Aéronautique - Le XXXe Salon international de l'Aéronautique et de l'Espace - Le Matra Super 530, missile air-air français de la troisième génération
Le XXXe Salon international de l’aéronautique et de l’Espace
Le XXXe Salon international de l’Aéronautique et de l’Espace s’est déroulé du 25 mai au 3 juin 1973. L’on sait le drame qui a marqué la dernière journée, ou sous les yeux d’une foule de spectateurs (estimée à 300 000 personnes) le supersonique soviétique Tupolev Tu-144 s’est abattu sur une agglomération située à quelques kilomètres du Bourget.
Nul doute que l’URSS ne ressente durement ce coup du sort tant pour son prestige aux yeux de l’opinion internationale que pour l’avenir commercial de son Supersonic Transport (SST). Mais l’impact sur le style même du Salon du Bourget, et sans doute sur l’ensemble des salons de l’aéronautique, sera lui aussi très grand.
L’intérêt profond du Salon ne réside évidemment pas seulement dans ces présentations en vol. En effet, les 21 pays participants, représentés cette année par plus de 600 exposants (ce qui constitue une participation record) indiquent à quel point les industriels du monde entier, de plus en plus directement soutenus par leurs gouvernements, désireux d’améliorer, de conserver ou de conquérir leur place dans la compétition aéronautique et spatiale, considèrent le Salon du Bourget comme la plus valable des « vitrines d’exposition » offertes à leurs productions.
Résolument tourné vers l’avenir, le Salon 1973 a toutefois, plus encore semble-t-il cette année que les précédentes, tenu à donner une large place à l’histoire de l’aviation. La commémoration du centenaire de Santos-Dumont [NDLR 2023 : Alberto Santos-Dumont, né le 20 juillet 1873, est le premier homme à avoir réussi un vol avec succès] en était l’argument essentiel que l’on retrouvait également dans le pavillon sobre et de bon goût du Musée de l’Air (dont l’installation définitive au Bourget dans les années à venir est à peu près certaine [NDLR 2023 : et effective en 1975]). Les présentations au sol ou en vol de certains avions anciens appartenant aux collections anglaises, américaines et françaises témoignaient aussi d’un passé glorieux. Enfin, le pavillon américain placé sous le thème de « L’homme en vol, de Kitty Hawk aux planètes » célébrait ainsi le 70e anniversaire du vol des frères Wright à Kitty Hawk en Caroline du Nord tout en marquant le début d’une ère nouvelle dans l’exploitation américaine de l’Espace avec la présentation du Skylab.
Enfin la haute valeur symbolique s’attachant à la présentation de la future mission Apollo-Soyouz n’a pas manqué d’être soulignée.
Entre le passé plus ou moins récent et le proche avenir, l’intérêt direct du XXXe Salon du Bourget a donc résidé, cette année encore, dans la vaste exposition des productions actuellement en service dans le monde entier, ou en passe de l’être : avions et hélicoptères civils et militaires de toutes catégories, moteurs, équipements, matériels électroniques. À ce domaine des réalisations techniques s’ajoutent celles qui ont trait aux services dans les domaines commerciaux et d’exploitation : développement des aéroports, entretien des flottes aériennes, logistiques diverses, direction du trafic aérien, etc.
Parmi les vingt-et-un pays représentés, cinq doivent être particulièrement mentionnés en tant que nouveaux venus au Bourget. Il s’agit de l’Australie, du Portugal, de la Roumanie, de la Finlande et de la Norvège. Pour modestes qu’aient été leurs présentations, celles-ci sont toutefois symptomatiques de l’axe d’effort des pays concernés.
