Défense dans le monde - États-Unis : les SALT après le voyage à Moscou du Secrétaire d'État - Grande-Bretagne : orientation de la politique de défense du Gouvernement travailliste - Mer du Nord : défense des installations pétrolières - Grèce-Turquie : tension au sujet de Chypre et des eaux territoriales en mer Égée
États-Unis : les SALT après le voyage à Moscou du secrétaire d’État
Le récent voyage de M. Kissinger à Moscou a ramené l’attention sur les discussions sur la limitation des armements stratégiques (SALT). Il apparaît intéressant à cette occasion de rappeler quelles sont les positions des deux parties et de tenter de faire le point de l’évolution des négociations.
Depuis l’ouverture de la deuxième phase des SALT (21 novembre 1972), les thèses soviétiques et américaines sont apparues difficilement conciliables, chacun cherchant, tout en préservant ses avantages, à neutraliser la supériorité adverse.
L’URSS revendique essentiellement :
– L’inclusion, dans l’accord définitif, d’une limitation des bombardiers stratégiques, dont l’emploi serait interdit pour des missions nucléaires.
– L’extension de l’accord aux FBS (1) et aux bases stratégiques américaines à l’étranger.
– La prise en considération des forces nucléaires stratégiques française et britannique.
– La limitation du nombre des MIRV (Multiple Independently targeted Reentry Vehicle) tant sur missiles lancés de sous-marins (SLBM) que sur engins balistiques intercontinentaux (ICBM).
Les États-Unis font porter leur effort sur l’établissement d’un plafond global des systèmes centraux stratégiques – ICBM, SLBM et bombardiers – étant entendu que des dispositions appropriées pourraient permettre des substitutions entre ces catégories d’armes, ICBM exceptés. Pour Washington en effet, il est d’une importance primordiale de fixer une limite aux ICBM équipés de MIRV en raison du potentiel de contre-forces qu’ils représentent par leur précision et leur puissance ; mais les Américains considèrent que la limitation doit s’appliquer à la capacité d’emport des fusées et non au nombre des têtes MIRV, comme le veulent les Soviétiques.
En tout état de cause, le chef de la délégation américaine à Genève, M. Johnson, a souligné l’importance que son pays attachait au problème de la « vérification adéquate » des accords éventuels. Quant aux autres problèmes (FBS et forces stratégiques alliées notamment), il n’est pas dans les intentions américaines de les aborder avant que celui de la parité numérique globale des systèmes centraux ait été résolu.
Devant l’opposition des thèses en présence, il apparaît évident, après seize mois de discussions, qu’un déblocage des travaux ne peut être le fait des experts réunis à Genève. Les négociations ne sortiront éventuellement de l’enlisement que par une impulsion donnée au niveau politique le plus élevé.
Dans ce contexte, le récent voyage de M. Kissinger à Moscou avait suscité chez certains des espoirs reposant davantage sur le prestige de négociateur du secrétaire d’État que sur une analyse lucide des divergences séparant les deux parties. L’ampleur de la déception a été à la mesure de l’illusion et la presse a parlé d’échec.
Il faut cependant rappeler que la mission de M. Kissinger n’était qu’un préliminaire au voyage de M. Nixon prévu pour le mois de juin et que, si le secrétaire d’État n’a pas ramené d’accord, il a su préserver au voyage présidentiel toutes ses chances de succès. Ainsi, ce qui a été appelé un échec ne comporte pas que des aspects négatifs pour les États-Unis : les craintes croissantes des conservateurs américains hostiles à la détente ont été calmées dans l’immédiat, alors que les conversations restent engagées et l’avenir préservé.
En définitive, toutes les hypothèses restent envisageables sur l’évolution des SALT d’ici à la fin de l’année :
– une absence totale d’accord,
– un accord portant sur l’ensemble des systèmes stratégiques.
– un accord se limitant aux principes,
– un accord portant exclusivement sur les MIRV,
– une combinaison de ces deux dernières possibilités.
Si les deux premières éventualités paraissent à écarter – l’une pour des raisons politiques, l’autre parce que trop ambitieuse pour être réalisée à court terme – les trois dernières restent plausibles.
