Défense dans le monde - La Conférence de sécurité et de coopération en Europe (CSCE) - États-Unis : le projet de budget d'aide à l'étranger pour l'exercice 1974-1975 - Amérique latin : le « nouveau dialogue » des États-Unis avec l'Amérique latine - Norvège : politique pétrolière
La Conférence de sécurité et de coopération en Europe (CSCE)
L’évocation récente, à Moscou par M. Kissinger et à Genève et Nicosie par MM. Gromyko et Kissinger, des travaux menés dans le cadre de la CSCE relance l’intérêt d’une conférence parvenue au dix-septième mois de négociations et dont l’Union soviétique et les États-Unis souhaitent une rapide conclusion.
Constante de la politique soviétique depuis 1954, l’idée d’une conférence européenne de sécurité était avant tout destinée, dans l’esprit des dirigeants soviétiques, à consacrer le statu quo en Europe et à conférer un statut juridique officiel aux conquêtes consécutives à la deuxième guerre mondiale. L’accord quadripartite sur Berlin et l’adhésion soviétique au projet occidental de discussions sur les Réductions mutuelles et équilibrées des forces (MBFR) rendirent possible l’ouverture à Helsinki, le 22 novembre 1972, de la CSCE. Regroupant les représentants de trente-cinq pays (1), elle débutait par des pourparlers multilatéraux préliminaires conclus le 7 juillet 1973 par un « document final » laissant le soin à trois commissions d’experts – ou « corbeilles » – (sécurité, coopération économique, coopération humanitaire) et à un comité de coordination de mener les discussions prévues à l’ordre du jour du document final. Les accords issus de ces discussions devraient être ratifiés lors de la session constituant la troisième phase et prévue à Helsinki en 1974.
Au huitième mois de la deuxième phase – travaux des commissions d’experts en cours – les discussions sont sur le point d’aboutir dans les domaines couverts par la deuxième commission (coopération économique), à l’exception du problème d’application de la clause de la nation la plus favorisée demandée sans succès par les Soviétiques.
En revanche, au sein de la première commission (sécurité), les experts progressent avec une extrême lenteur, notamment en matière d’accord sur les dix principes qui pourraient constituer l’ossature d’une éventuelle « charte » : trois d’entre eux seulement ont franchi le cap de la phase rédactionnelle, dont le compromis sur l’inviolabilité des frontières, difficilement acquis en avril 1974 et considéré par Moscou comme un événement d’une « signification exceptionnelle ».
Les points litigieux portent essentiellement sur les problèmes de la troisième commission (coopération humanitaire) : les Soviétiques estiment en effet que les mesures de libre circulation demandées par les Occidentaux sont incompatibles avec les exigences de souveraineté nationale et de sécurité interne.
Quant aux « suites » de la Conférence, elles font l’objet de propositions divergentes, certains pays européens estimant même nécessaire de prévoir une période d’« observation » de trois années après la conclusion des discussions en cours.
Le rythme actuel des discussions et l’importance des problèmes en suspens ne permettent pas, en toute logique, d’envisager la conclusion des travaux de la CSCE pour l’été 1974 comme le souhaitent Américains et Russes. Des éléments extérieurs pourraient cependant accélérer le déroulement des conversations, au risque de limiter la portée pratique des conclusions de la Conférence : États-Unis et Union Soviétique parviendraient, dans le cadre de relations bilatérales, à une entente sur les principaux problèmes sur lesquels achoppe actuellement la Conférence, et compteraient sur un effet d’entraînement pour obtenir le ralliement des trente-trois autres États. Les arguments suivants militent en faveur de cette thèse :
– la conjoncture politique actuelle ne place pas la CSCE au premier rang des préoccupations américano-soviétiques, largement orientées vers les prochaines conversations de Moscou, l’évocation des problèmes SALT et la solution de la crise du Moyen-Orient ; en outre, l’intérêt des Américains pour la CSCE n’a jamais été particulièrement vif et les Soviétiques sont bien conscients du désir des États-Unis de conclure une négociation qui a trop duré ;
– en dépit du faible volume des résultats actuellement acquis, MM. Nixon et Brejnev auraient manifesté le désir de parapher les documents de clôture de la CSCE dès l’été 1974, dans le cadre d’une réunion tenue au niveau des chefs d’État participants à Helsinki ;
– pour les Soviétiques, l’accord obtenu sur le principe de l’inviolabilité des frontières vaut reconnaissance des limites territoriales de l’après-guerre et réalise à leurs yeux l’un des buts essentiels de la Conférence ; le recours à la notion de souveraineté nationale leur permettra éventuellement de contrer ou de limiter la portée des autres principes pour lesquels un accord aura été obtenu.
