Outre-mer - Malaise en Afrique francophone - L’Afrique noire et le débat de l’ONU sur les matières premières
Malaise en Afrique francophone
Depuis plusieurs mois, la situation des États ayant appartenu aux anciennes fédérations d’Afrique équatoriale et occidentale française (AEF et AOF) se dégrade, faisant naître des difficultés dans leurs relations réciproques et provoquant parfois des crises intérieures. En général, on attribue cette évolution aux rivalités de certaines puissances africaines cherchant à créer des regroupements qui leur soient favorables, aux séquelles des vieilles querelles entre progressistes et modérés, aux divergences nouvelles existant entre les « mondialistes » et les « eurafricains » à l’occasion du renouvellement (1969) de la Convention de Yaoundé (1963) et de son extension éventuelle aux pays du Commonwealth, ainsi qu’aux graves conséquences, sur les économies régionales, de plusieurs années de sécheresse dans le Sahel. Il existe d’autres causes, moins perceptibles mais plus profondes, en particulier la montée des jeunes générations qui, pour s’affirmer face à leurs aînés, affectent un nationalisme intransigeant réclamant, pour se satisfaire, un contrôle rigoureux de l’État sur toutes les activités nationales.
Fin avril, avant de se rendre à Pékin, M. Léopold Sédar-Senghor, président du Sénégal, évoqua, devant l’association des journalistes d’outre-mer, un autre aspect du même problème : la dégradation des rapports franco-africains peut conduire la France à fuir les responsabilités qui lui incombent dans la cohésion de l’Afrique francophone. Les principaux reproches que le chef d’État sénégalais adresse à notre pays sont les suivants : la suppression du Secrétariat d’État à la Coopération est une preuve que l’on entend donner à la politique extérieure de la France « le même visage pour tout le monde » ; l’aide française diminue d’année en année en valeur relative ; parmi les personnels de l’assistance technique, la proportion des « jeunes gens qui viennent en Afrique noire par curiosité ou pour passer le temps de leur service militaire » est trop élevée ; les Français, qui considèrent les États dont ils ont été les colonisateurs comme les « mendiants de l’Élysée », s’intéressent de plus en plus aux Arabes et aux Chinois et considèrent, peut-être à tort, que l’apport du continent africain en matières premières leur est définitivement acquis. M. Senghor évoque aussi les efforts accomplis par d’autres pays pour s’implanter en Afrique. « Il y a d’abord les Arabo-berbères, dit-il : je sais que, dans la coopération arabo-africaine, on nous a dit que nous serions perdants. À cela je répondrai que nous n’avions pas le choix. Nous savons maintenant, nous, Négro-africains, que notre bataille, celle du fer et du cuivre, de l’uranium et des phosphates, du café et du cacao, du coton et des oléagineux, est sœur de la bataille du pétrole… ». Il mentionne ensuite que les États-Unis sont, avec la Chine, la nation qui s’intéresse le plus activement à l’Afrique et considère comme illusoire d’estimer qu’à cause de « leur passé ségrégationniste », ils ne peuvent exercer une influence sur les peuples africains.
Bien que ces déclarations aient été faites sur un ton amical et sans esprit de polémique, elles contiennent un avertissement qu’il est intéressant de situer. Il faut noter d’abord qu’elles sont circonstancielles : à la veille d’une visite à Pékin, le président Senghor a pu juger utile de souligner les aspects négatifs de sa coopération avec la France. Il n’a pas craint non plus de rappeler que les États-Unis n’étaient pas systématiquement rejetés par les pays africains, oubliant toutefois de mentionner que, dans la « bataille du pétrole » et des matières premières, les Arabo-berbères et les Négro-africains n’étaient pas dans le même camp que les Américains. D’autres circonstances peuvent expliquer les appréhensions du chef de l’État sénégalais. Lors de la réunion de Paris, tenue en novembre 1973, les hautes personnalités africaines, rassemblées autour du président Pompidou, avaient senti que le gouvernement français, bien qu’il acceptât certains des objectifs inscrits à l’ordre du jour, ne désirait pas se montrer trop inféodé à un clan, par souci d’éviter de le compromettre inutilement mais aussi afin de rester libre de ses ouvertures dans d’autres directions ; depuis quelques mois, Paris déploie en effet une certaine activité pour resserrer ses liens avec Lagos, Kinshasa et Alger, cherchant ainsi à harmoniser ses relations avec l’ensemble du continent au mieux des intérêts de ses anciennes possessions. La suppression du poste de secrétaire d’État à la Coopération dans le dernier cabinet Messmer (1), bien qu’elle n’impliquât pas celle des services que ce ministre dirigeait, a pu être considérée également comme marquant un « tournant » encore plus visible de la politique française ; pourtant, elle ne semble pas être de nature à provoquer une « crise » dans les rapports franco-africains que les récents aménagements dans les accords d’assistance technique, faits à la demande de nos partenaires, paraissent au contraire avoir confortés pour un temps. Enfin, les déclarations du président Senghor ont été faites après le coup d’État de Niamey par lequel fut évincé du pouvoir une des personnalités les plus attachées au rôle que la francophonie était appelée à jouer dans l’équilibre du continent africain et dont tous les efforts se déployaient pour ressouder l’OCAM.
