Défense dans le monde - États-Unis : déclaration du secrétaire à la Défense - Grande-Bretagne : le remplacement des Polaris - Turquie : mutations dans les forces armées
États-Unis : Déclaration du secrétaire à la Défense
Devant un auditoire de journalistes américains accrédités au Pentagone, M. Schlesinger a défendu, le 30 août 1973, avec une vigueur particulière le projet de budget des forces armées pour l’exercice 1973-1974. Traitant successivement de questions de détente et de défense, il a insisté sur l’absolue nécessité pour les États-Unis de ne pas relâcher leur effort militaire sous peine de compromettre gravement leur sécurité et celle du monde libre.
La détente, selon M. Schlesinger, voit actuellement ses perspectives affectées par les initiatives militaires de l’URSS compromettant la sécurité des États-Unis, l’avenir des négociations sur la limitation des armements stratégiques et les réductions de forces en Europe.
Les Soviétiques ne cessent en effet de valoriser leurs forces armées, a souligné le Secrétaire à la Défense ; leur budget militaire continue de croître d’environ 5 % par an et ils ont récemment expérimenté avec succès sur deux de leurs missiles des Têtes multiples indépendamment guidées (MIRV). Bien qu’il se soit montré moins pessimiste à ce sujet que lors de sa conférence de presse du 17 août 1973, M. Schlesinger estime que, vers la fin de la décennie, l’URSS pourrait avec ses têtes MIRV surclasser dangereusement les forces stratégiques américaines si les États-Unis ne prenaient dès maintenant les mesures appropriées.
Les négociations SALT seront également affectées par la capacité soviétique en matière de MIRV, pense M. Schlesinger. En effet, l’URSS remet ainsi en question l’équilibre entériné par la convention provisoire SALT I : parité quant au nombre des vecteurs, supériorité soviétique pour le mégatonnage compensée par les avantages (multiplication des charges, pénétration de la défense adverse notamment) que les MIRV conféraient aux forces stratégiques américaines ; en outre, la vérification du nombre des têtes multiples indépendamment guidées est quasi impossible sans un contrôle terrestre sur place que les Soviétiques ont jusqu’à présent obstinément refusé.
À propos des réductions de forces, les Mutual and Balanced Force Reductions (MBFR), le responsable américain de la Défense a indiqué que la politique américaine tend toujours à obtenir des réductions équilibrées qui impliqueraient un retrait numériquement plus important pour les forces soviétiques que pour les forces américaines en raison des disparités existantes. Répondant à une question, il a cependant précisé qu’il était possible « que les États-Unis n’insistent pas pour obtenir un pourcentage inégal de réductions ».
La défense des États-Unis et du monde libre ne doit donc en aucun cas être sacrifiée à la détente, et M. Schlesinger a adressé « un avertissement sérieux et insistant » aux sénateurs et aux représentants pour qu’ils acceptent les prévisions de dépenses militaires pour l’exercice 1973-1974 dont le pouvoir d’achat, a-t-il rappelé, ne représente que 70 % de celui de 1969.
Insistant particulièrement sur la défense de l’Europe dont les États-Unis sont « la colonne vertébrale », M. Schlesinger a déclaré que les forces américaines ne pouvaient se retirer, sinon « l’Europe pourrait graduellement tomber sous l’influence psychologique des puissances du Pacte de Varsovie ». Il a souligné que les pays européens ont augmenté leurs crédits militaires et manifesté la volonté d’aider les États-Unis dans le « partage du fardeau » de la défense commune ; l’Alliance doit cependant, estime-t-il, faire un effort afin d’améliorer ses forces d’emploi général « nécessaires pour permettre au Président américain de ne pas recourir rapidement à la guerre nucléaire ». Il a mis enfin le Congrès en garde, à la veille de l’ouverture des négociations MBFR, contre « toute tendance irréfléchie à diminuer les forces américaines en Europe » et contre toute réduction de crédits affectant leur mobilité, donc leur capacité d’intervention rapide à partir des États-Unis.
Le désir d’entraîner l’adhésion du Congrès au projet de budget de Défense n’est certes pas étranger à l’éclairage particulier mis par M. Schlesinger sur les sujets qu’il a traités. Il a cependant par-dessus tout voulu faire ressortir – comme l’a fait depuis le président Nixon dans son message au Congrès du 10 septembre 1973 – que l’effort militaire et la recherche de la détente, loin d’être incompatibles, sont complémentaires et que le maintien de la capacité de défense des États-Unis est la condition indispensable de négociations réalistes sur la limitation des armements ou les réductions de forces.