Cent quatre-vingts avions ont été exposés (contre 165 en 1971) dont vingt-six nouveaux. L’exposition statique regroupait d’une part la multitude des appareils d’aviation générale, affaires et tourisme, et sportive mis sur le marché mondial par l’ensemble des pays exposants, d’autre part, les appareils militaires et commerciaux des ténors de l’aéronautique mondiale : la France, l’Angleterre, la Suède, l’Italie, les États-Unis, l’URSS, l’Allemagne et Israël, ces deux derniers pays étant avec le Japon (dont aucune production n’était sur l’exposition statique) des concurrents avec lesquels il faudra désormais compter.
Parmi ces avions exposés, une centaine, dont le malheureux Tu-144, a été montrée aux spécialistes et au public, dans de prestigieuses démonstrations en vol. Les conditions météorologiques, bonnes pour les journées d’ouverture et de fermeture, ont été fort mauvaises le reste du temps, le bilan étant en définitive meilleur qu’il y a deux ans.
La visite des stands situés dans les halls et des pavillons nationaux offrait aux spécialistes toute la gamme des techniques utilisées en matière de moteurs, de cellules, de commandes de vol, d’équipements, d’armement, etc. C’est autour de ces stands ou dans les pavillons des firmes que se traitent les affaires et se signent les contrats. Le véritable succès du Salon est là, et peut-être aurons-nous la possibilité dans une prochaine rubrique de donner une idée de son ampleur.
Afin de préciser les principales nouveautés de ce XXXe Salon, il est commode de les classer successivement selon les principales branches auxquelles elles se rattachent. Nous verrons aussi sommairement l’espace, l’aviation de transport commercial et militaire, l’aviation militaire de combat, nous réservant de parler ultérieurement des équipements, des moteurs et de l’armement.
L’Espace. Quatre pôles d’attraction dans ce domaine. Le Skylab, en raison de ses difficultés dans l’espace, a connu un regain d’intérêt auprès du grand public, dont la visite permettait d’apprécier la place relativement vaste offerte aux cosmonautes.
La maquette grandeur nature du jumelage Apollo-Soyouz, fort bien présentée, montrant à l’évidence la différence des conceptions américaines et soviétiques en matière de véhicules spatiaux.
Le pavillon de l’ESRO (European Space Research Organization) et celui du Cnes (Centre national d’études spatiales), tous deux de style futuriste, permettaient de se faire une idée des efforts européens et français en matière de recherche et d’applications scientifiques dans l’espace.
L’aviation de transport. Parmi les avions présentés au Salon pour la première fois, il faut mentionner :
– l’Airbus A300B qui a été très remarqué en raison de son faible niveau de bruit au cours de la présentation en vol ;
– le VFW-Fokker 614, biréacteur d’une capacité de transport de 40 passagers, dont la silhouette est très caractéristique avec ses deux moteurs placés en nacelle au-dessus des ailes ;
– le Dassault-Breguet Falcon 30, biréacteur de transport destiné à l’aviation de troisième niveau.
D’autres appareils déjà connus du public avaient été présentés sous des versions différentes à des expositions précédentes. Dans cette catégorie, il faut citer :
– les deux avions de transport supersonique Sud-Aviation-BAC Concorde et Tupolev 144 ;
– la série des appareils soviétiques Tupolev 134, biréacteur moyen-courrier de 50 à 80 places, et Tupolev 154, triréacteur moyen-courrier de 120 à 168 places ;
– le Dassault-Breguet Mercure 02, avion moyen-courrier de 150 places ;
– le Aerospatiale SN-601 Corvette, biréacteur de liaison de 12 places.
L’impression générale, en ce qui concerne l’aviation de transport, a été que ce salon a eu pour vedettes les trois appareils : Concorde, Airbus et Mercure.
L’aviation générale était très largement représentée, et il serait difficile et fastidieux d’énumérer tous les modèles exposés par les constructeurs étrangers. En ce qui concerne les appareils de construction nationale, les avions Pierre Robin, Wassmer, Reims Aviation et l’Aérospatiale SOCATA présentaient la presque totalité de leur production.
L’aviation de tourisme et de sport aérien occupait une large place au sein de l’exposition statique.