L’avertissement s’adressait à l’opinion française et surtout aux divers candidats à la présidence de la République. Il porte sur le volume de l’aide financière qui se réduit chaque année, obligeant les États à « chercher un complément sinon une alternative à la coopération française », ainsi que sur la qualité de l’assistance technique fournie. Dans ce domaine, le président Senghor semble parler réellement au nom de tous les pays qui en bénéficient et qui sont unanimes à critiquer, notamment, le peu d’efficacité des appelés du service national. À la décharge de ceux-ci, il faut dire qu’on leur confie trop souvent, faute d’autres postulants, des fonctions qui réclament une grande expérience de la technique dans laquelle ils sont employés et de la mentalité des populations auprès desquelles ils sont appelés à servir. Considérant sans doute que la France n’était pas la seule responsable de la détérioration des termes de l’échange, et qu’elle n’était pas maîtresse des décisions à prendre en ce domaine, le président Senghor n’a pas abordé ce problème. Il l’avait largement développé, le 30 octobre 1973, devant l’Académie des Sciences morales et politiques.
Dans un remarquable exposé intitulé « L’Eurafrique et la politique de l’échange », l’orateur exprimait alors les aspirations et les appréhensions de cette Afrique qui se voulait associée à l’Europe pour donner et pour recevoir. Il avait ainsi brossé, dans un style dense, nourri de références, une sorte de déontologie de cette politique de développement qui devrait être l’enjeu d’une association des pays européens et africains, repensée, réorganisée afin de « permettre des évolutions progressives et concertées, de nouvelles divisions du travail, des rapports plus équitables ». Cette « politique de l’échange » se fonderait « sur une certaine idée de l’homme » et commencerait par restituer à la civilisation africaine ses véritables traits et sa place dans l’histoire de l’humanité. Il faudrait, pour cela, que les représentants des firmes privées et les assistants techniques de l’administration aient une conscience plus précise des valeurs africaines afin d’éviter que l’introduction de techniques étrangères dans les pays aidés n’« uniformisent au lieu de personnaliser » et ne « stérilisent nos valeurs de civilisation au lieu de les féconder ».
La solidarité eurafricaine devrait surtout mieux s’exprimer sur le plan des échanges matériels. Jusqu’ici, les pays industrialisés ont évité de poser clairement le « problème de l’échange inégal ou, plus précisément, celui de l’inégale répartition du produit des échanges commerciaux qui détermine, en fin de compte, la rémunération du travail ». Ils estimaient que l’aide financière et technique suffisait à combler peu à peu les écarts de développement et à atténuer les différences de niveaux de vie. En réalité, cette aide « en dépit de certains efforts méritoires » n’atteint pas 1 % du produit national brut de ces États, chiffre considéré comme un minimum par les instances internationales. De plus, les modalités de cette assistance en diminuent la valeur : pratique des crédits fournisseurs destinés à l’achat d’équipements, montant des intérêts et des remboursements qui atteint déjà 49 % des flux financiers bruts dont ces pays bénéficient, et qui font dire qu’« en dépit de l’érosion monétaire, un certain nombre de pays pauvres en arriveront à verser aux riches plus qu’ils n’en reçoivent ». Dans le cas des investissements privés, ceux-ci « comportent de lourdes contreparties, sous la forme notamment d’avantages fiscaux ou de transferts de bénéfices ».
