Défense dans le monde - États-Unis : le rapport annuel du Secrétaire à la Défense ; parade technologique américaine à l'effort militaire soviétique - Suisse : budget de défense pour 1974
États-Unis
Le rapport annuel du secrétaire à la Défense
M. Schlesinger, secrétaire à la Défense, a présenté le 5 février 1974 son rapport annuel devant la Commission sénatoriale des forces armées. Complément logique au projet de budget présenté la veille par le Président Nixon, ce rapport définit les grandes lignes de la politique de défense américaine et précise plus particulièrement la situation des forces armées au cours de la prochaine année budgétaire.
Les effectifs militaires des États-Unis sont actuellement inférieurs à ce qu’ils étaient en 1964 avant l’engagement au Vietnam. Pourtant, malgré une certaine détente dans les rapports entre l’Est et l’Ouest, bien des aspects de la situation internationale exigent, plus qu’il y a dix ans, un effort de défense soutenu : l’accroissement des potentiels militaires soviétiques et chinois, la multiplication des intérêts américains outre-mer rendent plus lourde la tâche des États-Unis sur lesquels repose essentiellement la sécurité du monde libre.
Aussi, pour importants qu’ils puissent paraître, les crédits demandés par le département de la Défense (85,8 milliards de dollars) sont, aux yeux de M. Schlesinger, le minimum indispensable pour conserver aux États-Unis un ensemble de forces équilibrant celles de l’adversaire. Le secrétaire à la Défense tient d’ailleurs à souligner que le pouvoir d’achat de ce budget est le plus faible depuis plus de dix ans et que, si son montant est de 5,2 Md supérieur à celui de l’année dernière, l’augmentation des coûts et des soldes en est seule responsable.
Le budget 1974-1975 est la traduction des options suivantes :
• Sur le plan stratégique, amélioration par un effort soutenu de recherche et de développement des trois composantes sol-sol, mer-sol et air-sol des forces stratégiques offensives afin de prémunir le pays contre un éventuel échec des négociations SALT II (limitation des armes stratégiques) et, en contrepartie, réduction de la défense aérienne du territoire américain rendue inefficace par la limitation des ABM (Missiles antibalistiques).
• Sur le plan des forces d’emploi général, fin des réductions d’effectifs, exploitation des enseignements du conflit du Proche-Orient pour le lancement de certains programmes d’armements, et accroissement de la mobilité et de la capacité opérationnelle des unités.
Ces choix budgétaires se situent dans le cadre de l’orientation que M. Schlesinger entend donner à son département :
• À court terme, la souplesse de l’appareil de riposte stratégique doit être recherchée en priorité pour accroître la crédibilité de la dissuasion ; le volume et le perfectionnement des forces dépendra de l’attitude de l’URSS et de l’évolution des SALT. Le problème de la participation des forces américaines à la défense de l’Europe devra être résolu dans les trois ans sur des bases durables permettant d’assurer à la fois la sécurité de l’Alliance et une répartition équitable des charges de la défense commune. Simultanément, le développement du transport aérien stratégique permettra de baser une plus grande proportion des unités d’intervention aux États-Unis, sans diminuer leur aptitude à faire face rapidement aux engagements américains dans le monde.
• À plus long terme, cinq principes immuables doivent, selon M. Schlesinger, rester à la base de la politique de défense américaine :
– La sécurité du pays repose sur une défense forte.
– Les États-Unis assument inévitablement le rôle principal dans la sécurité du monde libre.
– Les personnels des forces armées, dont le dévouement à la nation est sans égal, ont droit au respect et à la sollicitude de tous.
– Les ressources nationales doivent être gérées de façon rigoureuse et sage.
– Les États-Unis peuvent et doivent renforcer leurs positions face à tous leurs adversaires dans tous les domaines et sur tous les théâtres.
Ainsi, tout en s’adaptant avec réalisme à l’évolution de la situation marquée essentiellement par les négociations SALT et le conflit du Proche-Orient, la politique de défense des États-Unis se caractérise par sa continuité. Ce trait apparaît aussi bien au niveau des principes qu’à celui des options budgétaires et des programmes majeurs d’équipement des forces : l’Administration Nixon, sans céder aux pressions de l’opposition intérieure, entend maintenir un potentiel de défense suffisant pour préserver la sécurité des États-Unis et du monde libre.
