Cinématographique - Films militaires pour militaires et… pour civils
Tout récemment, un de nos amis, désireux d’aller voir L’Aventure du Poseidon, fit ce que font en pareil cas des millions de Français : il appela le cinéma en posant la question rituelle : « À quelle heure passe le “grand film” ? ». La réponse ne fut pas celle que les caissières donnent d’habitude. « Monsieur – lui dit la préposée – vous devriez venir en début de séance. Nous passons un film de complément charmant et vous regretteriez de ne pas l’avoir vu ». Le spectateur suivit le conseil de la caissière et ne le regretta pas, le film étant, en effet, charmant. Or, il s’agissait d’une production de l’Établissement cinématographique et photographique des Armées (ECPA) : Vent d’Ouest. Le titre n’est pas suggéré par des considérations géographiques, c’est tout simplement le nom d’un superbe cheval dont les réalisateurs Raymond Méjat et Charles Meunier nous content avec talent et tendresse l’existence au haras, au sein de l’armée et enfin à la retraite. Non seulement le cheval est beau, non seulement son service dans la Garde républicaine donne lieu à des scènes pittoresques et insoupçonnées, mais encore le commentaire, dit avec beaucoup d’esprit et de subtilité par Daniel Ceccaldi, ajoute une note poétique et mélancolique à ce récit en images qui fait honneur à la production du Fort d’Ivry.
Cette production, on la connaît mal. Certes, de nombreux films, entre autres les films d’instruction, sont voués à une carrière limitée et ne sont pas accessibles au grand public, il y a pourtant plusieurs productions qui sont, comme on dit, « commercialisées ». Réalisés sous l’égide de chefs avertis, les films de l’ECPA méritent l’attention et c’est grâce à leur qualité que la production française figure plus qu’honorablement au palmarès du Festival international du film militaire qui a lieu tous les deux ans à Versailles. La production de l’année 1972 a été particulièrement brillante et, s’il nous est impossible ici de parler de son ensemble, il y a une douzaine de films qui émergent du lot et qui se situent à un niveau supérieur. Les chevaux et le sport hippique ont une place de choix et il n’y a pas que Vent d’Ouest qui chante les louanges de la plus noble conquête de l’homme. Pour Tradition d’hier, sport d’aujourd’hui, Gérard Haas a filmé dans les moindres détails le dressage et l’entraînement des chevaux en vue des concours hippiques militaires. Comme le dit si bien le titre du film, la tradition d’hier est devenue aujourd’hui un sport et les cavaliers, même lorsqu’ils sont affectés aux blindés, conservent pour les montures une prédilection qui ne se dément pas et qui se manifeste avec éclat dans les concours internationaux. Les chevaux que nous montre Gérard Haas sont vraiment magnifiques ! Francis Peyron a choisi lui aussi les prouesses équestres et c’est sous forme de reportage direct qu’il nous présente Le Carrousel de Saumur. Rétrospectif et spectaculaire, le fameux carrousel fait admirer les évolutions pittoresques des chevaux et les performances acrobatiques des motos, confondant ainsi dans une même démonstration le passé et le présent de la prestigieuse école.
L’ECPA, qui est interarmes, n’a pas négligé l’aviation et plusieurs films d’instruction et d’information lui ont été consacrés au cours de l’année. Le maréchal des logis chef Marc Flament s’est révélé un réalisateur de tout premier ordre, doublé d’un parfait opérateur de prises de vues. Il ne craint pas d’opérer lui-même et l’on doit souligner la qualité exceptionnellement spectaculaire des prises de vues qu’il a effectuées en sautant lui-même en parachute. Ancien photographe du colonel Bigeard, il n’a pas froid aux yeux. On lui doit Le Ciel est à toi et Breveté Para, variations sur le même thème. Dans le premier, nous assistons à l’instruction, à la préparation serrée des parachutistes, le tout servi par une photographie admirable. Le second, qui s’intitulait à l’origine Le Brevet militaire de parachutiste, utilise certaines prises de vues du premier, mais, dans un but évident de bonne propagande, ajoute une mise en scène digne d’un film de fiction. La maîtrise de Marc Flament joue dans les deux cas. Voltige 15, auquel collaborèrent René Couderc et Georges de Caunes, offre un tableau assez plaisant de la vie dans l’Armée de l’air et de ses activités, principalement le fonctionnement des patrouilles et d’impressionnants tirs sur cible. Enfin, La Patrouille de France, nouvelle version, due au travail collectif de trois cinéastes chevronnés, met en valeur les performances qui ont étonné le monde depuis plusieurs années. Nous croyons toutefois devoir signaler que le nouveau film paraît moins saisissant que l’ancien, consacré au même sujet sous le même titre. Il faudrait évidemment pouvoir les comparer au cours d’une même projection. Roger Gomez, lui, nous fait pénétrer dans les arcanes d’une technique supérieurement perfectionnée et sans aucun doute peu perceptible pour des profanes, avec Largage et aérotransport à partir du C-160. Conforme aux besoins de l’instruction tout en servant de document d’information, le film présente, à la faveur de prises de vues impeccables, l’avion franco-allemand qui modernise considérablement le transport et le largage. Techniquement, ce court-métrage constitue une réussite parfaite.