Ces éléments, joints au désir commun des deux Grands de préserver la politique de détente, pourraient favoriser une conclusion prochaine des discussions de la deuxième phase, la troisième phase intervenant alors au niveau des chefs d’État (ou des ministres) à Helsinki avant la fin de l’année 1974.
États-Unis : le projet de budget d’aide à l’étranger pour l’exercice 1974-1975
Le président Nixon a présenté au Congrès, le 24 avril 1974, les prévisions de dépenses pour l’année budgétaire 1974-1975 au titre de l’aide à l’étranger – chapitre « Fonds attribués au président ». Ces demandes, qui s’élèvent à 5,18 milliards de dollars (2), soit 2,5 Md de plus que le budget précédent (3), représentent une augmentation de 960 millions par rapport aux prévisions initiales contenues dans le projet de budget fédéral pour l’exercice 1974-1975. Ce dépassement tient à l’inscription, en dernière heure, de crédits spéciaux pour le Moyen-Orient (4).
Ces demandes s’insèrent dans l’enveloppe totale des dépenses prévues pour l’aide à l’étranger qui recouvre deux grands ensembles :
– d’une part, les crédits d’aide militaire déjà inscrits au budget du Département de la Défense et qui complètent la rubrique d’assistance à la sécurité internationale. Ils s’élèvent pour 1974-1975 à 1,35 Md ;
– d’autre part, les fonds « accordés au Président », objet de la demande du 24 avril 1974 et attribués au Département d’État. Ces crédits figurent sous quatre rubriques :
a) Assistance économique et financière,
b) Aide humanitaire (Food for Peace),
c) Information et échanges culturels,
d) Participation aux affaires internationales.
a) L’assistance économique et financière englobe les programmes d’assistance à la sécurité internationale destinés à aider les pays alliés à assurer leur propre défense. En plus des crédits inscrits au budget de la Défense, ces programmes reçoivent 118 M au titre de l’Assistance de soutien (Supporting Security Assistance) dont les fonds sont gérés par l’Agence pour le développement international (AID).
Cette rubrique contient, par ailleurs, les crédits d’assistance au développement international qui, sous deux formes (multilatérale et bilatérale), doivent favoriser à long terme la croissance économique des pays en voie de développement. L’aide multilatérale est répartie par le canal d’organisations internationales, dont la principale est la Banque mondiale (via la Banque internationale pour la reconstruction et le développement, BIRD), et s’élèvera à 770 M. Quant à l’aide bilatérale, gérée par l’AID, elle finance certains projets dans le domaine de l’agriculture et de l’industrie, ainsi que de nombreuses activités diverses. Elle se montera à 964 M.
Enfin, les crédits nécessaires à la reconstruction économique de l’Indochine (5) s’élèveront à 940 M, dont 648 en crédits de paiement.
b) L’aide humanitaire (Food for Peace), autre aspect de l’effort d’assistance américain, comprend à la fois des ventes et des dons dans le but de combattre la faim dans le monde et de promouvoir la croissance économique du Tiers-Monde. Cette aide atteindra 742 M pour l’exercice 1974-1975.
c) Le programme d’information et d’échanges culturels, géré par le Département d’État, vise à faire connaître la politique étrangère américaine. Il couvre, à ce titre, le fonctionnement de l’Agence d’information des États-Unis (USIA) et des émetteurs de la Voix de l’Amérique ; 359 M sont inscrits à cette rubrique.
d) La participation aux affaires internationales (Conduct of Foreign Affairs), sert à financer la participation de Washington aux organisations internationales. En augmentation de 8 % sur celui de l’année précédente, ce budget atteindra 652 M.
En définitive, le président Nixon a présenté un projet de budget d’aide à l’étranger cohérent et susceptible d’être accepté sans trop de difficultés par le Congrès où traditionnellement ces crédits font l’objet d’âpres discussions. En soulignant que cette aide constitue « le minimum essentiel pour soutenir le rôle responsable et constructif des États-Unis dans le monde », le président espère, grâce à ces moyens financiers, parvenir à une solution au Moyen-Orient, consolider ce qui a été fait en Indochine et par là favoriser rétablissement d’une paix durable dans le monde.
