Défense en France - Un été de la défense - Les mesures immédiates d'amélioration du Service national - Aperçu du projet de budget pour 1975 - Transformation du Centre spécial de formation supérieure en centre d'enseignement supérieur interarmées de défense
Un été de la défense
La défense a été en vedette à diverses reprises au cours de cet été. L’intérêt que lui ont manifesté le président de la République et le gouvernement s’est exprimé dans des déclarations et allocutions prononcées en diverses circonstances, mais c’est surtout la semaine d’études que le président de la République a consacrée à l’étude de ses problèmes qui a constitué le point culminant de cette période.
La raison de cette activité estivale insolite tient à l’importance des problèmes que posent aujourd’hui nos structures et notre appareil de défense au point où est parvenu l’ensemble quinze ans après l’ordonnance de janvier 1959 portant organisation générale de la défense et huit ans après le départ de la France de l’Otan.
Ces problèmes concernent essentiellement :
– le Service national dont la formule actuelle (durée et modalités) est mise en question par l’opposition de gauche mais aussi par certains éléments de la majorité, notamment par M. Sanguinetti, secrétaire général de l’UDR ;
– la condition militaire dont l’amélioration a donné lieu à un commencement d’exécution dès 1974 grâce à des mesures catégorielles limitées et qui devrait connaître un progrès sensible avec le budget de 1975.
– la modernisation de la force nucléaire ainsi que des forces conventionnelles qui constituent son indispensable complément et dont certains équipements déjà anciens devront être remplacés très prochainement pour garder à l’ensemble sa crédibilité.
Étroitement liés entre eux, ces problèmes ne le sont pas moins à la question des fabrications et des exportations d’armement, ainsi qu’au choix du cadre européen ou atlantique dans lequel peut continuer à se développer une coopération qui fonctionne déjà avec plus ou moins de bonheur dans le cadre bilatéral.
Sont loin d’être étrangers à ces questions les problèmes politiques que posent l’emploi de l’arme nucléaire tactique dont nos forces terrestres et aériennes se dotent progressivement, la Conférence de Vienne sur la réduction des forces dont la France s’est tenue à l’écart jusqu’ici mais dont les incidences – notamment un éventuel allégement de la présence américaine en Europe – risquent de l’affecter, sans compter le problème majeur de la défense européenne par lequel la France est concernée au premier chef avec l’Allemagne et la Grande-Bretagne.
Ces problèmes sont d’une taille et d’une complexité telles qu’ils méritaient que le président Valéry Giscard d’Estaing leur consacrât une semaine entière d’étude avec l’aide du gouvernement, de parlementaires, des autorités militaires et de certains représentants de la presse et de l’information.
Nous nous attacherons essentiellement ici aux déclarations du président de la République et nous tenterons d’en dégager les éléments permettant de se faire une idée de l’avenir prochain de notre système de défense.
Le président de la République a évoqué les problèmes de la défense principalement en trois circonstances :
– le 14 juillet 1974 dans un ordre du jour aux Armées dont il est constitutionnellement le Chef, attribution qu’il entend exercer pleinement, a-t-il rappelé.
Le Chef de l’État a annoncé son intention de « conduire l’effort d’analyse et de réflexion nécessaire… pour permettre à nos forces armées de connaître exactement et à tout moment l’étendue et les limites de leur mission ». Ces termes que nous soulignons peuvent évoquer aussi bien des problèmes de particulière importance comme celui des conditions d’emploi du feu nucléaire que les problèmes plus larges que poserait la révision de certaines missions confiées aux armées, et par conséquent des plans arrêtés en Conseil de défense.
La seconde direction dans laquelle l’ordre du jour du président de la République prévoit un effort concerne la place des militaires dans la collectivité nationale et le relèvement de leur condition qui « doit être portée au niveau de leurs mérites et de leurs responsabilités ». Plus généralement, il s’agit, selon M. Valéry Giscard d’Estaing, de « rapprocher l’armée du peuple français ». La décision de faire le défilé du 14 juillet uniquement à pied et dans les quartiers populaires de la Bastille et de la République était tout autant qu’une mesure d’économie un symbole de cette volonté. Il serait étonnant dans ces conditions que le Chef de l’État soit séduit par l’idée d’une armée de métier.
