Institutions internationales - De nouveaux dirigeants - L'ONU et l'agression - Conditions d'une relance européenne - Difficultés atlantiques
Si le début d’une année nouvelle est toujours l’occasion d’un bilan, celui-ci prend parfois une signification particulière, soit par l’importance exceptionnelle d’un événement dont on peut affirmer qu’il est d’ordre historique, soit par le nombre de changements qui, par leur concomitance, conduisent à adapter le raisonnement à une situation nouvelle. Tel est bien le cas au début de 1975. Certes, la « crise du pétrole » a, par ses multiples conséquences, dominé 1974, et ses répercussions se développeront encore à la manière d’ondes de choc. Mais cette crise fut une des conséquences du conflit israélo-arabe d’octobre 1973, et elle a affecté une situation économique et financière dont on connaissait les faiblesses et dont on savait qu’elle favoriserait les répercussions d’un événement « extérieur », pour reprendre une expression de l’historien britannique Harold Toynbee. Aussi bien doit-on considérer ceux des changements qui ne sont pas liés à cette crise. Ils ont concerné des hommes, et comme la politique n’est pas ce jeu de forces impersonnelles auquel prétend la réduire le matérialisme historique, ce qui affecte les hommes affecte le comportement des États.
De nouveaux dirigeants
Georges Pompidou est mort le 2 avril. Beaucoup a été dit sur l’exemplarité de son attitude durant les mois où il s’efforça d’imposer une volonté à un mal qui ne connaissait pas la volonté. Moins d’un an après sa mort, on peut se demander s’il n’a pas symbolisé le passage du gaullisme à l’après-gaullisme. Le second n’est certes pas un rejet du premier, mais quelle que soit la fidélité des nouveaux dirigeants français aux lignes de force du gaullisme, ceux-ci marquent la politique de leur personnalité, cependant qu’en tant qu’organisation politique, le gaullisme est en quête d’une forme nouvelle, à la recherche d’un principe qui ne soit pas la seule fidélité. Ceci ne peut pas rester sans répercussions au plan de la politique étrangère. Le chancelier Willy Brandt assistait aux obsèques de Georges Pompidou : le 7 mai, il dut quitter le pouvoir dans des conditions humiliantes. Lorsque l’« affaire Guillaume » (1) s’amplifia, il se trouva seul, abandonné par ceux de ses amis qui aspiraient à lui succéder et par ses adversaires, qui en savaient plus que lui sur les activités de l’espion Guillaume. Le 10 avril, Mme Golda Meïr se résigna à une démission définitive, usée par cinq ans de pouvoir, affaiblie par les attaques dont elle fut l’objet au lendemain de la guerre du Kippour. Le 3 mars, les Conservateurs perdirent le pouvoir, et Harold Wilson succéda à Edward Heath : la relance de l’économie avait entraîné une inflation galopante, la crise avait frappé de plein fouet, une vague de grèves avait déferlé sur l’Angleterre. Heath avait proposé des élections générales sur thème : « Qui doit gouverner l’Angleterre ? » – sous-entendu « les syndicats ou moi ? ». La réponse fut : « pas vous ». Le 8 août, devant 120 millions de téléspectateurs, Richard Nixon abandonna la lutte. Après avoir été en 1972 le président le mieux élu de l’histoire américaine (61 % des voix) il sortit de scène brisé, détruit par l’affaire du Watergate (2). Dépossédé de ses principales prérogatives en mai, définitivement renversé en septembre, Haïlé Sélassié, ex-Roi des Rois, ex-Lion de la tribu de Juda, ex-descendant de la reine de Saba, doit d’être encore en vie au mirage de sa fortune : il a survécu aux terribles purges de novembre. Dans l’hésitation, la joie, le trouble et la fièvre, le Portugal s’est engagé le 25 avril sur une voie nouvelle. Le successeur de Salazar, Marcello Caetano, et le président de la République, l’amiral Tomaz, furent envoyés en exil à Madère. Mais leur vainqueur, le général de Spinola, dut s’effacer à son tour ; les communistes accédèrent au pouvoir, mais le Portugal implore l’aide américaine. On a vu rarement un régime fort s’affaiblir aussi vite et s’effondrer que celui des « colonels grecs » ; depuis le 23 octobre, Papadopoulos, Pattakos et Makarezos méditent dans l’île de Kea sur les vicissitudes de l’histoire, cependant que Caramanlis s’efforce de réhabituer la Grèce à la démocratie. Juan Peron était la preuve que les miracles peuvent avoir lieu deux fois : il est mort le 1er juillet.