Parade technologique américaine à l’effort militaire soviétique
À l’heure même où, le 5 février 1974, le secrétaire à la Défense, M. Schlesinger. présentait le projet de budget 1974-1975 de son département, l’amiral Moorer, président du Comité des chefs d’état-major, analysait la menace qui pèse sur les États-Unis et les parades à y apporter.
Les défis lancés à la puissance militaire américaine par « son adversaire éventuel le plus puissant – l’URSS » (1) concernent à la fois le domaine des armes stratégiques et celui des forces d’emploi général ; les assurances que doivent prendre les États-Unis pour s’y opposer, compte tenu du volume volontairement réduit de leurs forces, reposent principalement sur le maintien de l’avance technologique américaine.
Sur le plan des armes stratégiques, où cette avance avait jusqu’à maintenant largement compensé l’avantage du nombre concédé aux Soviétiques dans le cadre des accords SALT I, l’effort de modernisation entrepris par l’URSS ne manque pas d’inquiéter l’amiral Moorer. Selon lui, les initiatives soviétiques dans ce domaine pourraient dans quelques années remettre en cause l’équilibre actuel et placer les États-Unis dans une position d’infériorité.
L’URSS s’est en effet engagée dans un vaste programme d’amélioration des armes offensives stratégiques. L’introduction des têtes nucléaires MRV sur les missiles intercontinentaux SS-11, le renforcement des silos de lancement, le déploiement des nouveaux missiles SSN-8 (7 500 km de portée) à bord de trois sous-marins de classe Delta, le développement du bombardier stratégique Tupolev Tu-22M Backfire (2) et celui de quatre types nouveaux de missiles intercontinentaux, en sont les aspects les plus significatifs.
Face à ces menaces nouvelles, les États-Unis s’efforcent d’accroître la protection, la souplesse et les capacités de réponse de leur force d’ICBM (Missiles balistiques intercontinentaux) Minuteman dont le déploiement sera totalement achevé en 1975. Ils poursuivent également leurs efforts d’amélioration qualitative de ces armes et accélèrent le programme du système Trident (sous-marin nucléaire et missile C-4 d’une portée de 7 000 km). Le bombardier stratégique Rockwell B-1 Lancer, dont la capacité d’emport est double de celle du B-52 Stratofortress, accroîtra singulièrement la puissance de la flotte aérienne stratégique, si la série prévue de 240 appareils est maintenue.
Sur le plan des forces stratégiques défensives, que les accords SALT I ont définitivement limitées à deux sites de défense antimissile, le Pentagone envisage de remplacer une grande partie du parc aérien d’intercepteurs par les nouveaux chasseurs de supériorité aérienne McDonnell Douglas F-15 Eagle et Grumman F-14 Tomcat (de la classe du MiG-25 Foxbat), dont la double capacité – interception et appui tactique – garantira la sécurité de l’espace aérien continental.
Mais c’est surtout dans le domaine de la recherche que les Américains entendent décevoir les tentatives soviétiques de rompre l’équilibre stratégique et se prémunir contre un éventuel échec des négociations SALT II. Les efforts principaux porteront sur les moyens de surveillance (radar OTH-B - Système de détection et de commandement aéroporté [AWACS]) tout autant que sur les armes offensives (Sous-marins nucléaires lanceurs d’engins [SNLE] plus petit et plus silencieux, c’est-à-dire plus discret que le Trident missile intercontinental mobile, voire aéroporté têtes nucléaires à trajectoire de rentrée guidée) et défensives (développement d’un nouveau système ABM, plus élaboré que le système Safeguard).
Les forces d’emploi général, dont l’importance s’accroît dans la mesure où se réalise et se maintient l’équilibre stratégique, seront l’objet d’un soin particulier de la part du Pentagone.
Dans ce domaine, en effet, les Soviétiques ont développé plusieurs systèmes d’armes qui leur ont permis de combler une grande partie du handicap dont souffraient leurs forces au point de surclasser les Américains dans un certain nombre de secteurs. Ces efforts ont porté sur la réalisation de nouveaux véhicules blindés, l’amélioration des forces aériennes tactiques et des forces navales pour lesquelles la construction d’un porte-aéronefs STOL (Avion à décollage et atterrissage courts) marque un tournant important. Dans leur ensemble, les programmes en cours de développement portent sur neuf types de matériels nouveaux.
Pour répondre à ces menaces, dont la plus inquiétante concerne les forces navales, l’Administration américaine va lancer un important programme de modernisation des forces d’emploi général. Ainsi, pour la première fois depuis longtemps, le nombre des navires en service à la mer cessera en 1975 de décroître et cette tendance devrait se confirmer jusqu’en 1979. Les forces aériennes tactiques seront valorisées par la mise en ligne des F-14 et F-15.