– Lors de la réunion de presse du 27 juillet à l’Élysée, le Président devait revenir à nouveau sur les problèmes de défense, et plus particulièrement sur cette nécessité de réaliser une meilleure insertion de l’Armée dans la Nation : « Je souhaite – a dit le Président en répondant à un journaliste qui l’interrogeait sur ses projets de « réforme » de la politique de défense – je souhaite que le problème de la défense soit ressenti par les Français eux-mêmes. Je crois que nos moyens de défense souffrent, à l’heure actuelle, de leur éloignement et qu’il n’est pas bon, pour une collectivité, que ses forces de défense se sentent coupées ou isolées dans la collectivité nationale ».
Confirmant, au cours de cette réunion, son intention de consacrer une semaine d’étude de la défense avec le gouvernement, les chefs d’état-major et certains spécialistes de ces problèmes, le Chef de l’État a précisé le but de ces études : « Je souhaite que nous définissions très clairement les objectifs et les moyens de la défense et que, l’ayant fait, la France se reconnaisse dans sa défense, c’est-à-dire sache pourquoi elle en a une, ce qu’elle attend d’elle et, qu’en sens inverse, ceux qui, exerçant cette fonction, qui est une fonction ingrate et très astreignante, aient le sentiment de l’exercer au nom de la collectivité tout entière ». Conjurer le risque d’un divorce de l’armée et de la collectivité nationale et pour cela procéder à des choix bien clairs et compris de tout le pays, telle est, semble-t-il, l’une des préoccupations majeures de M. Valéry Giscard d’Estaing.
Un communiqué de l’Agence France Presse (AFP) a donné le détail du programme de la semaine consacrée par le Président à l’étude des problèmes de défense, semaine qui devait comporter, du 26 juillet au 7 août :
– des audiences : les présidents des Commissions de défense nationale de l’Assemblée nationale et du Sénat, MM. Voilquin et Colin ; les chefs d’état-major, les généraux Maurin (Céma), de Boissieu (Cémat), Grigaut (CÉMAA) et l’amiral Joire-Noullens (CEMM) ; le Secrétaire général de la défense nationale (SGDN), le général Simon ; le Délégué ministériel pour l’armement (DMA), M. Delpech ; le Secrétaire général pour l’administration (SGA), M. Lacarrière ; l’ambassadeur représentant la France au conseil de l’Alliance atlantique, M. de Rose ; le directeur de la gendarmerie, M. Cochard ; l’administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), M. Giraud, et le général Bley, président de la Commission Armée-Jeunesse (CAJ).
– une réunion ministérielle restreinte ;
– des déjeuners de travail (presse et écrivains) ;
– un exposé au centre opérationnel des armées ;
– un Conseil de défense restreint.
Comme il est de règle en pareil cas, rien n’a filtré de ces audiences ni de ces réunions couvertes par un secret rigoureux. Le Président lui-même, dans son allocution du 27 août 1974 à la télévision, n’a fait aucune allusion à cette semaine d’études. On est donc fondé à penser que le Président qui, dit-on, a écouté les exposés qui lui étaient faits avec la plus grande attention et a posé à ses interlocuteurs de nombreuses questions, a tenu avant tout à s’informer à fond des problèmes qu’il n’avait connus dans le passé que sous leur aspect financier et qu’il a pris leur mesure, avec toute leur complexité à partir du moment où les choix budgétaires doivent être envisagés dans leurs conséquences politiques tant intérieures qu’internationales. Plus simplement aussi n’est-il pas naturel qu’un homme connu pour son esprit rationnel rigoureux tienne à s’informer des conditions dans lesquelles il pourrait être appelé à exercer le redoutable pouvoir qui est maintenant le sien de déclencher la force nucléaire ? Quels scénarios politico-stratégiques peuvent être envisagés qui pourraient l’y conduire ? Quel est le degré de leur probabilité et quel poids, quelles possibilités, en dehors de ces hypothèses extrêmes, elle confère au Chef de l’État pour intervenir dans les crises ? Quel degré d’autonomie notre appareil de défense donne à notre pays ? N’est-il pas normal également que le président de la République qui, aux termes de la Constitution, négocie et ratifie les traités, veuille connaître la portée et les implications militaires des accords passés tant avec nos partenaires atlantiques qu’avec les jeunes nations africaines ou avec certains États d’Asie… ?
