Défense en France - L'informatique dans l'Armée de terre - L'Institut des hautes études de défense (IHEDN) en Afrique
L’informatique dans l’Armée de terre
Ce n’est pas seulement de l’informatique, mais plus précisément de trois sortes d’informatique, dont il convient de parler dans les Armées :
– l’informatique scientifique, outil de base de la recherche opérationnelle,
– l’informatique liée à l’emploi des forces (quelquefois dite « spécifique »), qui prend naissance dans les systèmes d’armes modernes, calculateurs de tirs, réseau automatisé des transmissions, systèmes automatisés d’information du commandement, etc.,
– l’informatique de gestion, celle qui fait plus particulièrement l’objet du présent article, et qui résulte de l’importance des effectifs, de la diversité des matériels de dotation, de la recherche systématique d’une réduction des coûts d’entretien ; ces facteurs ont naturellement orienté les premiers travaux vers les domaines de la gestion.
Comme toutes les grandes entreprises modernes, l’Armée de terre connaît une évolution rapide de son informatique de gestion dans le sens d’une pénétration profonde du Traitement automatisé de l’information (TAI) dans l’ensemble de ses activités.
Ce développement a pu paraître plus lent, moins spectaculaire qu’ailleurs, cela est dû à la diversité des affaires traitées dont la complexité et le volume sont d’un ordre de grandeur sans pareil aussi bien pour les personnels que pour les matériels. En fait, une avance prudente a peut-être évité de courir le risque de s’équiper de matériels a priori surabondants et de connaître les difficultés que traversent dans ce domaine bon nombre de sociétés ayant procédé à des achats hâtifs.
La nouvelle ère de l’informatique exige de prendre un virage très serré, il faut le « négocier » avec fermeté certes, mais surtout avec précision. On se trouve confronté à une telle nouveauté que les besoins sont en général très difficiles à définir. C’est pourquoi un effort tout particulier a dû être entrepris dans les armées ces années dernières aussi bien sur le plan de la mise en place d’équipements que sur le plan de la formation des personnels appelés soit à mettre en œuvre ces moyens, soit à définir les applications automatisées. C’est cet effort qui va être présenté ici : dans ce premier article il sera fait un rapide tour d’horizon des réalisations actuelles, un second présentera l’évolution envisagée pour les années à venir.
Origine et organisation
C’est en 1962 que les premiers ordinateurs ont fait leur apparition au Service mécanographique de l’Armée de terre. Mais c’est à partir de 1967, avec la création du Service du TAI de l’Armée de terre (STAIAT) et la mise en place des ordinateurs de la 3e génération que l’informatique prit vraiment de l’importance dans tous les services qui étaient alors confrontés à des problèmes que ces machines nouvelles pouvaient résoudre. Elles leur permettaient en particulier de décharger les personnels d’exécution de tâches lourdes et répétitives, telles que les travaux de solde par exemple.
Très vite, devant la prolifération et une certaine dispersion de ces travaux, il a paru nécessaire de revoir les procédures à appliquer et d’en tirer des conclusions sur les structures à mettre en place. Ces études ont abouti en 1972 à une réorganisation basée sur la centralisation des moyens, confiés à une arme, et la décentralisation des applications au niveau des utilisateurs. En conséquence le STAIAT fut dissous et ses personnels répartis en deux secteurs d’études et d’exploitation. Les organes utilisateurs reçurent l’entière responsabilité de l’étude de leur propre automatisation et des cellules d’analyse et de programmation furent créées à cet effet dans les états-majors et les directions des services. La mise en œuvre des ensembles électroniques fut confiée à une division de l’Informatique au sein de la Direction centrale des Transmissions.
Les applications automatisées
À l’heure actuelle, la majeure partie des besoins de la gestion des personnels et des matériels est automatisée ; la définition du besoin repose sur deux applications fondamentales : l’ordre de bataille, fichier-répertoire où figurent tous les organismes de l’Année de Terre, et les tableaux d’effectifs et de dotation, fixant quantitativement et qualitativement les effectifs et les dotations théoriques.
Pour tenir compte des contraintes du moment, des charges particulières ou de certains déficits, l’État-major est amené à définir deux autres données de base : les droits ouverts pour les personnels et les droits précisés pour les matériels ; ces deux fichiers sont en cours de mise au point.
Pour permettre au commandement d’avoir une connaissance quantitative et qualitative de la ressource – deuxième volet de la gestion – des fichiers nominatifs ou numériques associent l’administration centrale, l’échelon régional et les corps de troupe.
