Maritime - Moyen-Orient : les opérations navales durant le conflit israélo-arabe d'octobre 1973 - France : turbines à gaz des corvettes type Georges-Leygues ; mise à l'eau de trois bâtiments
Moyen-Orient : Les opérations navales durant le conflit israélo-arabe d’octobre 1973
Les forces en présence
Contrairement à ce qui s’était passé en 1967, les forces navales des belligérants ont été très actives lors du dernier conflit israélo-arabe et, pour la première fois, on a vu s’opposer sur mer des navires armés de missiles. Le détail des opérations n’est pas encore tout à fait connu non plus que les pertes exactes subies par les adversaires. Il est toutefois possible, grâce aux communiqués des belligérants et aux articles parus tant dans la presse israélienne qu’anglo-saxonne, d’en faire un résumé. Mais auparavant il convient de rappeler la composition des forces en présence le 6 octobre ; elle est indiquée dans le tableau 1.
Les grands navires égyptiens, sous-marins, destroyers et escorteurs ne paraissent pas avoir participé aux opérations. La seule affaire notable à laquelle la presse a fait allusion est la surveillance du détroit de Bab-el-Mandeb par les destroyers et escorteurs égyptiens normalement basés à Bérénice mais qui, pour la circonstance, opéraient à partir d’Aden.
Les vedettes lance-missiles des deux adversaires ont déployé par contre une intense activité et pris part à plusieurs opérations. Aussi est-il intéressant d’en rappeler ci-après les principales caractéristiques et celles des missiles qu’elles ont mis en œuvre (tableau 2).
Tableau 1
Pays |
Israël |
Syrie |
Égypte |
||
Type |
Méditerranée |
Mer Rouge |
Méditerranée |
Méditerranée |
Mer Rouge |
Sous-marins |
2 |
|
|
10 |
2 |
Destroyers |
1 |
|
|
3 |
3 |
Escorteurs |
|
|
|
2 |
1 |
Dragueurs |
|
|
4 |
6 |
|
Vedettes lance-missiles (VLM) |
12 Mivtach |
|
3 Osa |
12 Osa |
3 Komar |
Chasseurs sous-marins–Patrouilleurs |
|
|
1 |
12 |
|
Vedettes lance-torpilles (VLT) |
9 |
|
9 |
20 |
14 |
Petites vedettes |
24 |
12 |
|
9 |
|
Amphibies |
12 |
1 |
|
21 |
3 |
Divers |
7 |
3 |
|
23 |
|
Tableau 2
Pays |
Israël |
Égypte - Syrie |
||
Type |
Mivtach |
Rechef |
Komar |
Osa I |
Chantiers |
Cherbourg |
Haïfa |
URSS |
URSS |
Déplacement |
250 t. |
450 t. |
110 t. |
190 t. |
Propulsion |
Diesel |
Diesel |
Diesel |
Diesel |
Puissance |
14 000 CV |
14 000 CV |
4 800 CV |
9 000 CV |
Vitesse max |
40 nœuds |
32 nœuds |
40 nœuds |
36 nœuds |
Missiles |
5 à 8 Gabriel |
5 Gabriel |
2 Styx |
4 Styx |
Artillerie |
1/76 CA |
2/76 CA |
2/25 CA |
4/30 CA |
Le Gabriel mis au point par les ingénieurs israéliens est un missile surface-surface propulsé par propergol liquide et d’une portée maximale de 20 000 m. Après lancement, il monte jusqu’à 100 m puis descend lentement jusqu’à l’altitude de 20 m à 7 500 m du lanceur. À 1 200 m de l’objectif, il descend à une altitude de 3 m et se dirige sur l’objectif, soit en téléguidage, soit guidé par autodirecteur semi-actif. La charge militaire contiendrait 75 kg d’explosif classique. Son poids total est de l’ordre de 400 kg et il est lancé à l’aide de rampes simples ou triples.