Selon le président Senghor, la solution, en dehors des palliatifs temporaires, réside dans l’organisation du commerce international, c’est-à-dire dans la stabilisation et l’amélioration des recettes d’exportation des pays pauvres. Et puisqu’on ne peut le faire à l’échelle mondiale, il convient de montrer l’exemple sur le plan eurafricain. Après avoir souligné l’exemplarité du régime d’association des pays africains avec le Marché commun, régime « qu’il s’agit de préserver et d’améliorer », et qui consacre l’égalité morale des partenaires, le chef de l’État sénégalais s’efforce de déterminer les voies par lesquelles certaines pratiques, encore défectueuses, pourraient se conformer aux principes de parité et de solidarité inscrits dans la convention de Yaoundé.
Les causes de la détérioration des termes de l’échange tiennent d’abord à la nature des produits commercialisés par les pays pauvres ; les produits agricoles primaires, les matières premières, les produits semi-finis représentent de 70 à 80 % de leurs exportations. Viennent ensuite la hausse des produits industriels importés, la concurrence des productions européennes dites homologues et qui bénéficient de systèmes nationaux de garanties et de soutien des prix, la création de produits de synthèse peu chers qui se substituent aux produits naturels et surtout la pression des groupes industriels sur les prix des matières premières pour compenser les effets des hausses de salaires qu’ils sont contraints d’accorder. M. Senghor insiste sur ce dernier point : « sans doute, dit-il, une telle situation est-elle liée à une organisation encore insuffisante des pays producteurs, mais elle est liée surtout à certains changements caractéristiques de comportement des pays industrialisés. Le nationalisme… se donne de plus en plus une base matérielle, liée à la hausse du niveau de vie. Une telle évolution est notable même au sein de la classe ouvrière dont le niveau s’améliore, en partie, au détriment du Tiers-Monde ».
Pour que, selon la formule de Josué de Castro, l’aide ne consiste pas seulement à boucher un trou que l’on creuse en même temps, la commission des communautés européennes a proposé certains palliatifs, en particulier la conclusion d’accords régionaux par produits qui viseraient à garantir aux pays bénéficiaires un minimum de ressources financières en cas de chute des cours ou lorsque l’offre se trouverait anormalement réduite. Mais il faudrait aller plus loin : le système de stabilisation des recettes garantirait les pays africains contre le recul du pouvoir d’achat ; il ne prévoit pas l’élévation de leurs ressources. Pour atteindre ce résultat, il faudrait que les pays industrialisés comprennent « les multiples dangers d’une concentration des activités industrielles et, partant, les avantages d’une meilleure répartition de ces activités » en faveur des pays africains associés à la Communauté.
Le président, dans ses conclusions, mettait l’accent sur l’importance de l’ensemble eurafricain qui, « en face des nouvelles hégémonies », était un facteur d’équilibre pour l’Europe ainsi qu’un « témoignage de solidarité issue de l’histoire et dictée par les intérêts communs ». Il ajoutait que toute orientation mondialiste de la politique européenne comporterait, pour nombre de pays africains, un sous-développement permanent.
Entre le discours à l’Académie et les déclarations aux journalistes d’outre-mer, six mois se sont passés, six mois durant lesquels le président Senghor a pu noter l’efficacité de l’action des pays arabes, les défaillances de l’Europe des Neuf et le renouveau des activités diplomatiques américaines. D’où, sans doute, la peur que l’Europe n’ait plus la « politique de sa pensée », suivant l’expression qu’il emprunte à Paul Valéry, et cet avertissement à la France qui reste son lien privilégié avec les nations européennes et, malgré tout, son meilleur soutien.
L’Afrique noire et le débat de l’ONU sur les matières premières
La poursuite de la décolonisation de l’Afrique, qui est un des objectifs fondamentaux de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), se situe à différents niveaux. Les combats de libération concernent l’ensemble des États. De son côté, chaque pays doit tirer le maximum de profit de ses ressources, afin de financer, par ses propres moyens, la plus grande partie de son développement ; cela implique qu’il acquiert sinon le contrôle complet des sociétés productrices du moins un pourcentage suffisant de leur capital et surtout qu’il puisse agir, solidairement avec d’autres producteurs, sur les cours mondiaux des matières premières.