Si le Président a bien évoqué l’ancienneté de « nos grands choix stratégiques » qui, a-t-il dit le 27 juillet, « ont été faits en 1962, il y a donc douze ans, dans un monde très différent, un monde dans lequel la décolonisation, pour ce qui est de la France, n’était pas achevée », rien ne prouve qu’il ait décidé de les bouleverser. Si on lui prête, ajuste titre, la volonté de réviser l’ensemble dans le sens de la cohérence, tout laisse à penser que les options majeures concernant la force de dissuasion et le principe de la conscription demeureront. Mais, une fois établis les objectifs de notre défense et les missions des armées, le reste, serait-on tenté de dire, viendra par surcroît : le reste, c’est-à-dire essentiellement le Service national dont les modalités pourront sans doute être adaptées – et qui dans son exécution vient de faire l’objet d’un premier train d’amélioration dans un sens très libéral (v. l’article consacré à ces mesures) – et d’une manière plus générale, les armes et équipements qui leur sont nécessaires pour leurs missions. Il n’est pas exclu – le Président n’ayant à ce sujet aucune idée préconçue – que des formules nouvelles soient recherchées afin de resserrer les liens entre diverses défenses européennes, mais en aucun cas la France ne paiera de restrictions de sa capacité d’action, notamment en matière de fabrications et de marchés d’armement, une adhésion à un quelconque organe du type Eurogroup ou Euronad (1).
Ce qu’on peut en tout cas supputer du silence qui a suivi la « semaine de défense » c’est que le président de la République, qui n’avait certainement pas la prétention de résoudre les problèmes de la défense en huit jours, a demandé au gouvernement et aux états-majors de poursuivre leurs études et qu’il n’arrêtera ses décisions qu’en toute connaissance de cause. On peut être assuré qu’elles seront prises avec le souci de clarté et de cohérence qu’on lui connaît bien.
Les mesures immédiates d’amélioration du Service national
C’est dans les termes suivants que M. Jacques Soufflet, ministre de la Défense, a donné connaissance à la presse d’un premier ensemble de mesures qu’il venait de prendre pour améliorer les conditions d’exécution du Service militaire.
« Je voudrais d’abord bien préciser que le Service militaire d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec ce que vous avez pu connaître il y a une quinzaine d’années, ou plus. Beaucoup d’innovations et de changements ont été apportés, qui ont produit des résultats incontestables et un progrès véritable, reconnus par tous les gens de bonne foi.
Il me paraît néanmoins possible maintenant d’aller plus avant dans certains domaines et de procéder à quelques aménagements non négligeables.
C’est ainsi que je viens de prescrire aux Chefs d’état-major la mise en vigueur immédiate de dix mesures qui ne nécessitent pas l’obtention de crédits supplémentaires, et qui sont susceptibles dans leur ensemble de changer profondément :
– les conditions d’application de la loi sur le Service national,
– le style d’exécution de ce Service,
– et l’intérêt qu’il peut présenter pour les jeunes appelés.
Vous savez qu’à mon arrivée, je me suis engagé, dans une lettre personnelle adressée à chaque appelé, à veiller aux conditions dans lesquelles ils seront amenés à faire leur Service. Eh bien, je vous convie à prendre note des premières mesures que je mets en application dans cet esprit.
Sur le plan des modalités d’application du code du Service national, en premier lieu, j’estime indispensable d’arriver à plus de justice et d’égalité aussi bien en ce qui concerne le taux d’exemption qu’en ce qui concerne l’exécution du Service lui-même. C’est pourquoi j’ai prescrit les deux mesures suivantes :
1° Meilleure application du principe de l’universalité du Service afin que tous les jeunes Français soient placés dans des conditions identiques pour mettre fin à certaines distorsions choquantes dans la sélection des jeunes appelés ; elles auront pour effet d’abaisser, dans des conditions sensibles, les taux d’exemption actuels.
2° Lutte contre les inégalités en cours de Service en faisant en sorte que le passage dans les unités de combat soit la règle pour l’essentiel de l’effectif du contingent au détriment de l’administration centrale et des services. J’ai d’ailleurs donné moi-même l’exemple en réduisant de près de 80 % le « plantonat » des jeunes appelés dans les services dépendant de mon propre Cabinet.
