.
La tactique de l’IRA « officielle » n’a rien pour surprendre. Passée sous le contrôle du Parti communiste irlandais, il est logique qu’elle se déclare contre l’emploi systématique de la lutte armée pour prôner une action politique en profondeur. En effet, définissant la tactique des partis communistes pour la conquête du pouvoir dans le cadre de la coexistence pacifique, le 20e Congrès a préconisé le recours aux luttes politiques de préférence à l’action violente ou à la guerre qui ne sont plus considérées comme inéluctables dans la phase historique actuelle. On comprend, dès lors, que l’IRA « officielle » n’ait pas été favorable à un aménagement des pouvoirs du Stormont. Cependant, elle ne dévie en rien de la doctrine lorsque, pour des raisons d’opportunité, elle a recours à de « justes violences ». C’est ainsi qu’elle a revendiqué l’attentat à la bombe d’Aldershot exécuté en février 1972 contre un mess d’officiers et qui a causé la mort de plusieurs civils.
L’IRA « provisoire » est la branche qui joue le rôle le plus spectaculaire. Créée par des militants hostiles à l’orientation marxiste des « officiels », elle représente la fraction traditionnelle de l’IRA primitive. Fidèles à une tactique presque centenaire, ses membres pratiquent un terrorisme systématique dans le but de rendre l’Irlande « ingouvernable » au Nord comme au Sud. Les circonstances qui ont prévalu depuis 1971 ont fait que la guérilla urbaine a d’abord été conduite au Nord. Bien que les « Provisoires » aient réussi à sauvegarder leur originalité et qu’il ne puisse être question de leur prise de contrôle par les mouvements gauchistes, il apparaît fort improbable que les plus actifs de ceux-ci et notamment les trotskystes n’aient pas envisagé une telle opération.
À côté des deux IRA sont apparus des « mouvements civiques » dont le programme s’apparente plus ou moins à celui de l’une ou de l’autre branche. Ils visent à obtenir une mobilisation permanente de la population et, par des démonstrations de masse, à faire pression sur les autorités. Les deux principaux groupes : l’Association pour les droits civiques en Irlande du Nord (NICRA) et le Mouvement pour la résistance dans le Nord (NRM) contribuent beaucoup par leur surenchère à entretenir un climat de tension.
La NICRA, fondée en 1966, a d’abord été apolitique et modérée. Passée vers la fin 1971 sous le contrôle du Mouvement républicain « officiel » et du Parti communiste irlandais, elle n’est plus aujourd’hui qu’une façade légale des « Officiels ». Ses revendications et ses manifestations en principe pacifiques ne s’écartent pas du programme et des principes d’action de ces derniers.
Le NRM, d’inspiration nettement gauchiste, a été créé en 1968. À l’opposé de la NICRA, ses manifestations ont souvent un caractère de provocation ; ses options sont aussi plus radicales, rejoignant en plus d’un point celles des « Provisoires » : ainsi réclame-t-il l’abolition du Stormont et ne refuse-t-il pas l’affrontement direct avec l’Armée britannique. Au début de 1972, on a noté l’adhésion au mouvement d’un nombre important de sympathisants de l’IRA « provisoire » sans qu’on puisse pour autant voir là une mutation de cette dernière.
Tels apparaissent les principales formations « catholiques » en Irlande du Nord. On ne pourra s’étonner de trouver aussi dans ce camp le Parti communiste et différents groupements gauchistes. Parmi ces derniers, le « Parti de la démocratie du peuple » (trotskyste) qui gagne en influence sur les membres les plus engagés du NRM, apparaît le plus dynamique. Le Parti communiste dont on a vu qu’il contrôle l’IRA « officielle » et la NICRA, a trouvé des possibilités nouvelles depuis que le Parti local en Ulster a été fusionné avec le PC de l’Eire pour former le Parti communiste irlandais (PCI). Sans qu’il y ait de preuves formelles (2) les pays de l’Est sont susceptibles de fournir une aide au moins indirecte aux deux branches de l’IRA pour accroître les difficultés de la Grande-Bretagne.