Le Styx des Osa et Komar égyptiens et syriens est un engin d’environ 1 000 kg transsonique et d’une portée pratique de 30 000 m. Propulsé par propergol liquide, il est installé en rampes fixes simples et guidé sur programme avec autoguidage radar actif en finale. Il vole à 300 m d’altitude et sa charge militaire serait de l’ordre de 400 à 450 kg. La version cédée par les Soviétiques aux marines amies est loin d’être la plus moderne. Elle peut être brouillée et son altitude de vol et sa vitesse relativement faible la rendent vulnérable à l’artillerie légère moderne à grande cadence et conduite de tir radar. Cela avait été observé durant le conflit indo-pakistanais de décembre 1972 et a été confirmé au cours des récentes opérations, où des Styx ont été, d’après la presse israélienne, abattus par l’artillerie. Le seul avantage du Styx sur le Gabriel est une portée plus grande et une charge militaire considérablement plus forte qui peut entraîner la perte immédiate de l’adversaire en cas de coup au but.
La tactique
Pour parer à cette menace, les Israéliens ont probablement utilisé des contre-mesures appropriées, mais ont surtout manœuvré, ce qui a été rendu possible par l’extrême maniabilité, la robustesse et l’endurance de leurs vedettes qu’il s’agisse des Mivtach d’origine française ou de leur dérivé, les Rechef construites en Israël.
Lorsque l’adversaire avait tiré tous ses Styx, il leur était loisible de s’approcher et d’immobiliser les vedettes ennemies avec des Gabriel avant de les achever au canon. Le peu de réussite des bâtiments arabes ne doit pas être attribué à un moins bon entraînement des équipages mais surtout au fait que les armes soviétiques qui leur avaient été confiées n’étaient pas aussi modernes que celles cédées à l’armée de terre.
Les opérations
Nuit du 6 au 7 octobre : Les premiers engagements se sont déroulés dans la nuit du 6 au 7. À 22 heures locales, un groupe de Vedettes lance-missiles (VLM) israéliennes a intercepté au large de Lattaquié une formation syrienne. Celle-ci perd une vedette lance-torpilles (VLT) coulée au canon. Un nouvel accrochage a lieu deux heures plus tard entre unités syriennes et israéliennes : 1 dragueur et 2 VLM syriennes coulent, une VLM s’échoue et est achevée au canon. Peu après, nouvel affrontement mais cette fois avec des VLM égyptiennes : l’une d’elles est endommagée et détruite plus tard par un avion.
Nuit du 8 au 9 : Six VLM israéliennes engagent au large de Damiette (Delta du Nil) le combat contre quatre Osa égyptiennes. Atteintes par Gabriel, trois de ces dernières sautent. Durant cet engagement, le Rechef aurait été endommagé, d’après les communiqués.
10 octobre : Engagement entre 2 VLM Komar syriennes embusquées à l’entrée du port de Lattaquié et 3 vedettes type Mivtach. Repérées à 5 nautiques au large, celles-ci s’approchent à toute vitesse en manœuvrant pour gêner le tir de leurs adversaires qu’elles détruisent.
11 octobre : Engagement entre 2 VLM syriennes embusquées à l’entrée du port de Tartous (au sud de Lattaquié) et 2 VLM type Mivtach. Les deux vedettes syriennes coulent.
Nuit du 13 au 14 : Bombardement d’objectifs à Damiette par les VLM israéliennes.
Nuit du 14 au 15 : Les Israéliens attaquent dans le golfe de Suez des installations militaires à Rasgharib.
Nuit du 15 au 16 : 3 Komar égyptiennes attaquent au Styx les réservoirs de pétrole de Charm el Cheik.
16 octobre : Les VLM israéliennes détruisent au canon des installations militaires égyptiennes en Méditerranée.
Nuit du 17 au 18 : Nouvelles attaques israéliennes sur des objectifs militaires dans la région de Port Saïd et à Ras Zafrana dans le golfe de Suez.