La diversité des objectifs à atteindre et des formules de présentation étant une des règles de la production de l’ECPA, nous changeons complètement d’atmosphère avec Rencontre aux Hunebielles et En Corse avec le Génie de l’Air. Le premier, réalisé par André Cortinès Clavero, qui est loin d’être un débutant, est consacré aux différents aspects de l’activité de la gendarmerie. On y voit le dressage et l’utilisation des chiens policiers, les patrouilles en hélicoptère et même, ce qui paraît plus inattendu, la plongée sous-marine. Pour rendre plus attrayant ce film destiné manifestement à recruter des gendarmes, les auteurs ont opté pour un semblant de fiction. À la faveur des recherches entreprises pour retrouver une enfant disparue, plusieurs anciens camarades se rencontrent aux Hunebielles. Et chacun d’eux y va de sa petite histoire pour expliquer comment et pourquoi il s’est engagé dans la gendarmerie. C’est plein de bonnes intentions, le film souffre toutefois de la qualité médiocre du texte et de l’interprétation. Il est vrai qu’il n’a pas été réalisé à l’intention de la critique… Sec et efficace comme un constat, le film didactique En Corse avec le Génie de l’Air nous fait assister en spectateurs privilégiés aux travaux entrepris en Corse par le Génie de l’Air : routes, pistes d’aviation, pose délicate du bitume. Un texte largement explicatif et une musique spirituellement choisie accompagnent les images d’une belle tenue technique. La mission se termine par un épisode qui n’est pas moins spectaculaire que le reste : l’évacuation du matériel lourd vers le continent.
Inciter les jeunes Français à embrasser la carrière militaire est évidemment une des préoccupations constantes des dirigeants de l’ECPA. Ce que Breveté Para accomplit pour les parachutistes, ce que Rencontre aux Hunebielles représente pour la gendarmerie. Sept jours en mer se doit de le faire pour la cause de la Marine. Ce reportage tout à la fois documentaire et artistique n’a pas été réalisé par n’importe qui, il est l’œuvre de Pierre Schoendoerffer, un ancien de la Section cinématographique de l’Armée française (SCA) devenu l’heureux metteur en scène de La 317e Section. Les prises de vues sont d’une beauté à vous couper le souffle, c’est certain. Il n’est pas sûr que la bande sonore soit de la même qualité. La sélection musicale est discutable, le choix de la chanson de Jacques Brel sur Hambourg au moment où passent des images de Brest déconcerte… Par ailleurs, ce journal d’un quartier-maître qui relate sept jours en mer en l’espace de dix minutes nous laisse en vérité sur notre faim. C’est d’ailleurs, sans aucun doute, ce que Schoendoerffer a cherché.
Quels que soient les qualités et les mérites respectifs des productions que nous venons d’analyser très rapidement, il nous semble que la palme pour l’activité 1972 de l’ECPA revient au film de Marc Flament (encore lui) mystérieusement intitulé Le Craid. Les initiés n’y verront rien d’énigmatique puisque Craid veut dire en clair Centre de relais automatiques d’informations digitales. Après un excellent début rétrospectif et historique, le réalisateur nous introduit dans le vif du sujet et, au moyen d’une technique extraordinaire, démonte pour nous le mécanisme si compliqué et pourtant si remarquablement fonctionnel du Craid. La précision du travail de sélection des appareils nous est expliquée avec l’aide d’excellents schémas. Le département de l’animation, un des plus modernes d’Europe et dont le Fort d’Ivry peut s’enorgueillir à juste titre, a largement contribué à la réalisation du film. La répartition automatique des messages, classés en quatre catégories : flash, immédiat, urgent et routine, est présentée avec une clarté surprenante qui n’exclut nullement l’aspect esthétique de la présentation. Le profane restera muet de stupéfaction admirative devant l’extraordinaire détection des messages mal rédigés ou mal dirigés. Le Craid est, à tous points de vue, une sorte de petit chef-d’œuvre. L’Établissement cinématographique et photographique des Armées semble, cette année comme par le passé, bien préparé pour affronter la compétition pacifique de Versailles. ♦