Problèmes contemporains de défense nationale
En dépit de l’abondance de la littérature consacrée ces dernières années aux problèmes de défense, rares sont les ouvrages échappant à l’une ou l’autre de ces deux critiques : ou bien ils sont l’œuvre de quelques « spécialistes », souvent anciens militaires, dont l’optique est généralement limitée et le jargon rebutant, ou bien ils ont pour auteurs des politiciens dont le propos est partisan et polémique. Certains ouvrages cumulent même ces deux défauts majeurs… Si le livre de M. Raoul Girardet échappe heureusement à ces deux travers, c’est d’une part parce qu’il est l’œuvre d’un historien qui connaît parfaitement son sujet, et c’est d’autre part parce qu’il a pour origine un cours professé par l’auteur à l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris. Il reste donc fidèle à la vocation essentielle de ce cours que l’auteur définit ainsi : « fournir à un public de non spécialistes les éléments d’information nécessaires à la compréhension des grands problèmes militaires de notre temps ». Il y réussit parfaitement et très remarquablement.
Pour des nécessités didactiques – mais ce procédé ne nuit en rien, bien au contraire, à la valeur de l’exposé – Raoul Girardet divise son sujet en deux parties ; la première, dans le cadre d’une vaste fresque retraçant l’évolution historique du phénomène de l’affrontement belliqueux du XXe siècle, décrit les types de conflits et de menaces guerrières dans le monde contemporain. L’essentiel de cette partie est constitué par trois chapitres présentant les phases par lesquelles est passée la géostratégie de l’ère nucléaire depuis le monopole américain jusqu’à l’équilibre de la terreur et à la compétition des deux Grands pour le perfectionnement qualitatif du « deterrent ». Sont également étudiées en deux chapitres la guerre subversive et la guerre révolutionnaire entre lesquelles l’auteur établit une distinction fort judicieuse, la première expression désignant en fait « certaines méthodes, certaines formes particulières de lutte (propagande, guerre dans la foule, encadrement des masses, etc.) quelle que soit l’idéologie au service de laquelle ces moyens et ces méthodes se trouvent utilisés », la seconde s’appliquant à « la doctrine marxiste-léniniste des conflits entre les groupes sociaux et les entités politiques ». On ne peut qu’être d’accord avec l’auteur lorsqu’il affirme : « L’usage de la distinction terminologique, s’il s’était répandu plus tôt, aurait évité, dans l’abondante littérature consacrée à ces problèmes, bien des équivoques, bien des schématisations abstraites et bien des affirmations très arbitraires ». Il aurait également évité bien des déboires à nos apprentis révolutionnaires de la « guerre psychologique » en Algérie.
La seconde partie est consacrée aux systèmes de défense et aux politiques militaires. Fidèle à sa méthode d’historien, Raul Girardet commence par le rappel historique de la genèse du Traité de l’Atlantique Nord, de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) et du Pacte de Varsovie pour en venir ensuite aux problèmes politiques et militaires de l’Alliance Atlantique. Il décrit ensuite l’organisation française de la défense nationale et la politique militaire de la Ve République et expose enfin les débats et controverses suscités par cette politique et par les problèmes du service militaire et de l’esprit de défense. Il fait très bien comprendre la relativité du phénomène de dissuasion pour une puissance moyenne comme la France. La possession d’une force nucléaire n’apporte pas à notre pays une solution absolue. La dissuasion d’ailleurs n’est pas acquise une fois pour toutes. Elle implique une recherche constante de l’efficacité par rapport au système de défense adverse et elle suppose une volonté politique à laquelle participe le pays tout entier. L’auteur pose alors la très grave question de savoir s’il est possible de poursuivre l’objectif défini par la première loi de programme et qui est de constituer « un ensemble cohérent et équilibré » de forces aptes à répondre à toutes les formes de menace et d’agression.
Les problèmes ainsi passés en revue par Raoul Girardet de façon très objective, très claire et très complète sont ceux-là mêmes que renferme le dossier sur lequel se penche, au moment où nous écrivons, le président de la République. Son livre constitue, à notre avis, une contribution non négligeable à cet important dossier. Elle a d’autant plus de valeur qu’elle est apportée par un homme qui, tout en étant en dehors de la société militaire, y a consacré son œuvre d’historien, qui est très remarquable, et c’est à juste titre qu’il a été appelé à coopérer à la Fondation nationale pour les études de défense comme membre de son comité d’études.
Outre le Livre blanc sur la défense, s’il est un ouvrage de base que professeurs et élèves de l’École de Guerre, des IEP et, plus généralement, tous ceux qui veulent comprendre les problèmes contemporains de défense nationale devraient posséder, c’est bien celui-là. Il a en outre un rare mérite, celui d’aborder des sujets complexes en un style très clair et cependant jamais simplificateur. ♦