Nuit du 20 au 21 : Bombardement de la base d’Aboukir : 2 navires égyptiens coulés.
Nuit du 23 au 24 : Les VLM israéliennes attaquent les terminaux des pipes de Banias et Tartous en Syrie.
Les pertes
Les pertes arabes s’élèveraient à une trentaine d’unités, dont 15 de guerre ainsi réparties :
|
Syrie |
Égypte |
Vedettes lance-missiles |
7 |
5 |
Dragueurs |
1 |
- |
Patrouilleurs |
- |
1 |
Vedettes lance-torpilles |
1 |
- |
Total |
9 |
6 |
Si l’on compare les pertes de la petite force syrienne à son potentiel au début du conflit, on voit qu’elle a été presque totalement détruite, mais elles ont été en partie comblées par la livraison de trois vedettes type Osa cédées par les Soviétiques dans les derniers jours du conflit ou immédiatement après le cessez-le-feu.
Les pertes israéliennes ne sont pas connues mais ne semblent guère dépasser une ou deux petites unités auxiliaires.
Bien entendu, les opérations ont entraîné quelques pertes parmi les navires marchands appartenant à des pays non belligérants. C’est ainsi que le cargo grec Hadiotis a coulé sur une mine au large d’Alexandrie le 24 octobre 1973, que le pétrolier libérien Siris a, le 26, heurté une mine dans le détroit de Dubaï (golfe de Suez), que le cargo grec Samir Gote et le japonais Bamema Shiplumaru ont été coulés lors de l’engagement du 10 octobre 1973 à Lattaquié.
France
Turbines à gaz des corvettes type Georges Leygues
Le plan de rénovation de la Marine française (Plan Bleu), on s’en souvient, comprend la construction de 24 corvettes de 4 100 tonnes en pleine charge (tpc), type C70 Georges Leygues, dont 6 à vocation prioritaire antiaérienne (AA) et les autres destinées à la lutte contre les sous-marins (ASM). Ces bâtiments doivent autant que possible avoir, pour des raisons de coût, la même coque et le même appareil propulsif et dans toute la mesure du possible les mêmes aménagements. Pour leur propulsion l’État-major de la Marine s’est décidé, à l’instar de ce qui se fait dans les autres marines, à adopter la turbine à gaz. Il avait à choisir entre plusieurs solutions :
– turbines à gaz plus turbines à vapeur fonctionnant ensemble (système COSAG) ;
– turbines à gaz pour la marche à grande vitesse et turbines de faible puissance mais coûteuses pour la navigation économique (système COGOG) ;
– turbines à gaz plus Diesels fonctionnant ensemble (système CODAG) ;
– turbines à gaz pour la navigation à grande vitesse et Diesels pour la navigation économique (système CODOG).
Après avoir mûrement étudié la question, l’EMM s’est finalement rallié à la dernière de ces solutions qui combine à la fois les avantages de la turbine à gaz et ceux du Diesel. Au crédit de la turbine à gaz, on peut notamment citer :
– une grande rapidité de mise en service et de montée en allure (démarrage en une minute, montée en puissance en moins de cinq minutes) ;
– une grande souplesse de fonctionnement (surpuissance de 25 % possible durant quelques minutes) ;
– une excellente adaptation à l’automaticité permettant de réduire le personnel de conduite.
À son passif, elle a évidemment quelques inconvénients dont le principal est une consommation spécifique qui, satisfaisante à puissance maximale, croît très rapidement lorsque la puissance diminue et devient prohibitive au-dessous du 1/4 de puissance.