Les hélicoptères plus nombreux chaque année étaient dominés, semble-t-il, par la présence des deux grands constructeurs que sont l’Aérospatiale et Agusta.
L’aviation militaire de combat. Tous les ténors mondiaux ont présenté leurs réalisations dans ce domaine, hormis les Soviétiques qui sont vraisemblablement toujours fort loin de lever le voile du secret dont ils s’entourent. En fait, à quelques exceptions près, les avions exposés ou présentés en vol n’étaient pas des nouveautés.
Du côté français, c’est évidemment la Société Dassault-Breguet qui présentait ses prestigieux chasseurs. Les impeccables démonstrations des Mirage F1, des SEPECAT Jaguar, des Mirage IIIE avec de nombreux allumages de la fusée SEPR et de l’Étendard IV M de l’Aéronavale ont bien montré les possibilités de ces appareils qui équipent ou équiperont prochainement nos unités. Les deux Mirage G8 ont montré à l’évidence l’excellence de la mise au point de la formule d’aile à géométrie variable. Mais c’est auprès des stands Dassault-Breguet ou dans celui de l’Armée de l’air qu’il fallait rechercher les véritables nouveautés avec une maquette Dassault de ce que pourrait être un avion de combat futur, le Super-Étendard qui équipera l’aéronautique navale, le Dassault Breguet/Dornier Alphajet qui volera avant la fin de cette année et viendra à partir de 1977 remplacer le Dassault Mystère IV et le Lockheed T-33 Shooting Star dans les écoles de formation des pilotes militaires.
Les États-Unis présentaient en vol la dernière création de la firme Grumman, qui commence déjà à équiper l’US Navy, le F-14 Tomcat. Ce chasseur de supériorité aérienne, équipé d’une voilure à géométrie variable à fonctionnement automatique (celle du G8 est à commande manuelle), constitue une formidable plateforme de tir comme il en a fait la démonstration en abattant cinq cibles dans un tir simultané de cinq engins air-air ; redoutable en combat on ne peut encore dire s’il sera supplanté par le chasseur F-15 Eagle de McDonnell Douglas commandé par l’US Air Force. Mais cet extraordinaire appareil qui a connu des essais difficiles paye ses performances par un prix unitaire qui avoisine la centaine de millions de francs. Déjà connu du public, cheval de bataille de l’exportation américaine, le magnifique Northrop F-5E Freedom Fighter fit également une présentation remarquée.
La Grande-Bretagne, étroitement associée à l’avion Jaguar, présentait une nouvelle fois son fameux Hawker Siddeley Harrier dont la formule originale a séduit l’US Marine Corps et pourrait semble-t-il tenter l’aviation militaire chinoise. On ne pouvait malheureusement pas encore voir de maquette du Hawker Siddeley HS-1182 Hawk, avion-école et d’entraînement qui devrait être mis en service peu après l’Alphajet.
La seule nouveauté italienne était l’Aermacchi M-346 Master, monoplace d’appui-feu, dérivé du fameux avion-école Macchi M.C.200.
La Suède présentait à nouveau son fameux SAAB 37 Viggen, le SAAB 105G, biplace d’appui tactique léger et ses avions-écoles.
Le Japon enfin, présentait un modèle réduit de son biplace d’entraînement Mitsubishi XT-2, d’allure proche du Jaguar franco-anglais.
Après ce bref panorama de cette manifestation qui reste la plus prestigieuse démonstration du dynamisme de l’industrie aéronautique et spatiale, on peut se demander si ce salon ne constituera pas un salon charnière du fait de la mise en service de l’aéroport de Roissy-en-France, du devenir du Bourget et du renforcement prévisible des mesures de sécurité.