Au niveau central, à partir de fichiers magnétiques qu’elle pilote et entretient, la Direction des personnels de l’Armée de terre gère les officiers d’active, les personnels d’active non-officiers, les engagés et les officiers de réserve. Des extraits de ces fichiers sont communiqués aux commandements régionaux qui les utilisent pour divers traitements. De même, les appelés sont gérés à partir du fichier de Gestion nominative des appelés (GNA) dont les éléments de base sont saisis dès le passage des futurs appelés aux centres de sélection. La plupart des documents de gestion sont alors édités automatiquement par l’ordinateur. Citons enfin les fichiers de l’Intendance permettant de traiter la solde de tous les personnels à solde mensuelle.
En ce qui concerne les matériels, l’aspect quantitatif l’emporte souvent sur l’aspect nominatif. Organisés autour des fichiers d’existants dénombrant et localisant la ressource, les applications permettent de suivre les consommations et d’engager les procédures de recomplètement automatique. En raison de leur coût ou de leur rareté, certains matériels ou composants sont suivis nominativement : les fichiers enregistrent tous les événements de leur vie et permettent de définir les bases d’une politique de gestion et d’entretien. D’autres applications, en comptabilisant les travaux, calculent les coûts d’entretien et de réparation.
Enfin, il faut signaler le rôle de pilote de l’Armée de terre en ce qui concerne la gestion automatisée de l’ensemble des domaines militaires.
Le tableau ci-après donne une idée du volume de quelques-uns de ces fichiers :
Fichiers principaux
|
Nombre d’articles |
Nombre de caractères en millions (M) |
Personnels |
- |
|
Recrutement |
8 200 000 |
2 000 M (en 7 régions) |
Incorporation |
220 000 |
|
Soldes |
170 000 |
170 M |
Ordre de bataille |
15 000 |
4 M |
Personnels d’active |
150 000 |
150 M (en plusieurs fichiers) |
Matériels |
|
|
Matériels complets (auto-char) |
200 000 |
20 M |
Fichiers historiques |
1 000 000 |
300 M |
Rechanges |
400 000 |
1 000 M (en plusieurs fichiers) |
En fait, l’Armée de terre apparaît comme un ensemble d’unités associées par des liens hiérarchiques et techniques, composées de personnels et dotées de matériels, utilisant une infrastructure, consommatrice de crédits et d’approvisionnements et mettant en œuvre ces moyens pour accomplir les missions qui lui sont confiées. À ce titre, elle devait être dotée d’un « système de gestion » total et si possible intégré. Or, ce n’est pas le cas dans le système actuel où les applications sont par trop individualisées et orientées vers la gestion pure. De nouvelles études sont à mener pour évoluer vers le système capable d’apporter à toutes les autorités ayant à en connaître les informations actualisées nécessaires à leur gestion et d’apporter à ces autorités des éléments synthétiques d’aide à la décision. C’est le but du schéma directeur actuellement mis au point à l’EMAT et dont il sera fait état dans un prochain exposé.
Les équipements
Les équipements d’exploitation, confiés à la Direction centrale des Transmissions, comprennent un certain nombre d’ordinateurs (et les périphériques correspondants) répartis en neuf centres de traitement de l’information.
Implantés à Paris et à Satory, deux centres nationaux sont équipés chacun de deux ordinateurs Siemens 4004. Le Centre René Carmille, à la Caserne Mortier à Paris, traite les problèmes de gestion des personnels ; il se voit aussi confier les applications logistiques de l’administration centrale qui ne trouvent pas leur place au Centre de traitement de l’information logistique de Satory, très chargé par les applications des services de l’Intendance et du Matériel.
Équipés chacun d’un ordinateur Burroughs 3700 ou 3500, les sept centres régionaux traitent des problèmes du service régional, même si ceux-ci sont fréquemment pilotés par l’administration centrale. Ces neuf centres représentent au total :
– une puissance de calcul de 1 676 Ko (1) de mémoire centrale,
– 2 milliards de caractères à ligne sur disques,
– 92 dérouleurs de bandes,
– 20 imprimantes rapides.
Le problème de la saisie des données est particulièrement compliqué du fait de la dispersion des points de saisie : centres de traitements, établissements de matériel ou de recrutement, etc. Les matériels correspondants sont nombreux, par exemple plus de deux cents perforatrices de cartes.