Forte de ses propres réalisations dans ce domaine, l’Algérie s’est efforcée de sensibiliser à ces dernières formes de décolonisation l’opinion africaine et celle de tout le Tiers-Monde. Parce que ce thème correspondait à un désir profond de la jeunesse, Alger obtint un consensus quasi général à la Conférence des pays non-alignés de septembre 1973, puis à la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’OUA qui suivit le conflit israélo-arabe d’octobre 1973. Après ces premiers succès, le président algérien Boumédiène prit l’initiative d’un débat à l’Assemblée générale de l’ONU pour jeter les bases d’un nouvel ordre économique mondial. M. Waldheim, secrétaire général de l’Organisation, en fixait ainsi l’enjeu : définir les principes pouvant améliorer les rapports entre trois catégories d’États, les pays industrialisés, les pays en voie de développement qui détiennent de grandes richesses d’énergie et les autres pays sous-développés qui souffrent à la fois de la hausse considérable du prix du pétrole et du processus inflationniste que connaît actuellement le monde.
Les discussions commencèrent le 9 avril et s’achevèrent, dans la plus grande confusion, début mai. Deux thèses principales s’affrontèrent : celle du chef de l’État algérien et celle du secrétaire d’État américain. Le premier, qui parlait en tant que président en exercice de la Conférence des pays non-alignés, réclame l’élaboration d’un programme spécial en faveur des pays les plus pauvres pour compenser non seulement la hausse des produits pétroliers mais celle des produits alimentaires et des engrais, « laquelle dépasse de 70 % l’effet de l’augmentation des prix du pétrole sur la balance des paiements » pour les vingt-cinq États classés par l’OUA dans la catégorie des pays les moins développés. Il demande ensuite à l’Assemblée d’adopter cinq lignes d’action en faveur du développement, à savoir : la prise en main par les pays intéressés de leurs ressources nationales ; le lancement d’un processus de développement cohérent et intégré comportant la mise en valeur de toutes les potentialités agricoles ainsi que la mise en œuvre d’une industrialisation en profondeur, notamment pour transformer sur place les ressources naturelles ; l’apport en moyens financiers, technologiques et commerciaux des pays riches à ceux dont le développement est à promouvoir ; l’allégement des dettes « qui aboutissent le plus souvent à annihiler les résultats » des efforts d’expansion ; la mise en exécution d’un programme spécial afin de procurer une aide plus intense aux vingt-cinq pays les plus démunis. Ainsi la promotion des peuples du Tiers-Monde serait non « la revanche des pays pauvres sur les pays nantis mais la victoire de l’humanité tout entière ».
Peu avant l’Assemblée générale de l’ONU, le Bureau des pays non-alignés s’était réuni à Alger du 19 au 21 mars et avait décidé de créer un groupe intergouvernemental sur les matières premières. Cet organisme serait chargé de recommander les mesures nécessaires à la restructuration du marché des produits de base et à l’amélioration du pouvoir de négociation des pays en voie de développement. Destiné manifestement à concrétiser la pression du Tiers-Monde sur les pays industrialisés, il commencerait à fonctionner à l’issue des travaux de l’ONU et s’efforcerait d’utiliser les mêmes méthodes que l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) pour augmenter les ressources des pays producteurs en jouant, par produit, sur les quantités livrées aussi bien que sur les prix. Le président Boumédiène semble considérer que ces possibilités d’action ne sont pas une fin en soi mais un moyen de bouleverser, par des interventions ponctuelles sur le marché des matières premières, le système sur lequel repose le développement du Tiers-Monde, pratiquement contrôlé par les sociétés multinationales et aboutissant à augmenter les inégalités. Cette politique comporte des points faibles : difficulté de promouvoir la solidarité des producteurs pour mener une politique de rétention appliquée à un seul produit, concurrence éventuelle des produits de substitution, participation importante des États-Unis, du Canada, de l’Afrique du Sud, de l’Australie et même de l’URSS au marché de presque toutes les matières premières, nécessité d’établir une coopération entre pays industrialisés et pays en voie de développement afin d’apporter une aide aux nations les plus défavorisées.