Divisés sur les moyens de leur action, les mouvements du camp catholique ne sont pas non plus unanimes sur les objectifs à atteindre. Aucun des plus radicaux parmi eux, et notamment aucune des deux IRA, n’ayant réussi à faire progresser le règlement du problème irlandais, l’objectif du gouvernement britannique est de tenter d’une part de les couper de leur base en gagnant la confiance de la population catholique et d’autre part de dégager une solution avec l’aide des partis modérés tels que le SDLP.
États-Unis : la politique américaine à l’égard de l’Europe
Alors que les contacts se multiplient entre le président américain Richard Nixon et les chefs des principaux gouvernements occidentaux dans la perspective des négociations économiques de l’automne prochain, le rapport annuel de politique étrangère du secrétaire d’État William P. Rogers publié le 19 avril 1973 et le discours prononcé cinq jours après par M. Henry Kissinger, conseiller à la Sécurité nationale des États-Unis, devant l’Associated Press ont pris un relief particulier. L’analyse des deux textes, au-delà de quelques nouvelles formules dont se sont emparés les commentateurs, fait ressortir en réalité la continuité de la politique américaine à l’égard de l’Europe sous tous ses aspects, diplomatique, économique et militaire.
Conforme aux principes définis à Guam en 1969 [NDLR 2023 : la « doctrine Nixon »], mais mûrie et adaptée à l’évolution de la situation internationale, la politique extérieure des États-Unis continue à poursuivre un double objectif : d’une part promouvoir une alliance plus équilibrée avec les pays amis, et d’autre part établir des relations plus constructives avec l’adversaire.
À propos de l’Europe, dans son rapport de l’année passée, le secrétaire d’État Rogers reconnaissait l’avènement d’une entité d’abord économique mais qui ne pouvait manquer d’évoluer à plus ou moins long terme vers une union politique avec laquelle les États-Unis entendaient entretenir des relations fondées sur l’adhésion à un système de valeurs communes. Il ne sous-estimait pas les difficultés qui ne pouvaient manquer de surgir par suite de conflits d’intérêts ; il jugeait cependant primordial l’unité de vues entre Occidentaux, car la recherche de la détente ne peut se concevoir en ordre dispersé ; en outre, elle impose le maintien d’un potentiel de défense suffisant auquel tous les alliés doivent apporter leur contribution dans la mesure de leurs moyens.
Cette importance attachée à la cohésion et à la capacité de défense des pays occidentaux se retrouve en termes presque identiques dans les textes de 1973. S’y ajoute un souci d’adapter les structures antérieures aux nécessités de la conjoncture qui doit être envisagée désormais comme formant un tout et dans un cadre mondial. Analysant la situation actuelle des alliés, M. Kissinger estime anormal que les relations diplomatiques se traitent directement d’État à État, les questions économiques sur un plan régional concurrentiel, et les problèmes de défense sur une base intégrée. Bien au contraire « les problèmes politiques, économiques et militaires auxquels ont à faire face les États-Unis, le Canada, les pays d’Europe occidentale et le Japon sont étroitement liés et devraient être, à l’avenir, traités globalement au niveau des chefs de gouvernement ».
Les contradictions de la situation présente ainsi mises en évidence et le principe de la recherche de solutions globales à l’échelle mondiale étant posé, aucune des propositions avancées cette année n’a de quoi surprendre. Mettant l’accent sur la « réciprocité » des efforts et des concessions qui doit être la règle des rapports entre les pays du monde libre, les principes qui guideront l’action des États-Unis concourent tous – avec quelques aménagements imposés par l’évolution de la conjoncture – à la réalisation des objectifs définis en 1969.