À l’actif du Diesel, il faut noter une très grande endurance, une bonne sûreté de fonctionnement et une consommation faible, ce qui permet de franchir à 18/20 nœuds des distances considérables (plus de 8 000 nautiques sur les C70) ce qui est pour la Marine française très important compte tenu de sa faiblesse relative en navires du type pétrolier ravitailleur. Au passif du Diesel, il nous faut mentionner un fonctionnement plus bruyant (bien que l’utilisation d’une suspension élastique permette de réduire le rayonnement acoustique d’une façon très significative), son entretien plus important, une surveillance et une conduite plus délicates.
Pour les Diesels destinés aux corvettes type C70, la Marine a adopté le SEMT-Pielstick 16 PA6 développant 4,1 MW. Restait à choisir la turbine à gaz. Plusieurs solutions ont été envisagées : General Electric ou Pratt & Whitney américaines, Rolls Royce britannique. C’est finalement cette dernière qui a été adoptée à l’issue des entretiens qu’ont eu à Paris, les 15 et 16 novembre 1973, Robert Galley, notre ministre des Armées, et Lord Carrington, ministre de la Défense britannique. C’est la turbine Olympus TM3B développant 28 000 CV sur l’arbre qui a été choisi. Cette turbine équipe la plupart des unités récentes de la Royal Navy, comme le destroyer lance-missiles HMS Bristol ou le futur croiseur porte-aéronefs HMS Invincible. Conformément à l’accord, la firme Rolls Royce fournira les premiers ensembles complets (turbine et accessoires) destinés, à raison de deux par bâtiment, aux trois premières corvettes type C70 : Georges Leygues, Dupleix, Montcalm. Par la suite, la firme anglaise fournira les générateurs de gaz tandis que l’industrie française – établissement d’Indret et sous-traitants – fabriquera sous licence les autres éléments.
Rappelons que les corvettes type C70 présenteront les caractéristiques suivantes :
– déplacement : 3 800 t Washington ; 4 100 t pc ;
– dimensions : 139 x 14 m ;
– appareil propulsif : 2 TG Olympus pour la marche à grande vitesse (30 nœuds) ; 2 Diesels pour la croisière ;
– vitesse maximale : 30 nœuds sur les TG, 20 nœuds sur les Diesels ;
– armement : 4/MM38 Exocet ; 2/100 CA dont l’un doit être ultérieurement remplacé par un SACP ; 2 hélicoptères ASM ; torpilles ASM.
Mise à flot de trois bâtiments
Trois bâtiments ont été mis à l’eau le 17 novembre à Brest : les Champlain et Francis Garnier, la gabare Tianee.
Le Champlain et le Francis Garnier font partie d’une classe de deux Bâtiments de transport légers (Batral) inscrits au plan naval. Ils présentent les caractéristiques suivantes :
– déplacement : 750 t (1 350 tpc) ;
– dimensions : 80 x 13 m :
– moteurs : 2 Diesels - 1 800 CV - 2 hélices ;
– vitesse maximale : 16 nœuds ;
– distance franchissable : 3 500 N/13 nœuds :
– armement : 2/40 AA, I mortier de 81.
Ils sont dotés d’une porte d’étrave et d’une rampe d’embarquement ou de débarquement comme les LST ; cette porte est d’un type nouveau, de nature à réduire la résistance à l’avancement en conservant un profil relativement hydrodynamique. Ils ont également une plateforme pour un hélicoptère et possèdent un treuil de déséchouage leur permettant de quitter une plage en s’aidant de leur ancre arrière. Leurs aménagements ont été prévus pour transporter une compagnie d’intervention du type Guépard (5 officiers, 15 sous-officiers, 118 hommes) et ses douze véhicules (6 Véhicules légers tout terrain ou VLTT et 6 Véhicules utilitaires tous chemins ou VUTC avec leurs remorques).
La Tianee (« Cigale de mer », en tahitien) est destinée au Pacifique. Déplaçant 850 t, dotée d’une vitesse de 12 nœuds, elle se distingue de ses aînées du type Cigale en service en métropole par différents progrès techniques. C’est ainsi qu’elle est équipée d’un propulseur transversal et d’aménagements climatisés. ♦