D'Hamilcar à Rommel : la « Guerre inexpiable » et la Campagne de Tunisie de 1942-1943
Il arrive parfois que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, les événements contemporains semblent reproduire, mutatis mutandis, à des années ou des siècles d’intervalle, quelque épisode ou quelque grand drame accompli dans le passé ; et l’on dit alors communément que l’histoire se répète. Mais la similitude n’est jamais complète, et si elle peut aider au pronostic, si l’on en peut même tirer une leçon, ce n’est que dans la mesure où l’on tient compte des « variables » appréciées en fonction des éléments permanents, tels que la configuration du sol, sa nature, par exemple, qui interviennent aujourd’hui comme hier dans le problème, et finalement, fatalement, imposent sa solution.
C’est ainsi qu’en 1942-1943, après le débarquement allié en Afrique du Nord et le repli de Rommel en Tunisie, la résistance de von Arnim autour de Zagouhan et son écrasement dans la presqu’île montagneuse du cap Bon pouvaient s’éclairer et même se prédire, en les rapprochant des faits dont les mêmes lieux avaient été le théâtre vingt siècles plus tôt et dont Polybe nous a laissé une relation au premier livre de son Histoire générale. Polybe n’est sans doute pas un écrivain admirable ; son style est sec, sans relief ; mais c’est un historien parfaitement objectif et clair, consciencieux et informé. Son récit ne peut être contesté : fils d’un des chefs de la Ligue achéenne, emmené comme otage par les Romains qui venaient de conquérir la Grèce, il arrive à Rome en 166 avant J.-C., devient, grâce à ses mérites, l’ami de Scipion Émilien qui fait de lui son conseiller ; il l’accompagne quand, pour la deuxième fois, Scipion retourne en Afrique ; il assiste à ses côtés aux préparatifs de l’attaque qui va ruiner Carthage ; il prend part à la campagne ; il entre avec le vainqueur dans la ville après le mémorable siège ; il a parcouru le pays, vu les gens, recueilli le témoignage des survivants de l’époque dont il va faire le récit. Et il dispose — les archives de l’État lui étant ouvertes — des pièces officielles, des documents authentiques qui vont lui permettre d’écrire en ne laissant rien au hasard.
Ses vues, d’ailleurs, sont pénétrantes ; il domine par son intelligence le sujet qu’il traite. Au début de son ouvrage, il trace ces lignes qu’on dirait d’hier et qui font juger la qualité de son esprit : « Avant la deuxième guerre punique, les événements du monde étaient encore disséminés, sans lien entre eux ; mais à partir de ce moment, l’histoire commence à former un corps : les événements d’Italie et d’Afrique s’enlacent avec ceux qui se passent en Asie et en Grèce, et tout aboutit à une fin unique ». Comment mieux marquer l’interdépendance de faits en apparence — mais seulement en apparence — isolés, faits politiques et actions militaires, actes diplomatiques ? Ainsi, en 1940 et 1941, ce qui se passe entre El Alamein et El Agueila « s’enlace » (pour parler comme Polybe) à ce qui se passe dans les Balkans, en Russie et jusqu’en Extrême-Orient ; ainsi les pièces réparties sur l’échiquier ne peuvent être déplacées sans que le mouvement de l’une d’elles ait pour conséquence, brève ou lointaine, d’en exposer une autre à sa perte et de compromettre finalement la partie.
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