Sur le plan diplomatique, Washington confirme que ses efforts tendront à rechercher l’atténuation des tensions avec ses adversaires sur la base de négociations concrètes dans l’intérêt commun. Toutefois, répondant à certaines craintes exprimées récemment par les Occidentaux concernant une entente entre « super-puissances » sans que les pays concernés soient consultés, M. Kissinger a précisé que les États-Unis « accueilleront avec plaisir la participation de leurs amis à un dialogue Est-Ouest constructif… Ils n’ont pas l’intention d’acheter une tranquillité illusoire à leurs dépens… en revanche, ils attendent d’eux une politique qui prenne sérieusement en considération les intérêts et les responsabilités américaines ».
Sur le plan économique, les concessions mutuelles doivent être de régie entre partenaires occidentaux, faute de quoi la cohésion du monde libre serait menacée dans son ensemble. La concurrence doit céder le pas à la coopération, notamment dans le domaine critique des approvisionnements énergétiques ; bref, les rivalités économiques doivent s’effacer devant la solidarité politique et militaire. Pour leur part, les États-Unis continueront à encourager l’unité européenne ; ils se déclarent prêts à faire des concessions pour en favoriser le développement, mais ils demandent à leurs alliés européens « d’agir à leur égard dans un esprit de juste réciprocité ».
Sur le plan de la défense enfin, plus encore qu’en matière diplomatique et économique, les principes qui n’ont cessé de guider l’action américaine ces dernières années se trouvent réaffirmés. Les États-Unis s’engagent à ne pas retirer unilatéralement leurs unités d’Europe ; ils comptent sur leurs alliés européens pour fournir une participation plus équitable à la défense commune, notamment pour promouvoir un système réellement efficace de « riposte adaptée » à la menace adverse en augmentant leur aptitude à la parade conventionnelle.
Cette fidélité de la politique extérieure américaine aux objectifs définis en 1969 a été généralement appréciée dans les capitales alliées. Ainsi M. Joseph Luns, secrétaire général, dans sa déclaration du 25 avril 1973 constituant la réaction officielle de l’Organisation Atlantique, se félicite que « la continuité de la politique des États-Unis à l’égard de l’Europe soit l’objet d’assurances fermement renouvelées ».
Il précise cependant que les propositions américaines devront être étudiées avec soin. Certains points en effet méritent cette attention : pour se limiter aux questions de défense, le contenu du concept stratégique et la recherche d’un meilleur partage des charges militaires.
Les exercices Reforger IV et Crested Cap IV
Les exercices Reforger IV et Crested Cap IV qui mettent en œuvre les unités terrestres et aériennes américaines « à double stationnement » se sont déroulés pour la quatrième fois en Allemagne depuis 1969. Au moment où les États-Unis et leurs alliés sont engagés dans un processus de détente avec l’URSS et où la crise du dollar a relancé la campagne menée par l’opposition à l’Administration Nixon en faveur d’une réduction des forces américaines en Europe, les buts et les enseignements de ces exercices présentent un intérêt particulier.
L’origine des manœuvres Reforger (Return of Forces to Germany) et Crested Cap remonte à 1967 quand, déjà à la recherche d’une solution qui puisse contribuer au redressement de leur balance extérieure des paiements, les États-Unis décidèrent de rapatrier d’Allemagne la 24e Division d’infanterie (DI) moins une brigade stationnée en République fédérale (RFA), le 3e Régiment de cavalerie blindée (ACR) (3) ainsi que quatre escadrons de chasseurs bombardiers. Le mouvement fut effectué au début de 1968, mais conformément aux engagements pris à l’égard de l’Otan et au traité tripartite signé avec la Grande-Bretagne et la RFA, les unités en cause restaient affectées aux forces américaines en Allemagne, leurs équipements lourds restant stockés sur le continent ; des exercices annuels devaient être effectués en vue de vérifier les conditions du déplacement stratégique des éléments ainsi rapatriés, de les familiariser avec les zones dans lesquelles elles seraient éventuellement appelées à combattre et enfin de réaffirmer la solidarité des États-Unis avec leurs alliés de l’Otan.