Le prochain voyage du président Nixon en URSS devrait, à cet égard, apporter des éclaircissements.
Grande-Bretagne : orientation de la politique de défense du Gouvernement travailliste
Contrairement à certaines craintes apparues lors du changement de gouvernement intervenu début mars en Grande-Bretagne, il ne semble pas que la politique de défense britannique soit appelée à de profondes modifications avant de nouvelles élections.
Minoritaire, le gouvernement travailliste est résolu à créer le plus rapidement possible les conditions favorables à une prochaine consultation pour obtenir la confirmation de son mandat. Menacé d’y être poussé à l’improviste et à contretemps par une conjonction des oppositions, il se cantonne généralement dans une politique d’attente dominée par des préoccupations électorales.
Ce souci de se conformer aux courants majoritaires de l’opinion explique la résolution dont il a fait preuve en matière européenne aussi bien que la prudence qu’il manifeste dans les autres domaines, en particulier dans celui de la défense. D’un côté il s’agit de s’affirmer par la remise en question d’un engagement européen très contesté dans le pays tandis que de l’autre il conviendrait plutôt de ménager le prestige national en même temps que celui des forces armées qui continuent l’un et l’autre de bénéficier d’un large soutien populaire.
La conjonction de ces deux tendances se traduit par le renouveau d’intérêt donné au courant atlantiste en contrepartie du désengagement européen et par le maintien d’un effort de défense important en dépit d’énormes difficultés budgétaires. Ceci étant posé, il convient cependant de noter que le gouvernement travailliste aux prises avec une situation économique et sociale particulièrement difficile n’a pas encore été en mesure de consacrer le temps nécessaire à l’examen approfondi de ses engagements de défense.
Au stade actuel les options de défense demeurent au niveau de l’énoncé des principes. Le nouveau ministre Roy Mason les a définies dans les termes suivants : « Dans le discours du Trône, le Gouvernement s’est engagé à poursuivre, en consultation avec ses alliés, une politique tendant à maintenir un système de défense moderne et efficace tout en réduisant son coût en proportion des ressources nationales ». « Afin de définir cette politique, j’ai ordonné l’examen des engagements de la défense et de ses capacités eu égard aux ressources que nous pouvons nous permettre d’affecter à la défense, compte tenu des perspectives économiques du pays. L’Otan, qui est la clef de voûte de notre sécurité, aura la priorité dans les ressources attribuées à la défense mais nous considérons que le fardeau que nous supportons dans l’Otan doit être rendu égal à ceux de nos principaux alliés européens ».
« Hors de l’Europe, nous examinerons dans chaque cas la contribution apportée au maintien de la paix et de la stabilité par notre présence militaire tout en rappelant la décision prise en 1968 par le Gouvernement de Sa Majesté de retirer ses forces de l’Asie du Sud-Est… Notre intention est d’effectuer ce réexamen plus tard, dans l’année, en liaison avec nos alliés ».
Du côté financier, le budget provisoire présenté aux Communes le 26 mars 1974 n’introduit aucun changement majeur mais sera révisé avant la fin de l’année. Il est cependant intéressant de remarquer que la situation du pays avait conduit les conservateurs à faire supporter en décembre 18 % des économies par le budget militaire alors que les travaillistes ont limité à 7 % la contribution de la défense aux nouvelles réductions qu’ils ont dû imposer. L’abattement correspondant est de 178 millions de Livres pour les uns et de 55 M seulement pour les autres. Au total, le budget de défense reste fixé à 3 612 M£ pour 1974-1975 contre 3 375 l’année dernière, ce qui le maintient dans la zone des 4 % du PNB.
Compte tenu de l’érosion monétaire de 12 % depuis un an, de la hausse récente de 25 % du prix de l’acier, de celle de l’énergie et des autres matières premières, on peut estimer que le budget 1974-1975 a été légèrement réduit par rapport au précédent. Cependant, cette réduction reste hors de proportions avec le chiffre de 30 % avancé, sans succès d’ailleurs, lors du congrès travailliste de septembre 1973. Au chapitre des équipements, si la Navy subit une très légère diminution, l’Army et la Royal Air Force bénéficient d’une augmentation.