Le Matra Super 530, missile air-air français de la 3e génération
Il y a un peu plus de vingt années, la société Matra lançait les premiers tirs d’un missile expérimental, le Matra 510. Dix ans plus tard, le premier missile air-air français autoguidé, le Matra 511 était opérationnel. Puis en 1963, il y eut le Matra 530 qui permettait à la France de s’élever dans ce domaine à un niveau technique international.
Le 530 est un missile air-air d’interception de la seconde génération qui constitue avec le Mirage III un système d’armes destiné à combattre des adversaires dont les performances sont de l’ordre de Mach 2. Il existe en deux versions, électromagnétique et infrarouge et équipe les escadres de Mirage III de l’Armée de l’air et de dix pays étrangers. Mais un missile d’interception ne peut être adapté à tous les modes de combat aérien. Ses performances élevées dans les domaines de la portée et de la détection ne sont pas toujours compatibles avec le combat rapproché qui exige soit des armes à tubes, canons et mitrailleuses, soit des missiles manœuvriers et à court temps de réaction. Aussi pour répondre à ce besoin, l’Armée de l’air a-t-elle souhaité le remplacement du missile américain Sidewinder qui date de plus de quinze années et qui n’est plus suffisamment adapté aux performances actuelles des avions. Cette politique a conduit au développement du 550 Magic qui entrera en service dès l’année prochaine et qui a été commandé également par trois pays étrangers.
Simultanément au développement du 550, qui appartient à l’armement dit de 3e génération, il a fallu constituer un nouveau système d’armes utilisant comme plateforme le Mirage F1 et capable de répondre à des menaces nouvelles. Effectivement, avec l’évolution des performances, l’adversaire pénétrera dans notre zone de défense à des vitesses de plus en plus élevées, probablement supérieures à Mach 2,5 et à des altitudes qui sortiront du domaine d’efficacité du binôme Mirage III-530.
De 1968 à 1971 eurent lieu des études de faisabilité au cours desquelles furent envisagées plusieurs solutions pour le guidage, et c’est en janvier 1971 que démarra le développement d’un nouveau missile, le Super 530.
Le Super 530 est un missile d’interception de hautes performances dont les possibilités en portée et en distance d’acquisition ont été doublées par rapport à celles du 530. C’est un engin tous temps et tous secteurs, conçu pour atteindre des objectifs volant à très haute altitude et à Mach élevé. Il fait appel aux technologies les plus modernes, non seulement en électronique, mais aussi dans le domaine de la propulsion, des radomes et de la structure.
Le maître d’œuvre est la société Matra qui sous traite l’autodirecteur électromagnétique semi-actif chez Electronique Marcel Dassault, fusée de proximité, propulseur et charge chez Thomson/Brandt/CSF.
Sa longueur est de 3,54 m. le diamètre de l’empennage à l’arrière de 0,90 m ; sa voilure du type aile longue à faible envergure lui donne une manœuvrabilité exceptionnelle à très haute altitude.
La portée du Super 530 est cohérente avec le système F1-radar de tir Cyrano 4. L’altitude d’interception est supérieure à 70 000 pieds et, grâce à son propulseur, le gain de vitesse obtenu permet des dénivelées de plus de 8 000 mètres. Enfin, le missile est équipé de dispositifs d’anti-brouillage et de contre-mesures.
En février 1973, la première maquette pilotée, dont une reproduction figurait sous la maquette d’un possible ACF (Avion de combat futur) au Salon du Bourget, a été tirée de manière satisfaisante et un second tir a été effectué dans les mêmes conditions un mois plus tard.
Les essais de mise au point et d’évaluation qui seront conduits par le Centre d’expérimentations aériennes militaires (CEAM) de Mont-de-Marsan à partir de 1974 comprendront des tirs contre des cibles supersoniques.
Les qualités attendues dans le domaine opérationnel du Matra Super 530 sont comparables à celles du Phoenix américain et supérieures à celles des Sparrow. Son marché potentiel est lié à celui du F1 et de ses successeurs et éventuellement aux avions étrangers de la même classe. ♦