En ce qui concerne le style de vie des appelés au Service militaire, je désire que l’on tienne compte du fait que ces jeunes gens sont désormais majeurs devant la loi avec tout ce que cela comporte comme nouvelles exigences de dignité et de responsabilité. C’est ainsi que les trois mesures suivantes sont prises :
3° Libéralisation des règles d’entrée dans les enceintes militaires des publications de toutes natures, à l’exception de celles qui ont pour vocation l’attaque des personnes, la destruction de la volonté de défense des citoyens et l’antimilitarisme systématique. L’Armée, comme l’école, est un milieu où la neutralité politique demeure la règle et toute propagande, d’où qu’elle vienne, doit être interdite. Cette libéralisation est la preuve de ma volonté d’ouverture mais elle implique que tout le monde joue le jeu.
4° Libéralisation du régime d’obtention des permissions par la généralisation du système de « la disponibilité opérationnelle », c’est-à-dire désignation pendant les fins de semaine et les jours fériés d’une unité organique d’intervention immédiate qui poursuit son instruction avec son encadrement tout en étant en mesure d’intervenir pour toutes missions de défense ou d’assistance d’intérêt général ; le reste du personnel du corps étant en permission systématique, sauf exigence particulière qui pourrait m’apparaître dans telle ou telle situation. C’est ainsi que selon les mois et les activités des corps de troupe, le rythme mensuel des permissions de l’ensemble du personnel variera d’une fin de semaine sur deux à trois fins de semaine sur quatre.
Ce système constitue un grand changement par rapport à la règle qui subsiste encore actuellement dans certaines unités et qui implique la présence permanente dans les casernements pendant les fins de semaine de 50 % des effectifs qui sont, de surcroît, souvent incomplètement encadrés et oisifs.
Cette procédure est évidemment à adapter aux situations de certains corps, en fonction de leur localisation (Berlin, Forces françaises en Allemagne [FFA]) ou de leur mode de recrutement (parachutistes, troupes de montagne, etc.). Les efforts déjà entrepris en faveur des voyages gratuits seront, à cette occasion, amplifiés quand cela s’avérera nécessaire : dès 1974, dans la limite des crédits existants et en tout état de cause en 1975.
5° Augmentation des postes de responsabilité confiés aux appelés au sein des unités. Cette mesure doit s’entendre non seulement dans le sens d’une ouverture plus large de l’accès aux différents grades, mais également dans le sens d’une participation plus grande à des responsabilités effectives dans les domaines administratifs et techniques (par exemple désignation d’appelés ayant la qualification civile voulue comme adjoint de l’officier d’ordinaire ou du trésorier, comme responsable de l’entretien de telle ou telle catégorie de matériel, etc.).
Cette mesure permettra en outre un plus grand brassage de cadres et de responsables d’active et de réserve, très profitable pour l’armée et pour le pays.
Pour ce qui est de l’intérêt que doit présenter le Service pour les jeunes appelés et du profit qu’ils peuvent retirer de leur passage sous les drapeaux, j’ai demandé la mise en œuvre des quatre mesures suivantes :
6° Généralisation des activités de plein air qui devront constituer un véritable « retour à la nature » pour des recrues d’origine de plus en plus urbaine. Ce « désencasernement » du Service militaire se fera par la pratique systématique de l’instruction à l’extérieur, la généralisation des sports de masse (en particulier cross), la pratique de la marche, y compris pour les unités fortement dotées de matériels, la pratique des nomadisations. Il est bien certain que la pratique de ces activités devra se faire de façon très progressive et sous contrôle médical.
7° Obtention du brevet de natation pour les non-nageurs. L’importance de la tâche à entreprendre dans ce domaine ne vous échappera pas lorsque vous saurez que près d’un jeune garçon sur deux ne sait pas nager en arrivant au Service militaire. Je dois reconnaître que les efforts faits actuellement sont encore insuffisants puisque seulement 25 % des non-nageurs incorporés apprennent à nager pendant leur Service : ceci veut dire qu’à leur libération, moins de 65 % des appelés savent nager. Je veux porter ce pourcentage entre 90 et 95 %.
8° Obtention du brevet de secouriste de la Protection civile par le maximum d’appelés. Il paraît indispensable en effet que dans notre civilisation moderne, où nous sommes tous les jours confrontés à des accidents dus à l’utilisation des machines (automobiles ou autres), chaque jeune citoyen ait appris les gestes élémentaires qui peuvent sauver une vie (pose de garrot, respiration artificielle, immobilisation d’une fracture, etc.). Il est bien évident que je demande dans ce domaine la participation d’un certain nombre d’organismes spécialisés parmi lesquels la Protection civile, les unités de sapeurs-pompiers, la Croix-Rouge, etc.