Mais les deux premières séries d’exercices, effectuées respectivement en 1969 et 1970, ont montré que le double stationnement était en définitive plus coûteux que le maintien pur et simple des unités en Allemagne et que le redéploiement des forces en Europe en cas de crise exigeait des délais (4) peu compatibles avec la nature de la menace. Elles ont également fait apparaître de nombreux problèmes de commandement et d’organisation. Aussi l’expérience n’a-t-elle pas été étendue à d’autres unités et la poursuite des manœuvres Reforger et Crested Cap est-elle depuis lors vigoureusement combattue par une partie du Congrès.
La quatrième série d’exercices ne visait donc pas à tester le concept du double stationnement dont la cause est désormais entendue. Elle avait simplement pour but, selon le général Davison, commandant les forces de l’US Army Europe (USAREUR), de vérifier l’aptitude des grandes unités stationnées aux États-Unis à être engagées dans le cadre de l’Otan en Europe, l’accent étant mis sur la réception, l’équipement, le regroupement et le déploiement des forces plus que sur la rapidité du transport aérien.
L’aérotransport stratégique des unités terrestres participant à l’exercice Reforger IV a duré cinq jours, du 9 au 14 janvier 1973. 107 missions de Lockheed C-141 Starlifter et 6 de Lockheed C-5A Galaxy ont permis l’acheminement sur une distance de 11 000 kilomètres de l’état-major et de deux brigades de la 1re DI, d’une brigade de la 2e Division blindée, du 4th ACR et de diverses formations de soutien – soit au total dix mille hommes et mille tonnes d’équipement.
Après avoir perçu leurs matériels lourds, les unités ont effectué du 20 au 26 janvier 1973 dans la région de Nuremberg des manœuvres baptisées Certain Shield, où, face aux formations Reforger, opéraient des troupes américaines, allemandes et canadiennes. Ces manœuvres ont comporté la mise en œuvre d’unités de parachutistes pour le recueil de renseignement sur les arrières ennemis, une opération héliportée, un franchissement de cours d’eau. On n’a pas relevé l’emploi d’armes nucléaires tactiques. Avant de rejoindre les zones d’embarquement, les unités Reforger ont participé à des écoles à feu au camp de Grafenwoehr. Le rapatriement des unités s’est échelonné entre le 3 février et le 5 mars 1973, date de départ des détachements post-curseurs.
En ce qui concerne l’élément « Air », l’exercice Crested Cap IV a vu le déploiement en Allemagne de quatre escadrons de chasseurs McDonnell Douglas F-4 Phantom II appartenant à la 49e Escadre de chasse basée à Holloman (Nouveau Mexique). L’objet a été de la familiariser avec les conditions des vols opérationnels du théâtre européen.
Les enseignements tirés de Reforger IV et de Crested Cap IV doivent être appréciés sous quatre aspects différents :
Sur le plan financier d’abord, il est permis de s’interroger sur la rentabilité de l’opération. Ces exercices, malgré des consignes strictes d’économie, ont nécessité l’emploi de moyens importants et le soutien d’un appareil logistique énorme dont le coût apparaît hors de proportion avec le volume du renfort : 13 millions de dollars (5) pour 10 000 hommes.
Sur le plan opérationnel, il convient de noter une sensible diminution de la durée de l’aérotransport depuis 1969 en raison du remplacement des Douglas C-133 Cargomaster par les C-141 et C-5A. Cependant, la vulnérabilité de l’aérotransport en temps de crise et les aléas que comporte une telle opération méritent d’être pris en considération. Si au cours de Reforger IV il n’y a eu qu’un retard de 24 heures dû à la météorologie dans le calendrier du transport aérien, durant l’opération Crested Cap IV, les escadrons de F-4 ont tous rejoint l’Allemagne avec plusieurs jours de retard, ayant attendu près d’une semaine des conditions météorologiques leur permettant de décoller des États-Unis.