La Direction centrale des Transmissions met également en œuvre un réseau de transmissions de données permettant les échanges d’information entre centres. De même, entre centres et certains utilisateurs, cet échange d’informations s’effectue à l’aide de consoles d’interrogation mises en place dans les bureaux de l’EMAT, des grandes directions et des états-majors régionaux.
Enfin, quelques petits ordinateurs sont installés ou en cours d’installation pour des besoins particuliers, tels l’IBM 3 installé au Centre d’instruction du service du Matériel (CISM) à Châteauroux, ou encore les « multi 20 » qui vont équiper les dix centres de sélection du personnel du contingent.
Ces matériels, qui actuellement donnent satisfaction, risquent de se trouver saturés dans quelques années. Aussi des études sont-elles menées pour restructurer ce système et dans un premier temps pour installer vers 1976 le Centre national René Carmille au Mont Valérien où il pourrait préfigurer le centre directeur d’un réseau.
Il n’est plus question de sous-estimer le rôle que l’informatique joue dans toutes les branches des activités des Armées et de l’Armée de terre notamment. Chacun, à tous les niveaux, doit se plier à ses méthodes de travail particulières et utiliser au mieux les moyens offerts par cette science nouvelle. Qu’il s’agisse d’exploiter les produits d’ordinateur ou de poser un problème en termes d’automatisation, il convient d’adopter une « démarche informatique » où la rigueur est exempte de toute intuition. Il faut savoir poser son problème, définir avec minutie les besoins avant même d’ébaucher les grandes lignes d’une solution technique. Les études doivent être particulièrement exhaustives car toute modification des décisions initiales provoque des retards incompatibles avec les services attendus et la rentabilité du système. Ainsi se pose une fois de plus le problème de l’adaptation d’un nombre suffisant d’officiers utilisateurs ayant une bonne connaissance des possibilités des ordinateurs. Mais dans le cadre des Armées, la « formation permanente » est maintenant bien acquise et il ne fait pas de doute qu’elle permettra la recherche et la mise en œuvre de solutions judicieuses.
L’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) en Afrique
Du 14 au 27 février 1974, le second voyage de la XXVIe session de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) a conduit cadres et auditeurs, sous la direction du général de corps d’armée Jean Callet, dans quatre pays particulièrement représentatifs de l’Afrique médiane, objet de ses études actuelles : le Sénégal, le Zaïre, le Gabon et la Côte d’Ivoire.
L’étape dakaroise a été marquée par une série d’exposés sur le socialisme africain, l’Eurafrique, la planification au Sénégal, les problèmes de défense et la révision des accords franco-sénégalais. Après un tableau général de la situation présenté par le ministre des Affaires étrangères, le responsable du Plan a insisté sur un certain nombre d’objectifs prioritaires : diversification de l’économie sénégalaise par le développement de la culture du riz, des produits maraîchers, du coton, de la canne à sucre ; augmentation des facilités accordées aux investissements étrangers, promotion des exportations industrielles, impulsion au tourisme, accroissement des équipements collectifs…
Le contre-amiral Gabrié, commandant du point d’appui de Dakar, devait également évoquer les problèmes stratégiques de la région, et un fonctionnaire de la mission d’aide et de coopération mettait l’accent sur l’effort fait par la France dans le domaine culturel et technique.
Une halte au Musée des artistes sénégalais, riche en tapisseries hautes en couleurs et en peintures originales, une visite dans une ferme modèle aux environs de Dakar, un regard jeté sur le chantier de la future Foire de Dakar, et enfin une journée à l’Île de Gorée, pleine de soleil, de poussière et d’embruns, complétaient agréablement ce séjour sans pour autant faire oublier aux cadres et auditeurs de l’Institut la mesure des difficultés d’un pays dont la capitale a cessé d’être celle de l’Afrique occidentale tout entière et dont l’équilibre financier dépend trop largement du cours de l’arachide, encore tout dernièrement atteint par la sécheresse.
Après le Sénégal, le Zaïre. Trois conférences marquantes y furent données sur la situation politique, économique et culturelle du pays.
Le citoyen – puisque tel est le titre égalitaire de tout sujet zaïrois – Sakombi Inongo, Commissaire d’État à l’Orientation nationale, devait faire une assez forte impression sur son auditoire tant par l’élégance de son expression orale que par la force dynamique de ses convictions. Pays dirigé par un chef charismatique qui sait capter l’attention des foules par un verbe envoûtant et une propagande parfaitement au point, le Zaïre est à la recherche d’une « authenticité » dont les thèmes semblent magistralement orchestrés par le Mouvement populaire de la révolution, parti unique dont tout zaïrois semble être membre par naissance.
