Cinéma - Divers aspects de l'armée photogénique
L’armée n’est plus à l’ordre du jour de la cinématographie : plusieurs cinéastes, néanmoins, ont cherché au cours de ces derniers mois, dans un contexte international, à en donner une image plus ou moins conforme à la vérité, plus ou moins déformée aussi. Trois films français notamment nous ont offert une représentation variée du comportement militaire, le plus souvent dans des situations exceptionnelles.
L’accent a été mis sur les aspects négatifs dans le film d’Yves Boisset R.A.S. qui a évoqué d’une manière assez partisane quelques épisodes de la guerre d’Algérie. Certes, tous les personnages mis en cause, surtout des officiers, ne se présentent pas sous des dehors déplaisants, l’impression générale n’en reste pas moins pénible. Il est certain que les spectateurs évolués auront fait la part des choses et rectifié des prises de position trop absolues ; mais que penseront ceux qui n’ont pas suffisamment de sens critique pour rétablir l’équilibre ? Tout au contraire, le film de René Gainville Le Complot, traitant du délicat problème de l’Organisation de l’armée secrète (OAS), se situe sur un plan de dignité totale. Même ceux des spectateurs qui ne partagent pas le point de vue exprimé par les principaux personnages doivent reconnaître que la tentative d’explication d’une situation particulièrement douloureuse se place dans une perspective parfaitement objective. La dignité, l’honnêteté des militaires ne sont jamais bafouées, jamais mises en accusation. À cet égard, Le Complot mérite de figurer parmi les œuvres cinématographiques les plus dignes d’intérêt, du point de vue militaire.
Robert Lamoureux, fidèle à sa vocation, a réalisé une comédie satirique, sans méchanceté et bon enfant, intitulée Mais où donc est passée la 7e compagnie ? En vérité, on pouvait craindre le pire, étant donné que l’action se situe pendant l’exode de 1940. Or, tout en faisant rire, Robert Lamoureux n’a jamais poussé la caricature trop loin. Selon le mot fameux de Jean Cocteau, il a parfaitement su jusqu’où on peut aller trop loin…
Bien que produit par les Américains d’après un livre anglais, Chacal met en scène un complot contre le général de Gaulle, complot fictif, certes, mais non dénué de relents authentiques puisqu’il y est fait allusion au colonel Bastien-Thiry. Plus que l’armée, c’est la police qui tient le haut du pavé dans le film de Fred Zinnemann, dont la reconstitution est plus qu’honorable. Du point de vue du prestige militaire, ce film est, pourrait-on dire, indifférent, puisque les aspects divers de l’armée n’y sont ni positifs ni négatifs.
Puisque nous parlons de la production étrangère, il y a lieu de signaler ici la remarquable adaptation cinématographique par Roland Verhavert du roman de l’écrivain belge Henri Conscience, Le Conscrit. Certains ont voulu voir dans cette transposition d’un des romans les plus touffus de la littérature du XIXe siècle une tentative de film antimilitariste, ce qui est vraiment absurde. On oublie que l’action se situe en 1833, c’est-à-dire à l’époque intermédiaire entre la proclamation de l’Indépendance de la Belgique (1830) et le traité qui mit officiellement fin aux hostilités entre le nouvel État et les Pays-Bas, ancienne puissance occupante (1839). Le recrutement pour la nouvelle armée nationale se faisait par voie de tirage au sort et il n’était pas rare que de pauvres paysans prennent la place de riches hobereaux qui avaient tiré un mauvais numéro. Ce sont les mésaventures d’un « conscrit » volontaire que raconte Henri Conscience et que reproduit le cinéaste Roland Verhavert.
Outre que l’armée belge était toute fraîche, le problème linguistique compliquait déjà les choses. Les recrues flamandes ne comprenaient souvent pas un mot de français. Or, les ordres étaient donnés par des officiers francophones. On eut alors recours au trop célèbre système du « foin, paille » remplaçant le « gauche, droite » pour la marche de la formation. L’hygiène militaire était superficielle, primitive, tout comme l’hygiène en général. Si donc le soldat Jean, victime d’une maladie vénérienne, devient aveugle, ce n’est pas à l’autorité militaire qu’il convient d’en faire grief. D’ailleurs, les sentiments humains du colonel sont mis en relief et le réalisateur du Conscrit a maintenu en parfait équilibre ses appréciations flatteuses ou critiques de la vie militaire dans les premières années du royaume de Belgique.
De son côté, Vilgot Sjöman, un des cinéastes suédois les plus discutés, a donné un rôle à l’armée dans son film Une Poignée de Vie qui évoque les grèves générales de 1909 à Stockholm et dans les autres villes suédoises. Pas d’agressivité, mais un simple constat. La troupe occupe les usines pour empêcher les sabotages. Le comportement des militaires est sans reproche, toutefois leur seule présence incite les ouvriers des autres manufactures à déclencher une grève de solidarité. Déçus par leurs meneurs, abandonnés par le gouvernement socialiste de Branting, les travailleurs sont contraints de reprendre le labeur sans avoir obtenu le moindre avantage. Le réalisateur s’est gardé de toute démagogie et il a représenté la part prise dans cette affaire par l’armée comme une simple parade destinée à impressionner. On lui en sait gré.
Parmi les productions étrangères mettant en scène des militaires, le film le plus intéressant est certes La Dernière Corvée de Hal Ashby, dont les personnages principaux sont des marins américains. La critique de certaines pratiques abusives y est nette, mais l’aspect humain du problème est toujours sauvegardé. Deux sous-officiers de l’US Navy sont chargés de convoyer jusqu’à la prison militaire de Portsmouth un jeune marin coupable d’avoir dérobé quelques dollars. Au cours de leur randonnée de Norfolk jusqu’à Portsmouth, ils ont l’occasion de comprendre que le délinquant n’est pas un voleur mais un simple kleptomane. Ils s’insurgent contre la peine trop lourde prononcée contre lui : huit ans de prison. Cette sévérité a été requise par la femme de l’amiral, car c’est au tronc d’une bonne œuvre que le malheureux marin s’est attaqué, sans réussir d’ailleurs. Les deux sous-officiers décident alors de profiter largement du temps qui leur est imparti pour accomplir leur mission et donnent du plaisir à leur prisonnier. Ensemble, ils visitent le Capitole à Washington, ils s’enivrent dans un bar, ils vont même dans une maison close, après quoi le devoir est rigoureusement accompli. La consigne est formelle et respectée à la lettre. Le conflit humain est mis en relief sans que pour autant la discipline militaire en souffre. Sans doute peut accessible au grand public, La Dernière corvée est une œuvre éminemment intéressante pour les spectateurs conscients.
Terminons cette chronique en rappelant que l’Établissement cinématographique et photographique des armées (ECPA) a fait réaliser, l’an passé, un film à la fois prémonitoire et d’anticipation, La Seconde Mort, dû à Raymond Bassi, dont le but est d’attirer l’attention sur les fléaux qui risquent de s’abattre sur l’humanité si celle-ci continue à ignorer le précipice qu’elle creuse elle-même sous ses pieds. Des témoignages d’Albert Einstein, d’Henri Laborit et de Jean Guitton viennent corroborer les thèses de l’auteur auquel on pourra toutefois reprocher un propos quelque peu ambigu, puisqu’il mêle parfois les fléaux naturels, inévitables, aux catastrophes provoquées délibérément ou inconsciemment par les humains. Ce qui est certain, c’est que La Seconde Mort fait réfléchir. Son but est atteint. ♦