Le partage des charges de la défense de l’Europe
Reprenant les termes de son rapport sur la politique étrangère des États-Unis présenté au Congrès le 3 mai 1973, le président Nixon vient d’adresser un message aux participants de la 19e assemblée de l’Association du Traité de l’Atlantique. Il y déclare notamment : « nous espérons avec confiance que chacun de nos alliés assumera sa part de la charge de défense commune en participant à un arrangement équitable renforçant la solidarité des membres de l’Alliance ».
Ce rappel montre que pour les Américains, le « partage du fardeau » de la sécurité commune est un des problèmes que se doivent de traiter rapidement les gouvernements européens de l’Otan. Devant la montée au Congrès de l’idée d’un désengagement en Europe, il importe à l’Administration américaine de justifier cette présence, d’en minimiser le coût, et d’en faire partager les charges par tous les alliés européens.
L’amélioration des forces européennes constitue l’aspect le plus important du partage, et comme le souligne le président Nixon lui-même, un effort a déjà été fait : l’augmentation des dépenses de défense des alliés aura été dans l’ensemble en 1971 et 1972 de 3 à 4 % et sera passée de 19,5 milliards en 1965 à 35 Md en 1973 ; durant ces mêmes années le potentiel des forces armées se sera accru de 1 100 chars de combat, 700 armes antichars, 450 avions de combat (les alliés fournissent maintenant à l’Alliance 90 % des forces terrestres, 80 % des forces aériennes et 75 % des forces navales) ; cette augmentation signifie en fait une diminution des charges américaines. Mais c’est sur un des autres aspects du problème qu’un effort doit être porté, celui relatif aux dépenses « réalisées par un allié pour maintenir ses troupes sur le territoire d’un autre État ».
Cet aspect a été développé par le sous-secrétaire d’État, M. Kenneth Rush, dans une déclaration devant la commission des Affaires étrangères de la Chambre.
Sur le plan budgétaire, le coût du maintien de 300 000 hommes sur le théâtre européen (Méditerranée comprise) est évalué pour l’exercice 1973-1974 à 4 Md de dollars pour les soldes et indemnités (personnel et familles) et à 3,7 Md pour le matériel, l’entretien, le support logistique, soit au total 7,7 Md $. Si ces forces étaient ramenées aux États-Unis, il en résulterait une économie de 400 millions $ par an, cette somme représentant pour une large part les dépenses dues au transport. Cependant, selon M. Rush, si ces mêmes forces, réinstallées aux États-Unis, devaient conserver leur même mission – respecter les engagements des États-Unis – il en coûterait beaucoup plus au contribuable américain car il serait alors nécessaire de prévoir de nouveaux moyens de transport rapides, de doubler le matériel lourd des unités afin de pouvoir constituer des stocks sur le territoire européen.
Sur le plan de la balance des paiements, les dépenses en devises étrangères des troupes américaines dans les pays de l’Otan (6e Flotte comprise) ont été évaluées à 2,1 Md $ au cours de l’année budgétaire 1972 ; si l’on enlève les quelque 600 M $ dépensés aux États-Unis par les pays européens pour leur défense, il en résulte un déficit de 1,5 Md $. C’est ce déficit qu’il s’agira de combler, bien que son impact sur la balance globale ne puisse être chiffré avec précision. Les intentions américaines sont claires : il faut que les conséquences résultant pour la balance des paiements du maintien des forces américaines en Europe ne soient pas différentes de celles qui découleraient de leur stationnement aux États-Unis. Certaines suggestions ont été faites aux alliés : partage du coût de fonctionnement des bases américaines en Europe, paiement partiel de la main-d’œuvre locale, prise en compte des dépenses résultant de différents travaux d’infrastructure, achats de matériels militaires aux États-Unis, financement de certains projets supportés actuellement par les services américains, enfin et surtout réexamen des accords de compensation tels qu’ils existent actuellement avec la République fédérale d’Allemagne (RFA) afin qu’ils deviennent multilatéraux et autant que possible définitifs.
Il semble cependant que Washington voit dans une contribution accrue de ses alliés européens à la défense commune davantage un moyen de renforcer la solidarité des membres de l’Alliance tout en donnant satisfaction à l’opposition intérieure qu’une solution à de réels problèmes économiques.
Grande-Bretagne : le remplacement des Polaris
La Commission parlementaire chargée des dépenses publiques a déposé le 22 août 1973 un rapport sur la modernisation des Sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), composant à eux seuls la force stratégique britannique (1).