Parallèlement, un vigoureux effort de recherche permettra aux États-Unis de préserver l’avance qu’ils ont toujours possédée dans le domaine de la technologie. Le Sous-marin d’attaque nucléaire (SNA) classe 688, le bâtiment amphibie LHA (porte-hélicoptères d’assault), le porte-aéronefs d’escorte (SCS) et la frégate équipée de missiles Harpoon, offriront une meilleure protection des lignes de communications maritimes et une plus grande capacité d’intervention. Le développement de l’avion d’appui tactique Fairchild A-10 Thunderbolt II ainsi que les cinq programmes majeurs de l’armée de terre (« Big Five ») accroîtront la puissance des forces de manœuvre.
En définitive, l’amiral Moorer a, dans son analyse, mis l’accent sur les tentatives faites par les Soviétiques en vue de rattraper leur retard technologique et les dangers que cet effort représentait pour les États-Unis. Ceux-ci doivent, pour sauvegarder leurs intérêts vitaux, lancer de vastes programmes de recherche et de modernisation de leurs forces armées. C’est à ce prix que sera préservée la sécurité du pays.
Suisse : budget de Défense pour 1974
C’est sans grand débat qu’a été adopté, par l’Assemblée fédérale, le budget de la Confédération helvétique pour l’année 1974. Celui-ci s’élève à 12 851 millions de francs suisses (1 FS = 1,58 FF), soit un accroissement de 13 % par rapport à l’année précédente. La part réservée à la défense est de 2 662 M FS, en augmentation nominale de 174 M, soit 6,3 % par rapport à l’année précédente. Elle est néanmoins en régression par rapport au budget général puisqu’elle n’en représente plus que 20,7 % contre 22 % en 1973. On notera que le budget de défense suisse comprend également les crédits de la défense civile.
Les dépenses proprement militaires s’élèvent à 2 415 M FS contre 2 281 M pour l’exercice précédent, soit un léger accroissement. Dans ce chapitre les dépenses de fonctionnement atteignent 69 % des crédits, ce qui entraîne une limitation de plus en plus sensible de la part réservée aux investissements. Les crédits alloués à la préparation matérielle à la guerre (acquisition du matériel, constructions et entretien) sont en légère diminution par rapport à 1973 (3) et favorisent les frais d’exploitation et d’entretien au détriment de l’acquisition de matériels. Cette tendance se manifeste d’ailleurs à l’occasion du choix du nouvel avion de combat. Les autorités helvétiques marquent en effet leur préférence pour le Northrop F-5E/F (monoplace/biplace) Tiger II qui coûte moins cher que le Dassault Mirage F1 français ou le SAAB Viggen suédois. Cette solution permettrait d’acquérir un nombre suffisamment élevé d’avions tout en respectant les limites étroites du plan financier. Le souci de ne pas surcharger l’économie nationale contraint donc les experts militaires à se contenter d’un programme d’équipement restreint mais raisonnable.
Les crédits octroyés à la protection civile s’élèvent à 221 M, soit 17,5 % de plus que l’an passé. Ils constituent la majeure partie des crédits de la Défense civile. La protection civile continue donc à bénéficier d’un effort particulier puisqu’en 1973 elle était déjà en augmentation de 12 % sur 1972. Là encore, le volume des crédits affectés à l’acquisition des matériels étant très voisin de ceux du budget précédent, il en résulte qu’aucune nouvelle acquisition ne pourra être faite au-delà des engagements déjà contractés.
Quoique les crédits militaires représentent encore une part appréciable du budget général, ils ne permettent pas de promouvoir une politique d’équipement ambitieuse. La dégradation du rapport investissement-fonctionnement se confirme par un déplacement sensible du centre de gravité des dépenses. Si cette tendance se poursuit, il est à craindre que l’Armée suisse ne soit placée dans une situation difficile, d’autant plus que les fondements de la défense semblent actuellement remis en question par une partie de l’opinion publique. ♦
(1) La Chine n’est pas considérée pour l’heure, malgré les efforts qu’elle entreprend, comme un adversaire menaçant directement les États-Unis.
(2) Le rôle et les possibilités de cet appareil n’ont pas encore été évalués avec précision par le Pentagone.
(3) Préparation matérielle à la guerre : 1973 = 71,9 % des dépenses proprement militaires ; 1974 = 70,9 %.