L’héritage de Lénine
En observant la vie politique des pays qui se réclament du marxisme-léninisme, on est frappé par le souci permanent de leurs dirigeants de justifier la moindre mesure en la rattachant par des raisonnements subtils et qui nous paraissent souvent emberlificotés à un corps de doctrine considéré comme vérité révélée. De même, chaque événement, chaque idée et chaque œuvre, à l’intérieur des pays ou à l’extérieur, sont appréciés non en fonction de ce qu’ils représentent en eux-mêmes, mais par référence à une certaine évolution jugée seule correcte des modèles fondamentaux. Il s’agit là, évidemment, de la célèbre dialectique marxiste, et l’intention ne nous effleure pas d’en contester, sinon l’intérêt, du moins la valeur historique. Mais, tout de même, on a le droit de penser que l’installation d’un sens unique ou la taxation du lait peuvent se faire sans en imputer la filiation à la pensée de Lénine.
Cependant, le principal inconvénient de cette dialectique est ailleurs. Elle s’est très vite trouvée dans l’obligation de créer à son usage un arsenal impressionnant de termes en « isme », tels que révisionnisme, pluralisme, polycentrisme, aventurisme… etc., dont il faut connaître le sens exact et les origines si l’on veut être en mesure de comprendre et d’assimiler l’énorme littérature de toutes provenances qui se déverse quotidiennement sur l’intelligentzia du monde entier. Étant donné l’importante place que tiennent aujourd’hui dans le monde les pays communistes, il nous importe absolument de savoir ce que ces pays pensent si nous voulons nous faire une idée exacte de notre propre présent et de nos chances d’avenir.
Jusqu’ici, il n’existait aucun code permettant de déchiffrer rapidement la pensée marxiste-léniniste du jour sans être pris de court par son système dialectique constamment renouvelé. Cette lacune vient d’être comblée – et brillamment – par François Fejtö. L’héritage de Lénine est à la fois un livre d’histoire, mais reliée à l’actualité, et c’est aussi une sorte de manuel didactique, mais tout imprégné de réflexions philosophiques personnelles qui lui confèrent une profondeur et une résonance exceptionnelles. C’est une véritable « explication de notre temps » à partir de la pensée de Lénine minutieusement explorée vers l’amont et vers l’aval.
François Fejtö est bien connu des lecteurs de notre revue. Il est, sans conteste possible, le plus éminent spécialiste mondial du communisme, qu’il s’agisse des pays où celui-ci est au pouvoir, comme l’URSS, la Chine et les démocraties populaires, ou des partis qui luttent pour y accéder. Son œuvre est déjà considérable et se caractérise par une remarquable rigueur du raisonnement, par le recours systématique à des sources de première main et par une érudition quasi universelle touchant aux problèmes politiques et sociaux du temps présent. L’héritage de Lénine ne dément aucune de ces qualités. Il renforce en outre, à notre avis, la position de François Fejtö comme maître à penser en ces domaines si complexes du marxisme et du communisme. ♦