Devant la discrétion du ministère de la Défense, cette commission est allée consulter diverses sources américaines et s’est documentée auprès de l’Institut international d’études stratégiques (IISS) avant de conclure au maintien, à moyen terme, du système d’armes actuel. Des motifs d’ordre technique, politique et budgétaire ont été invoqués :
– la fin du potentiel des SNLE Polaris s’échelonnera entre 1986 et 1990, ce qui peut permettre, dans l’immédiat, de faire l’économie d’un nouveau programme ;
– l’ULMS (Undersea Long range Missile System) Trident sera alors opérationnel et d’une efficacité largement supérieure à celle du Poseidon (portée 9 000 km, 20 à 24 missiles à 10-14 têtes au lieu de 5 000 km et 16 missiles à 10 têtes pour le Poseidon ;
– le rapport coût-efficacité de l’opération Poseidon n’est pas satisfaisant ;
– l’incertitude politique inhérente aux SALT justifie une position d’attente ;
– sur le plan budgétaire, la reconversion des SNLE Polaris en Poseidon entraînerait des choix difficiles car elle interviendrait en 1976, au moment où les programmes MRCA (Multi Role Combat Aircraft) et porte-avions légers Through-deck Cruiser [NDLR 2023 : classe Invincible] auront absorbé l’essentiel des crédits.
Le principe du maintien des Polaris se heurte cependant à des difficultés logistiques à prévoir dans le cas où les États-Unis abandonneraient ce programme. Néanmoins, ces difficultés ne sont pas insurmontables car les stocks existants sont largement suffisants, et d’ailleurs la durée de vie des missiles pourrait être améliorée par un stockage en chambre froide ; enfin les États-Unis, en raison des accords existants, sont tenus d’assurer les approvisionnements aussi longtemps que durera le système britannique actuel. D’autre part, il est admis que les fusées Polaris pourraient être modernisées avec des nouvelles têtes multiples de fabrication britannique.
Ainsi, pour l’avenir, la Commission parlementaire envisage un passage direct au système d’armes ULMS Trident sans toutefois se prononcer dès maintenant sur ce point car le coût de l’opération peut se révéler trop élevé pour la Grande-Bretagne.
Turquie : mutations dans les forces armées
L’été 1973 aura été marqué, pour le haut état-major turc, par une série de mutations d’officiers généraux qui a surpris par son ampleur et dont la portée dépasse le cadre militaire, en raison du rôle politique joué par les forces armées.
Traditionnellement, c’est le 30 août 1973 que sont connues les mutations au sein du corps des officiers. S’affranchissant cette année de la coutume, le général Sancar, chef d’état-major général, a rendu publics, avec près de deux mois d’avance sur la date normale, des changements d’affectation concernant environ quatre-vingts officiers généraux dont beaucoup sont connus pour leurs opinions politiques libérales sinon « réformistes ».
À la fin du mois d’août, un deuxième train de mutations est venu confirmer le caractère politique d’une mesure qui prend l’aspect d’une épuration du haut commandement des forces armées. Ainsi, le général Sunalp doit céder son poste de sous-chef d’état-major général à un officier conservateur, ami du général Sancar. Il assumera désormais les fonctions plus marginales de chef de l’enseignement supérieur.
Dans l’armée de terre, le général Turun, commandant de la 1re Armée, ainsi que le chef d’état-major des forces terrestres prennent une retraite jugée prématurée par d’aucuns en raison de la compétence professionnelle de ces officiers généraux.
Dans la marine, l’amiral Bulent Ulusu quitte ses fonctions de chef d’état-major ainsi que deux de ses principaux subordonnés.
Enfin dans l’armée de l’air, avec la mise à la retraite du général Batur, commandant les forces aériennes, disparaît le dernier militaire signataire du « mémorandum du 11 mars 1971 » qui avait abouti à la chute du gouvernement de M. Demirel (conservateur chef du parti de la Justice) démis de ses fonctions par le haut commandement.
Ces relèves sont l’œuvre du général Sancar et du commandant des forces terrestres, le général Akinci, tous deux acquis aux idées de M. Demirel dont le parti, malgré l’éviction du pouvoir de son leader, a conservé et renforcé depuis deux ans sa majorité au parlement.
En bannissant de l’armée la tendance réformiste, les généraux Sancar et Akinci ont pour objectif de mettre à la disposition du futur chef du gouvernement un corps d’officiers dociles et politiquement sûrs.
Sur le plan de la défense, les conséquences de cette opération sont importantes. Le remplacement de la majeure partie des titulaires de postes de décisions dans le haut commandement turc, va désorganiser cet organisme pour quelque temps, d’autant plus que les généraux relevés avaient fait la preuve, bien souvent, de leur clairvoyance et de leur haute valeur militaire. Enfin parmi l’ensemble des officiers un malaise est apparu. Il se traduit par une suspicion mutuelle et la crainte de voir les perspectives de carrière dépendre désormais plus de critères politiques que de la valeur professionnelle de chacun. ♦
(1) Celle-ci est actuellement constituée par 4 SNLE du type Resolution équipes de 16 missiles A3 de 2 500 nautiques de portée chacun, à 3 corps de rentrée MRV. Pour l’instant cette force répond parfaitement à sa mission.