Du point de vue technique et logistique, cette quatrième série d’exercices a été présentée comme une réussite incontestable pour ce qui concerne le déroulement de l’aérotransport, de l’équipement et du regroupement des unités ; il faut noter en particulier qu’au prix d’un effort considérable (plusieurs mois de travail et 12,4 M$), le matériel stocké en Europe et signalé l’année dernière par le General Accounting Office (GAO) (6) comme en grande partie inutilisable a été remis en état ; le taux des défaillances constatées sur l’ensemble des matériels au cours de Reforger IV n’aurait pas dépassé 0,7 %.
La portée politique de l’opération est plus difficile à apprécier surtout en ce qui concerne son aspect de dissuasion. En Allemagne toutefois, la plupart des commentateurs estiment le bilan positif sur ce plan : ils soulignent que les exercices ont renforcé la crédibilité des engagements américains et concrétisé l’importance que les États-Unis attachent à la défense de l’Europe.
En bref, Reforger IV et Crested Cap IV ont mis en évidence l’efficacité de l’organisation logistique américaine mais aussi son coût élevé. Les imperfections et les limites du double stationnement étant désormais connues, la principale justification de ces exercices est d’ordre politique : ils tendent à démontrer la cohésion de l’Alliance, considérée par les États-Unis comme essentielle au succès des grandes négociations en cours.
Amérique latine : assemblée générale de l’Organisation des États américains (OEA)
L’assemblée générale de l’OEA qui s’est tenue à Washington du 4 au 15 avril 1973, a une fois de plus mis en évidence les tensions existant dans les relations entre les États-Unis et l’Amérique latine. L’individualité des pays du sous-continent s’affirme à mesure de leur croissance et, selon le président Nixon lui-même, il apparaît nécessaire d’adapter une organisation vieille d’un quart de siècle aux réalités actuelles.
Les États-Unis, déjà mis en cause à Panama et à Quito (7), ont de nouveau subi les revendications des nations latino-américaines à travers deux sujets principaux : le retour de Cuba au sein de l’OEA et le déséquilibre du système interaméricain.
L’affaire cubaine n’était pas inscrite formellement à l’ordre du jour. Évoquée par le biais d’un projet de déclaration sur le principe du « pluralisme idéologique » elle a été très significative de l’état véritable des rapports existant entre les pays latino-américains et leur voisin du Nord. Bien que certains pays aient déploré l’isolement de Cuba, il a en effet, été évident à cette occasion que tous ont été guidés d’abord par le désir de ne pas se couper des États-Unis. Six d’entre eux (Mexique, Chili, Pérou, Trinidad-et-Tobago, Barbade, Jamaïque) ont des relations avec Cuba ; quant aux autres, ils attendent une initiative en ce sens de Washington. Cette dernière, tout en reconnaissant que la mise à l’écart de Cuba est actuellement une « anomalie », soutient que le régime castriste n’a pas encore montré une volonté réelle de changer d’attitude. Finalement, les membres de l’OEA ont voté à l’unanimité une motion édulcorée qui mentionne certes le principe de la « pluralité idéologique » mais affirme également que les raisons au nom desquelles Cuba a été condamnée demeurent.
Le déséquilibre du système interaméricain, qui groupe la première puissance du monde et vingt-trois pays sous-développés, a souvent été dénoncé par les pays du sous-continent. Mais au contraire de certaines prévisions, ces derniers viennent, là aussi, de montrer qu’ils n’étaient pas décidés à se priver du soutien des États-Unis : la suggestion chilienne visant à créer un organisme purement latino-américain dont ces derniers seraient exclus semble n’avoir connu aucune suite. Pourtant, les membres de l’OEA ont été unanimes à demander une refonte de l’Organisation qui, créée en 1948 à l’issue de la Seconde Guerre mondiale et au début de la guerre froide, n’est plus adaptée aux problèmes actuels du sous-continent. Washington a reconnu le bien-fondé de cette remise à jour : une commission spéciale aura six mois pour diagnostiquer les maux et proposer des remèdes. De son côté, le président Nixon a annoncé que le secrétaire d’État Rogers ferait prochainement un voyage d’information en Amérique latine pour permettre à l’Administration de jeter les bases d’une nouvelle politique dans cette région du monde.