Dans l’état actuel des choses, bien que la continuité semble assurée, le caractère très général des déclarations du ministre aussi bien que l’aspect intérimaire du budget ne permettent pas encore de tirer des conclusions fermes. Des éclaircissements seront apportés sans doute vers la fin du printemps, lors de la publication du prochain Livre blanc sur la Défense qui interviendra lorsque le réexamen des engagements et des possibilités de la défense aura été achevé.
Mer du Nord : défense des installations pétrolières
Susceptible de modifier le rapport des forces existant entre les pays, le pétrole revêt en matière de défense une importance capitale. Les Britanniques et les Norvégiens en sont parfaitement conscients et se penchent sur le problème que pose la protection des installations pétrolières, objectifs militaires s’il en est.
Ce problème se présente sous un double aspect : prévention contre le sabotage en temps de paix ou de crise, défense proprement dite en cas de conflit. Il est certes loin d’être résolu mais il a d’ores et déjà fait l’objet d’études approfondies.
Du côté britannique, l’idée d’un commandement de la mer du Nord qui serait subordonné à la fois au ministère de la Défense et au ministère du Commerce et de l’Industrie a été avancée, à la fin de l’an dernier, par un groupe de travail composé de professeurs de deux universités écossaises. Ce groupe a préconisé la constitution d’une force mixte réunissant des hommes de la marine de guerre et des spécialistes civils.
Le ministère de la Défense, pour sa part, envisage, dans l’immédiat, de confier à la Royal Navy la protection des installations contre le sabotage. Il l’a par ailleurs chargée de mettre au point, à plus long terme, un système de défense maritime.
La mission de surveillance des champs pétrolifères sera probablement dévolue à la Royal Naval Reserve qui pourrait être équipée, dans ce but, de patrouilleurs type Bird Class.
Le ministère de la Défense a, d’autre part, demandé à la RAF d’étudier des plans d’urgence pour la mise en œuvre, par un système de détection lointaine, de la chasse basée à terre.
Parmi les systèmes réalisables, il est notamment possible d’envisager :
– la surveillance permanente des champs pétrolifères par des avions spécialement équipés, dotés de radars d’approche, tel le Hawker Siddeley Nimrod,
– l’équipement des installations de forage en moyens de détection et de télécommunications appropriés.
Une autre solution peut également être envisagée. Elle consisterait à remplacer la chasse lointaine basée à terre par des avions à décollage vertical, du type Hawker Siddeley Harrier navalisé par exemple, qui seraient mis en œuvre à partir de plates-formes mobiles ou fixes.
Du côté norvégien, le gouvernement a publié en 1973 un plan à long terme concernant la défense qui prévoit que de nouvelles missions, liées à l’activité qui règne sur le plateau continental, pourront être confiées aux forces armées.
Ces missions ne sont pas encore nettement définies mais il est vraisemblable que la marine de guerre en aura la plus grande part. Bien qu’elle ne compte qu’un effectif de 7 000 hommes et ne dispose pas d’aéronautique navale indépendante, c’est un outil efficace tant par la qualité de son entraînement que par la valeur de son commandement. Un certain nombre de projets intéressant les forces navales sont d’ailleurs inscrits au plan et notamment la construction d’un bâtiment de surveillance pour la haute mer.
La politique de défense du Royaume-Uni, tout comme celle de la Norvège, se fonde sur l’appartenance à l’Alliance atlantique et elle sera poursuivie aussi longtemps que l’Otan sera en mesure d’agir avec efficacité.
Les Britanniques espèrent, quant à eux, que les ressources de la mer du Nord auraient, en cas de conflit, une importance telle pour l’Alliance que leur sécurité deviendrait une des missions prioritaires de l’Otan.
Les Norvégiens, pour leur part, s’interrogent. Comment serait assurée la sécurité de leur zone si les difficultés qui se sont récemment fait jour au sein de l’Organisation Atlantique venaient à l’affaiblir, voire à la faire disparaître ? Le journal travailliste Arbeiderbladet répond à la question en proposant plusieurs solutions depuis le retour à la neutralité jusqu’à la conclusion d’un pacte avec les États-Unis auquel pourraient éventuellement participer le Canada et l’Islande.