9° Conversion gratuite des permis militaires en permis civils pour tous les titulaires jugés aptes et sans autres astreintes que celles qui existent normalement dans le secteur civil. Cette mesure devra s’appliquer à toutes les catégories de permis.
10° Dans le but de contrôler que ces mesures ne restent pas au niveau des bonnes intentions mais sont effectivement appliquées, j’ai décidé de généraliser à tous les échelons, y compris au mien, le principe des inspections inopinées. Mon souci en effet est de saisir la réalité de la vie quotidienne et je crois que seul ce type d’inspection permet, d’une part une juste appréciation de la situation et du moral des différentes catégories de personnels, et d’autre part de faire passer l’information dans les deux sens.
J’ajoute que cela contribuera à alléger les tâches des corps de troupe en supprimant les longues préparations des inspections planifiées qui, en fin de compte, ne donnent pas une image réelle des formations inspectées.
Je compte en outre offrir de très larges possibilités aux élus ainsi qu’aux parents pour venir eux aussi se rendre compte sur place du travail effectué par les jeunes appelés et par les cadres.
J’estime en effet nécessaire que la « communication », c’est-à-dire un dialogue toujours plus large à tous les niveaux, s’établisse aussi bien au sein des armées qu’entre les armées et la population.
Je veux indiquer pour conclure que ces mesures ne constituent qu’une première étape ; d’autres, actuellement à l’étude, seront mises en œuvre plus tard, concurremment avec des mesures relatives à l’amélioration de la condition militaire qui leur sont étroitement liées.
Ces mesures feront d’ailleurs l’objet de délibérations du Gouvernement avant d’être, si besoin est, soumises à l’approbation du Parlement ».
Aperçu du projet de budget pour 1975
Le Gouvernement, on le sait, entend que le budget de 1975 dont il vient d’établir le projet traduise par son austérité l’effort de lutte contre l’inflation qu’il a entrepris. Il allait de soi que le budget de la Défense participât à cette action. Néanmoins, compte tenu de la volonté affirmée par ailleurs à diverses reprises par le Gouvernement de maintenir un effort spécifique en ce qui concerne la défense et en particulier en faveur des personnels des armées, le budget de la Défense marquera en 1975 un pourcentage d’augmentation au moins équivalent à celui de la progression générale de l’ensemble des dépenses budgétaires, ce qui n’avait pas été le cas en 1974.
Pour ne parler que des crédits de paiement (CP) – les autorisations de programme (AP) n’étant pas encore arrêtées au moment où nous écrivons cette chronique – leur montant global s’élèvera à 43 780 millions de francs, soit une augmentation de 13,80 % par rapport aux chiffres du budget 1974 rectifié. Ces crédits se décomposent en 24 468 MF pour le titre III et 19 312 MF pour le titre V. On constate donc que le titre III sera nettement supérieur au titre V, ce qui marque les préoccupations gouvernementales actuelles de faire progresser la condition militaire et d’améliorer les conditions d’exécution du Service national. En compensation, il reviendra au titre V de marquer l’effort de participation de la Défense à la lutte contre la surchauffe. Donnons un aperçu de ce projet en insistant plus spécialement sur un ensemble important de mesures catégorielles en faveur des personnels militaires.
La première direction d’effort vise principalement à compenser par un relèvement de l’indemnité pour charges militaires l’une des sujétions particulièrement lourde qui pèse sur ce personnel : la mobilité, surtout lorsqu’elle touche des militaires chargés de famille. Un taux majoré pour les adjudants et les adjudant-chefs tiendra compte des charges plus importantes que connaissent ces sous-officiers du fait que, plus anciens, ils ont généralement plus de charges de famille que les autres.
Il faut noter également que 1975 sera la première année à voir jouer l’indexation de cette indemnité pour charges militaires ; il en résultera que le seuil auquel elle avait été portée cessera de se dégrader et même que les mesures liées à la compensation de la mobilité ci-dessus évoquées permettront de le relever sensiblement.
L’autre direction d’effort nettement marqué concerne les hommes du rang à solde spéciale progressive. Elle vise à leur donner, en procédant par étapes, une rémunération qui sera l’équivalent du Smic compte tenu des avantages en nature dont ils bénéficient.