Ces faiblesses ont été utilisées par M. Kissinger pour essayer de rompre le front des pays producteurs. Partant de l’idée qu’il ne faut pas perturber l’économie mondiale, « réseau hautement sensible de rapports dans lesquels certaines actions peuvent aisément déclencher un cercle vicieux de réactions affectant profondément tous les pays », le secrétaire d’État énonce les six impératifs que comporte une économie globale : approvisionnement énergétique croissant et à un prix équitable, régularisation du marché des matières premières, équilibre entre la production alimentaire et l’accroissement démographique, développement de la science et de la technologie pour sortir de la pénurie, survie des nations les plus pauvres, maintien d’un système commercial, monétaire et d’investissements qui encourage la croissance industrielle. Il propose douze mesures tendant d’une part à favoriser les investissements aux États-Unis des pays producteurs de pétrole et à augmenter leur importance dans les organisations financières internationales, d’autre part à permettre un accroissement de l’aide technologique et financière des États-Unis en matière d’agriculture, d’alimentation et de recherche pour le développement de l’énergie. M. Kissinger profite de l’occasion pour demander à nouveau aux nations de s’engager à renoncer aux mesures restrictives de commerce et de change ; il promet que Washington se joindra aux engagements internationaux destinés à maîtriser l’inflation par une harmonisation des politiques fiscales et monétaires des États.
Le débat de l’Assemblée générale s’est terminé le 1er mai après adoption, par consensus à défaut de vote, de deux textes que de nombreux pays, notamment les États-Unis, récusent en partie. Le premier est une déclaration relative à un nouvel ordre économique, le second un programme d’action. Le « nouvel ordre » se fonde sur le respect absolu de la souveraineté économique des pays en voie de développement et sur le partage équitable des fruits de la croissance internationale. Ces deux principes comportent des corollaires politiques, par exemple la reconnaissance du droit à l’indépendance des peuples se trouvant sous domination coloniale ou soumis à un régime de ségrégation raciale. Le programme d’action affirme la souveraineté des États sur leurs ressources naturelles et reconnaît le droit de nationaliser et de réglementer les activités des sociétés multinationales, il stipule que les peuples soumis à une domination étrangère ou à l’apartheid soient indemnisés, donc que leurs représentants bénéficient d’une assistance financière internationale. Des mécanismes de défense du prix des produits de base exportés sont proposés ; la réforme du système monétaire international est préconisée. Il est recommandé aux pays riches de diversifier leurs achats industriels pour aider les pays en voie de développement et de favoriser, par des investissements, les projets industriels des nations du Tiers-Monde. Un programme spécial de secours d’urgence aux États les plus éprouvés par la crise économique prévoit l’établissement, avant janvier 1975, d’un fonds spécial alimenté en priorité par les contributions volontaires des pays industrialisés ; une commission d’experts nommés par le président de la session (2) désignera les États qui devront y participer.
Une nouvelle conception du droit international a donc pris une naissance officielle à l’issue de ce débat de l’ONU : elle se fonde sur un impératif de décolonisation intégrale et sur le postulat que les pays consommateurs de matières premières sont les responsables du dénuement du Tiers-Monde ; elle permet aussi bien de reconnaître l’existence d’États virtuels que de légaliser les nationalisations sans compensation. Elle tend à diviser le monde en deux et transformera sans doute les débats futurs de l’ONU en dialogues de sourds.
En Afrique noire, il existe deux catégories de pays : ceux qui possèdent des ressources susceptibles d’être nationalisées et les autres. Les premiers ont commencé depuis longtemps, chacun selon sa propre méthode, à prendre le contrôle et à commercialiser leurs productions. Les autres sont en général des pays agricoles dont les exportations constituent le principal revenu de la majeure partie de la population ; ils sont liés davantage à l’aide étrangère et ne peuvent guère engager une épreuve de force.
Les principes de coopération et d’aide exposés, à partir de postulats différents, par les présidents Boumédiène et Senghor, l’un à l’ONU, l’autre à l’Académie des Sciences morales et politiques, s’appliquent respectivement à chacune de ces catégories, mais ils convergent vers un même objectif : éviter que le développement du niveau de vie dans les pays industrialisés se fasse aux dépens du Tiers-Monde. Les États européens et le Japon, qui ont tant besoin de matières premières, sauront-ils mieux comprendre cet appel que les autres puissances industrielles ? Pendant les prochaines années, il s’agira, pour eux, de se montrer capables de concilier les pressions de leurs ouvriers et celles de leurs fournisseurs. ♦