La volonté de mettre sur pied de nouvelles structures interaméricaines constitue l’aspect le plus important des débats de l’assemblée générale.
Pour les pays latino-américains, il est indispensable de rééquilibrer leurs relations avec les États-Unis et, pour cela, de présenter un front uni à ceux-ci. Cette nécessité se retrouve dans les thèses soutenues par la plupart des pays latino-américains qui préconisent de nouvelles structures telles qu’ils puissent déterminer une politique commune à l’intérieur d’une organisation propre et ensuite discuter, à l’intérieur d’autres instances, avec les États-Unis.
Pour les États-Unis, le fait de reconnaître la nécessité de réviser leurs relations actuelles avec l’Amérique latine est tout à fait en accord avec la « doctrine Nixon » qui a proclamé le désir du Président d’établir de nouvelles relations avec ses alliés sur la base d’un « partnership » et non plus du « leadership » passé. Mais il reste à savoir si, en Amérique latine, l’Administration sera à même d’imposer cette politique aux groupes de pression économiques dont l’action a profondément gêné jusqu’ici l’aboutissement de véritables réformes.
Les relations interaméricaines, dont l’OEA est à la fois le symbole et l’instrument, ont toujours été marquées par des crises périodiques. Toutefois, elles sont aujourd’hui motivées par des revendications plus précises que par le passé. Sans pour autant vouloir rompre avec les États-Unis (au lendemain de leur intervention devant l’assemblée, les orateurs les plus « durs » (8) se sont empressés de déclarer que leurs négociations avec Washington se poursuivaient), les pays d’Amérique latine réclament une association plus juste et équilibrée entre le Nord et le Sud du Continent. Les États-Unis par manque d’imagination et aussi, semble-t-il, de détermination, et les pays d’Amérique latine par manque d’unité, ont jusqu’ici évité d’aborder ce problème de front. Le mérite de l’assemblée générale de l’OEA aura été de l’avoir posé clairement. Mais ainsi que l’a souligné le ministre des Affaires étrangères du Venezuela, Arístides Calvani, dans son discours de clôture, un changement de structures ne suffira pas à faire évoluer les relations interaméricaines s’il manque « la volonté politique du plus puissant » c’est-à-dire des États-Unis. Le devenir global de l’Amérique latine passe encore, bon gré mal gré, par Washington. ♦
(1) NDLR 2023 : Historiquement, le Palais de Stormont accueille le Parlement nord-irlandais dont le nom a évolué dans le temps. En l’occurrence à cette date, c’est la Northern Ireland Assembly.
(2) Des armes d’origine tchécoslovaque destinées à l’IRA ont été saisies à Amsterdam, de même qu’en Ulster des lance-roquettes soviétiques. Mais rien ne prouve que ce matériel ait été livré directement par la Tchécoslovaquie ou l’URSS.
(3) « Armoured Cavalry Regiment » : en dépit du terme « Regiment », il s’agit en fait d’une brigade de cavalerie blindée.
(4) L’aérotransport a duré 16 jours en 1969 et 7 en 1970. À ces délais, s’ajoutent ceux nécessaires à la perception des matériels, au regroupement des unités et à leur acheminement jusqu’à leur zone d’engagement.
(5) Il faut y ajouter les 12,4 M$ cités plus loin et dépensés pour la mise en état du matériel ainsi que les Trais de contentieux.
(6) « General Accounting Office » : organisme chargé du contrôle de la comptabilité de tous les départements et services fédéraux.
(7) Au mois de mars, le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni à Panama et la Commission économique pour l’Amérique latine (CEPAL) à Quito.
(8) Les ministres des Affaires étrangères du Chili (Clodomiro Almeyda) et de Panama (Juan Antonio Tack).