Notons également que pour l’ensemble des armées le nombre des échelles de solde n° 4 sera augmenté afin de reconnaître la plus grande technicité demandée au corps des sous-officiers.
À signaler aussi que pour les officiers des trois armées la prime de qualification qui est actuellement à taux fixe sera indexée et portée au niveau de 10 % de la solde en plusieurs étapes.
Chaque armée bénéficiera en outre de mesures spécifiques. Parmi les plus importantes de celles qui sont prévues pour l’Armée de terre citons :
– la poursuite de l’effort déjà entrepris pour l’attribution de repas gratuits au profit de certains cadres en manœuvre ou en service avec leur troupe ;
– la création d’une nouvelle indemnité destinée à compenser les sujétions particulières des officiers et des sous-officiers de l’armée de terre encadrant la troupe.
Pour la Marine, un nouvel effort sera fait afin d’augmenter la majoration pour service à la mer et relever le supplément de solde alloué aux personnels des sous-marins nucléaires.
En ce qui concerne l’Armée de l’air, il n’est pas impossible d’espérer que le nombre des primes de technicité des sous-officiers soit au moins doublé et qu’intervienne un certain nombre de relèvements d’indemnités diverses au profit de personnels spécialisés de cette armée (entre autres pour les contrôleurs militaires du trafic aérien).
Il faut noter aussi que 1975 sera la première année d’application pleine et entière du nouveau statut des médecins et des pharmaciens chimistes des armées, et qu’en dépit des conditions générales difficiles, un effort important est ainsi fait en leur faveur.
Quant à la Gendarmerie, les sous-officiers verront leur prime d’habillement augmentée. De plus, malgré la décision gouvernementale de ne créer aucun emploi civil ou militaire nouveau, une exception sera faite en faveur de cette arme afin de tenir compte des charges qu’elle supporte en tout temps.
Dans le cadre du plan gouvernemental d’économie de l’énergie et dans une conjoncture très difficile en ce domaine, notamment pour les produits pétroliers, les armées ont naturellement été appelées à prendre part à cet effort par une diminution très sensible de leur consommation de carburant et de leurs crédits de chauffage.
Cet aperçu du projet de budget de défense serait incomplet si nous ne disions un mot des incidences financières de l’effort important qui est fait quant aux conditions d’exécution du service national. C’est ainsi que 1975 verra :
– un nouveau relèvement du prêt ;
– un accroissement très sensible de la masse d’entretien des personnels de l’Armée de terre, qui tend à améliorer les conditions de vie des jeunes appelés ;
– une augmentation des crédits destinés à l’alimentation de la troupe ;
– une augmentation du nombre des postes de responsabilité offerts aux jeunes du contingent par l’ouverture d’un nombre significatif d’emplois d’aspirants et de sergents (Armée de terre et Armée de l’air) ou d’enseignes de vaisseau (Marine) ;
– l’attribution d’un crédit destiné à accorder des billets de chemin de fer gratuits à ceux des appelés disposant de ressources modestes, de façon à leur permettre d’aller régulièrement en permission.
En résumé, le titre III du projet de budget marque très nettement la volonté du Gouvernement de poursuivre son objectif de progrès social affirmé à maintes reprises et dont il n’a pas voulu que les militaires de toutes catégories soient tenus à l’écart.
On comprend que dans ces conditions ce soit le titre V qui participe le plus à la lutte anti-inflation et qu’il en résulte une réduction des dotations par rapport aux demandes initiales. Cette réduction conduit à étaler dans le temps certains programmes d’équipement. Les opérations majeures ont été cependant maintenues dans l’ensemble selon le plan fixé par la loi de programme révisée. On peut néanmoins s’interroger sur le point de savoir si l’année budgétaire 1975 peut constituer une année de référence valable pour l’établissement de la IVe Loi de programme militaire qui est actuellement à l’étude et qui devra entrer en vigueur en 1976.
Soulignons en terminant qu’il s’agit là d’un projet, toujours susceptible de subir des modifications – le président de la République n’a pas encore refermé le dossier défense dont il a commencé l’étude le 26 juillet – et de toute façon, le projet devra être soumis au vote du Parlement.