Un exposé qui retint particulièrement l’attention fut celui du général Molongya Maykusa, chef de cabinet à la Défense nationale, qui retraça les conditions difficiles dans lesquelles naquit en 1960 l’Armée zaïroise. En l’absence de tout cadre d’officiers, des sergents qui n’avaient pas trente ans à l’époque durent assumer du jour au lendemain des responsabilités auxquelles ils n’étaient nullement préparés. Aujourd’hui, sans renier les valeurs ancestrales mais avec la volonté de les préserver et de s’y ressourcer, l’Armée du Zaïre prend un visage moderne, adapté aux conditions spécifiques du pays, avec ses avions, ses parachutistes et des officiers d’état-major tout aussi capables que d’autres.
La visite du spectaculaire barrage d’Inga, fierté du Zaïre d’aujourd’hui, devait occuper la seconde journée d’un séjour qu’avaient par ailleurs illustré une très brillante réception, typiquement africaine par ses mets, à la Cité du Parti et un cocktail dans les jardins de la Résidence de l’Ambassadeur de France.
Avant de s’arrêter plusieurs jours à Abidjan, l’Institut devait faire une courte escale à Libreville. Une excellente présentation faite par S.E. M. Jean Ribo, Ambassadeur de France, des principales données gabonaises précédait deux exposés sur la gendarmerie et les forces armées gabonaises mettant parfaitement en relief un « pluralisme militaire » original qui juxtapose, au sein d’un même ensemble, gendarmerie, forces armées régulières, forces de sécurité nationale et garde présidentielle. Cadres et auditeurs furent particulièrement sensibles à la sympathie de l’accueil gabonais et à l’évidente solidité des liens affectifs qui demeurent entre la nouvelle République et l’ancienne « Métropole ».
Accueillis quelques heures plus tard, sur l’aérodrome d’Abidjan, dans la moiteur ivoirienne, par S.E. M. Raphaël-Leygues, les auditeurs de l’Institut devaient, après une nuit « climatisée » dans le somptueux « Hôtel Ivoire », commencer leur première journée ivoirienne en entendant trois exposés sur les problèmes de défense, les questions économiques et les aspects culturels.
La conférence du ministre des Forces armées et du Service civique mettait notamment l’accent sur les dangers internes ou externes auxquels la Côte d’Ivoire a été confrontée dans le passé et dont la menace, pour certains, n’est pas totalement écartée pour l’avenir. Pour prévenir ces risques, la Côte d’Ivoire, qui maintient sans complexe une fidélité consciente au modèle capitaliste libéral, s’est lancée résolument dans la lutte contre le sous-développement et mène une campagne efficace d’information et de participation par l’intermédiaire du Parti démocratique de la Côte d’Ivoire, section du Rassemblement démocratique africain (RDA). Une réception à la Chambre de Commerce devait d’ailleurs permettre de prendre une dimension encore plus précise du capitalisme ivoirien.
Mais le sommet de cette visite à Abidjan devait être, sans conteste, l’audience accordée par le président de la République, M. Houphouët-Boigny. Elle fut l’occasion pour le chef de l’État de brosser devant un auditoire séduit par l’élégance du langage tenu et le bon sens lucide des propos échangés, un tableau éblouissant de ce pays riche, occidentalisé sans pour autant perdre son âme, modernisé sans acculturation. Recherche constante et inlassable de la paix, développement du pays par l’appel aux capitaux de tous les horizons, amitié fidèle vouée à une France incarnant des idéaux communs, telles apparaissent les constantes d’une politique qui, sans renier l’héritage du passé, regarde l’avenir avec réalisme.
Deux belles réceptions devaient donner un certain faste à cette visite. L’une, offerte par le gouvernement ivoirien dans les salons de l’Hôtel Ivoire, l’autre par M. Raphaël-Leygues dans les jardins de sa résidence.
La dernière journée du séjour en Côte d’Ivoire fut consacrée à la visite, à Yamoussoukro, des domaines agricoles du Président. Un parcours à travers les champs de caféiers odorants, les plantations de manguiers et d’avocatiers et les rizières irriguées, donna aux visiteurs une idée de la richesse de ces cultures menées sur une échelle industrielle dans un paysage d’une sauvage beauté. ♦
(1) Ko = kilo-octet. Il s’agit d’une unité permettant de chiffrer la capacité d’une mémoire centrale. Un octet permet l’enregistrement de 8 signaux électroniques.