Tant que la politique de détente engagée entre les deux Super-Grands se poursuit, les forages en mer du Nord ne sont pas directement menacés mais il en irait tout autrement si cette politique échouait. Situées dans une zone relativement proche de l’adversaire éventuel, les installations pétrolières seraient, en cas de conflit avec l’Est, tout particulièrement vulnérables, surtout celles qui se dressent « en première ligne » au large des Shetlands.
Grèce-Turquie : tension au sujet de Chypre et des eaux territoriales en mer Égée
Depuis qu’elles sont alliées au sein de l’Otan, la Grèce et la Turquie ont toujours conservé deux sujets de querelle : le problème des minorités en Thrace et la question chypriote. Si le premier problème a perdu de son acuité depuis quelques années, l’affaire de Chypre est toujours restée d’actualité et amène périodiquement les deux pays à des escalades verbales, parfois même à des démonstrations de force. Une nouvelle phase de tension est ainsi apparue début avril avec une déclaration du Premier ministre turc prônant un État fédéral à Chypre, ce qui a amené immédiatement une réaction de Mgr Makarios et la suspension, une fois de plus, des négociations intercommunautaires laborieusement poursuivies depuis 1968.
Un nouveau différend surgi depuis quelques semaines semble devoir compliquer les relations des deux pays pour longtemps : il s’agit de la question des eaux territoriales et de la souveraineté sur le plateau continental de la mer Égée. La récente découverte d’un gisement pétrolier à Thasos, île la plus septentrionale de la mer Égée, avait en effet attiré l’attention sur les possibilités prometteuses en hydrocarbures de cette région. Aussi le gouvernement turc avait concédé à sa société pétrolière d’État 27 zones de recherche et d’exploitation dans l’est de l’Égée, à proximité d’un certain nombre d’îles grecques (Lemnos, Chios, Lesbos, Samothrace). Ankara espérait également poser le problème du plateau continental en marge de la conférence méditerranéenne sur le droit maritime qui s’est tenue à Athènes du 11 au 14 mars. Mais les Grecs ne se sont pas prêtés à l’examen de la question, estimant que les stipulations de la Convention de Genève de 1958, ratifiée en 1972 par Athènes, mais non par Ankara, établissaient clairement leurs droits exclusifs sur la zone considérée. Le gouvernement turc redoute de plus que les dirigeants helléniques portent la limite des eaux territoriales de leurs îles de 6 à 12 milles, ce qui permettrait à Athènes d’entamer d’éventuelles négociations en position de force.
La tension gréco-turque s’est manifestée essentiellement dans la presse, dont le ton est monté sensiblement durant la première quinzaine d’avril, mais aussi dans les déclarations de quelques personnalités gouvernementales. Un seul incident a été noté : au cours de manœuvres aéronavales de l’Otan en mer Égée, des avions turcs surveillés par une escadrille hellénique ont effectué des bombardements simulés jugés trop proches d’îles grecques. Il n’est pas impossible que ces difficultés entre les deux pays soient artificiellement grossies des deux côtés pour des raisons d’ordre intérieur.
Le caractère apparemment artificiel de la tension actuelle entre Grèce et Turquie permet toutefois de penser qu’elle ne met pas en cause la solidité du flanc sud-est de l’Otan. La fidélité des deux pays à l’alliance semble devoir rester une constante à moyen terme, notamment tant que les forces armées y joueront, directement ou indirectement, un rôle politique prépondérant. ♦
(1) Forward Based Systems : systèmes sur bases avancées. Il s’agit des chasseurs-bombardiers américains, à moyen rayon d’action et à capacité nucléaire, déployés sur des bases terrestres en Europe ou sur des porte-avions de la VIe Flotte et susceptibles d’atteindre le sol de l’URSS. Les Soviétiques assimilent également aux FBS les sous-marins lanceurs d’engins SLBM opérant à partir de bases avancées en Europe (Rota en Espagne et Holy Loch en Écosse).