Transformation du Centre spécial de formation militaire supérieure en Centre d’enseignement supérieur interarmées de défense
En fermant ses portes en avril 1973 notre ancienne École d’état-major a interrompu un enseignement qu’elle dispensait à de nombreux officiers étrangers, notamment d’États de la francophonie, et qui était apprécié aussi bien par les stagiaires que par leurs ministères et états-majors.
Cette situation a entraîné une multiplication du nombre des demandes de places à l’École supérieure de Guerre formulées par les gouvernements étrangers, à un point tel qu’il a fallu, pour satisfaire des besoins croissants auxquels l’ESG n’était plus en mesure de répondre sans risquer d’abaisser le niveau de son enseignement, envisager un enseignement particulier à ces fins.
Tel est l’objet de la création du Centre spécial de formation militaire supérieure (CSFMS) qui a ouvert ses portes à 33 stagiaires étrangers en janvier 1974.
Après une interruption d’un mois, les stagiaires qui viennent de terminer le CSFMS fin juillet sont appelés à suivre depuis le début du mois de septembre le Cours supérieur interarmées dont ils partageront l’enseignement avec leurs camarades français et étrangers de l’Armée de terre ayant déjà effectué une première année d’École supérieure de Guerre (Terre) ainsi qu’avec les marins et les aviateurs directement issus de leurs écoles supérieures de guerre respectives.
À la lumière de cette première expérience du CSFMS, le ministre de la Défense vient de décider sa transformation en Centre d’enseignement supérieur interarmées de Défense (CESID) dont les cours débuteront fin octobre 1974.
Cette décision tient compte des leçons tirées du fonctionnement du CSFMS dont les objectifs ont été atteints dans des conditions satisfaisantes au point d’autoriser des perspectives plus larges et ce, dès le cycle 1974-1975. Elle tient compte également des avis exprimés par les stagiaires, au jugement sûr, de la première promotion, confirmés par plusieurs représentants militaires étrangers.
Le programme a donc été réorienté en fonction des besoins réels des États étrangers et de l’expérience des officiers admis au premier stage. Le style du CESID sera nouveau. L’enseignement dispensé au CSFMS, tiré des programmes des écoles de guerre et orienté surtout vers la pratique du travail d’état-major et la conduite de la manœuvre des unités sera conservé pour l’essentiel. Mais il y sera ajouté ou en partie substitué un enseignement destiné à former les stagiaires aux problèmes de management des affaires militaires au niveau interarmées ainsi que des problèmes généraux au niveau des ministères de la défense. Cet objectif devrait mieux correspondre à ce que les États sont en droit d’attendre.
L’appellation nouvelle du centre, où apparaissent les deux termes « interarmées » et « défense », découle de cette réorientation. De surcroît, il ne s’agit plus d’une formation mais d’un enseignement.
La modification du programme entraîne un allongement de la durée des cours qui passe de 12 à 14 mois, dont 4 mois au Cours supérieur interarmées (CSI) (2).
À l’issue des cours, le brevet attribué est celui de l’Enseignement militaire supérieur devenu commun aux stagiaires français et étrangers des écoles supérieures de guerre et du CESID.
Ainsi, après une année riche d’enseignements, il est apparu possible d’éliminer le caractère spécial et provisoire donné au CSFMS et d’adopter une voie pragmatique plus ouverte et plus féconde. Dorénavant, les candidats étrangers disposeront de deux filières, l’une courte et de haut niveau général, le CESID, l’autre plus longue, à vocation tactique, les Écoles supérieures de Guerre (ESG).
Dans cet esprit, les officiers les plus expérimentés et destinés à de hautes responsabilités doivent être orientés vers le CESID. Les autorités militaires françaises souhaitent que la prochaine sélection qui sera faite pour l’admission en octobre 1975, soit menée par les États dans cette optique.
La prochaine incorporation est fixée au lundi 28 octobre 1974. Un cours facultatif de langue française est ouvert au centre depuis le 12 septembre.
L’adresse postale du centre est :
Monsieur le vice-amiral commandant le Centre d’enseignement supérieur interarmées de Défense (CESID)
21, place Joffre – 75700 PARIS
Téléphone : 548-78-10 Poste 33 189 ♦
(1) Sous-groupe de l’Eurogroup réunissant les directeurs d’agences d’armement.
(2) Le choix retenu pour le point d’application de cet allongement est celui d’une incorporation avancée à la fin octobre de manière à faciliter les problèmes de rentrée scolaire des enfants des stagiaires.