Le « nouveau dialogue » des États-Unis avec l’Amérique latine
Dans le cadre du « nouveau dialogue » voulu par les États-Unis, les ministres des Affaires étrangères d’Amérique latine se sont réunis autour de M. Kissinger les 17 et 18 avril 1974 à Washington. Tous ont ensuite participé à Atlanta, du 19 avril au 1er mai, à la session annuelle de l’Assemblée générale de l’Organisation des États Américains (OEA).
La politique extérieure officiellement suivie par Washington découle de la doctrine Nixon, énoncée à Guam le 31 octobre 1969 : cette doctrine se veut l’expression d’une attitude réaliste, adaptée aux nécessités d’un monde nouveau, et définit les nouvelles relations envisagées par les États-Unis tant avec leurs adversaires qu’avec leurs alliés. En ce qui concerne l’Amérique latine, Washington a annoncé régulièrement son désir de substituer des relations d’égalité (partnership) à l’hégémonie (leadership) actuelle. Mais des problèmes prioritaires (guerre au Vietnam, rapports avec Moscou et Pékin) ont détourné la diplomatie nord-américaine du sous-continent. C’est seulement en octobre 1973 que M. Kissinger a invité les pays d’Amérique latine à engager avec les États-Unis un « nouveau dialogue ». Celui-ci a débuté en février 1974 à la Conférence de Tlatelolco (Mexico). Les pays du sous-continent ont pu dresser un catalogue de leurs préoccupations, largement centrées sur les problèmes économiques. Mais la déclaration finale n’a apporté aucun élément concret et nouveau dans les relations interaméricaines : elle reprenait pour l’essentiel des thèmes souvent évoqués lors de réunions précédentes, notamment dans le cadre de l’OEA.
À Washington puis à Atlanta, du 19 avril au 1er mai 1974, les États-Unis ont naturellement fait une large place aux problèmes économiques. M. Kissinger a tout d’abord réaffirmé les principales intentions de son pays : agir en collaboration étroite avec ses voisins latino-américains, en particulier dans le domaine monétaire et commercial et lors des négociations internationales ; mettre au point des programmes précis de coopération pour le développement ; maintenir le niveau actuel de l’aide nord-américaine. M. Kissinger a ensuite annoncé les premières mesures concrètes prises dans ce sens : création de commissions pour étudier les transferts de technologie et pour mettre au point un code de conduite des entreprises multinationales ; consultations entamées par M. Eberlé (6) en vue d’étudier la mise en place d’un système de préférences tarifaires généralisées. Le secrétaire d’État nord-américain a également abordé les problèmes politiques. À propos de la réforme de l’OEA, il a déclaré que cette organisation pourrait être modernisée, mais non supprimée. Quant à la réintégration de Cuba au sein de la communauté interaméricaine, M. Kissinger n’a pris aucun engagement. On peut seulement noter que les États-Unis ont autorisé les filiales argentines de trois de leurs firmes automobiles à passer des contrats avec Cuba ; par ailleurs, Washington ne semble pas fondamentalement opposé à la participation de Cuba à la prochaine réunion, hors OEA, qui doit se tenir à Buenos Aires en 1975. Pour ce qui est de Panama, les États-Unis entendent régler ce problème par la voie bilatérale et ne l’ont donc pas évoqué au cours de ces deux conférences.
Les réunions de Washington et d’Atlanta confirment que les États-Unis sont réellement décidés à améliorer la forme de leurs relations avec l’Amérique latine et sont prêts à faire certaines concessions. Mais ils ne renoncent, sur le fond, à aucun de leurs intérêts essentiels qui exigent de conserver, d’une manière ou d’une autre, le contrôle de cette région. C’est ainsi que la collaboration plus étroite, souhaitée à la fois par les États-Unis et l’Amérique latine, permettra en fait à Washington d’influencer la politique des États latino-américains qui auront toutefois l’impression de participer effectivement aux décisions. Il est d’ailleurs significatif de constater que la diplomatie nord-américaine montre un regain d’intérêt pour l’Amérique latine précisément au moment où, dans le Tiers-Monde, les pays producteurs de matières premières essaient de s’organiser. La volonté d’éviter que le sous-continent ne s’éloigne de Washington guide la politique actuelle des États-Unis qui continuent à disposer d’atouts considérables dans cette région : leur impact politique, économique et militaire ; leur position de force de première puissance mondiale négociant avec 24 pays sous-développés et divisés.
En proposant un « nouveau dialogue » à l’Amérique latine, les États-Unis indiquent leur volonté de nuancer leur politique pour tenir compte de l’évolution d’ensemble du sous-continent. Ils pensent pouvoir ainsi préserver au mieux leur influence globale qui demeure considérable.
Norvège : politique pétrolière
La récente crise du pétrole, concrétisée par la réduction générale des livraisons de produits pétroliers, affecte particulièrement l’Europe. La Norvège semble toutefois être privilégiée. L’originalité de ce pays réside en effet dans sa double appartenance au monde des pays consommateurs et à celui des producteurs (7).
Jusqu’à présent une faible partie du plateau continental norvégien a été explorée. On peut avancer que les réserves certaines s’élèvent à 445,2 M de tonnes de pétrole et de 500 à 600 Md de mètres cubes de gaz. Le secteur d’Ekofisk, véritable île artificielle, détient une grande partie de ces réserves et a déjà atteint le stade commercial.
Le gouvernement norvégien, conscient des perspectives économiques et politiques que lui offrent ses ressources en pétrole, a élaboré une politique pétrolière. Le programme, exposé dans un Livre blanc, doit être soumis au Parlement. Il s’articule autour de trois principes :
– Accentuation de la participation de l’État dans l’exploitation des gisements d’hydrocarbures sur le plateau continental norvégien.
– En dehors des permis en cours d’attribution, suppression de toute concession au sud du 62e parallèle afin de privilégier la recherche plus au nord où l’on pense qu’existent d’importants gisements (8).
– Modération du rythme de l’exploitation pétrolière afin de préserver à long terme la sécurité d’approvisionnement en pétrole et en gaz.
Un tel programme n’a rien de surprenant. La Norvège a en effet affirmé depuis plusieurs années déjà son désir de garder le contrôle de ses ressources naturelles et a déclaré en 1963 sa souveraineté sur le socle continental. Parallèlement, une fiscalité pétrolière élevée a été mise en place (9). Le gouvernement norvégien vise à accentuer la participation de la société pétrolière d’État Statoil, notamment au nord du 62e parallèle.
Les réserves en pétrole ouvrent de larges perspectives à l’économie du pays. Ainsi les gisements norvégiens connus laisseront dès 1975 et pour une vingtaine d’années des excédents exportables. Les gisements norvégiens pourraient exporter au moins 50 M de tonnes de pétrole en 1980.
L’industrie pétrochimique va donc connaître une expansion considérable et l’activité de la côte occidentale va se développer. En dépit des frais de production élevés et des obligations onéreuses des exploitations vis-à-vis de l’État, les gisements sous-marins norvégiens attirent les grandes compagnies. La Norvège sera dès l’année prochaine le deuxième producteur de pétrole européen et sa production annuelle s’élèvera à 50 M de tonnes de brut en 1980 (10).
Le gouvernement souhaite ainsi développer l’économie par l’intermédiaire du pétrole et conserver le contrôle des ressources tout en en prolongeant l’exploitation le plus longtemps possible. Il adopte donc une politique pétrolière résolument mesurée. Tandis que ses voisins européens sont à la recherche de nouvelles formes d’énergie plus modernes et supportent non sans mal la crise du pétrole, la Norvège fait figure de pays favorisé. Ses précieuses richesses naturelles renforcent en effet la position de ce petit pays, non seulement dans le cadre des relations économiques mais aussi diplomatiques avec les autres nations. ♦
(1) Europe moins l’Albanie, États-Unis, Canada.
(2) Pour l’ensemble de l’article, les sommes sont exprimées en dollars.
(3) Si l’on exclut de ce budget (1973-1974) les 2,2 Md d’aide d’urgence accordés à Israël après la guerre du Kippour.
(4) 350 M pour Israël, 250 pour l’Égypte, 207 pour la Jordanie et vraisemblablement 100 pour la Syrie.
(5) Ces chiffres ne comprennent pas l’assistance militaire à l’Indochine, inscrite au budget du Département de la Défense à la rubrique Support of other nations, dont le montant atteint 2,1 Md.
(6) Représentant spécial du Président pour les questions commerciales.
(7) La production annuelle d’hydrocarbures extraits du socle continental norvégien s’élève actuellement à 2 M de tonnes et la consommation annuelle des Norvégiens à 9 M de tonnes. Dès 1975, la production sera excédentaire.
(8) L’État poursuit actuellement des prospections sismiques au nord du 62e parallèle. Dans cette région et particulièrement dans la mer de Barents, le voisinage soviétique soulève le problème du partage des eaux qui donne lieu à de délicates négociations.
(9) L’État norvégien reçoit 80 % des bénéfices fournis par les gisements de la mer du Nord.
(10) La Norvège en tirera un revenu global de 11 250 M, ce qui représente un peu plus du huitième de son PNB de 1973.