De pareils changements ne peuvent pas ne pas introduire des incertitudes, car même si les successeurs veulent s’identifier à la continuité, leur arrivée au pouvoir modifie les données de certains problèmes. Gérald Ford a proclamé qu’il maintiendrait la diplomatie de Richard Nixon : le « sommet » de Vladivostok n’a pas été ce qu’il aurait été avec Nixon, notamment en matière d’armements stratégiques. Harold Wilson est affronté aux difficultés contre lesquelles luttait Edward Heath, mais à l’égard de l’Europe il semble vouloir adopter une attitude différente. Les incertitudes deviennent plus sérieuses lorsque le changement se veut rupture avec une politique : c’est le cas au Portugal, en Grèce, en Éthiopie. Elles ne sont pas moins profondes dans le cas d’hommes à qui l’âge ou la maladie imposent soit un allégement de leur activité, soit la préparation de leur succession. Si, le 2 septembre, le général Franco a remis l’après-franquisme à une date indéterminée, on est en droit de se demander ce que deviendra l’Espagne, soumise à des désirs contradictoires de continuité et de changement en même temps que sensible, en certains de ses milieux, à l’exemple portugais. Très malade, Chou En-Lai ne sera probablement pas le successeur de Mao Tsé-Toung. Le maréchal Tito, âgé de 82 ans, sait que sa disparition ouvrirait une nouvelle ère pour la Yougoslavie. Des bruits de plus en plus alarmants courent sur la santé de Léonid Brejnev… À bien des égards, par l’intermédiaire des hommes, c’est ainsi un monde nouveau qui s’annonce.
L’ONU et l’agression
C’est aussi un fait nouveau qui est intervenu le 14 novembre 1974 à l’ONU : l’Assemblée générale a adopté une définition de l’agression. Depuis cinquante-trois ans, les juristes et les experts politiques de la Société des Nations (SDN), puis de l’ONU, s’efforçaient de résoudre ce problème qui ne cessait de les opposer les uns aux autres, tous ayant peur d’être pris dans un piège. La question était capitale : comment peut-on concevoir un système efficace de sécurité collective sans une définition de l’agression ? Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les Français et leurs alliés tentèrent, au sein de la SDN, de faire approuver des accords qui visaient à créer des mécanismes de défense contre tout agresseur. Ces efforts se heurtèrent au scepticisme de pays comme la Grande-Bretagne, hostiles aux définitions rigides et convaincus que les agresseurs parviendraient à « tourner » les critères choisis. Une nouvelle tentative eut lieu après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, sous l’impulsion de Litvinov. Elle n’aboutit pas davantage.
C’est l’URSS qui, lors de la 5e session de l’Assemblée générale de l’ONU en 1950, présenta une proposition tendant notamment à ce que l’Assemblée reconnaisse pour agresseur l’État qui, le premier, aurait commis l’un des actes énumérés dans la proposition. Celle-ci fut renvoyée à une commission… Il fallut attendre dix-sept ans pour que les membres de l’ONU parviennent à se mettre d’accord sur un texte, définitivement approuvé le 12 avril 1974 par le « Comité spécial pour la question de la définition de l’agression », les pays de l’Est s’étant systématiquement opposés à tout ce qui leur paraissait limiter leur souveraineté, et de nombreuses délégations ayant exprimé leur scepticisme quant à l’efficacité de définitions risquant, selon elles, de gêner davantage l’agressé que l’agresseur. À quoi sert une définition de l’agression s’il n’existe pas une organisation internationale capable d’arrêter l’agresseur, ou si l’agressé ne peut pas compter au moins sur le soutien de ses alliés ? En revanche, si la volonté d’arrêter l’agresseur et de soutenir l’agressé existe, la définition de l’agression devrait permettre au Conseil de sécurité d’agir rapidement, ce qui est la condition première du succès de son intervention.
L’agression est définie (art. 1) comme « l’emploi de la force armée par un État contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations unies »… L’article 3 du texte précise les actes qui constituent une agression :
« a) L’invasion ou l’attaque du territoire d’un État par les forces armées d’un autre État, ou toute occupation militaire, même temporaire, résultant d’une telle invasion ou d’une telle attaque, ou toute annexion par l’emploi de la force du territoire d’un autre État ;
b) Le bombardement, par les forces armées d’un État, du territoire d’un autre État, ou l’emploi de toutes armes par un État contre le territoire d’un autre État ;
c) Le blocus des côtes ou des ports d’un État par les forces armées d’un autre État ;
d) L’attaque par les forces armées d’un État contre les forces armées terrestres, navales ou aériennes, la marine et l’aviation civiles d’un autre État ;
e) L’utilisation des forces armées d’un État qui sont stationnées sur le territoire d’un autre État avec l’accord de l’État d’accueil, contrairement aux conditions prévues dans l’accord, ou toute prolongation de leur présence sur le territoire en question au-delà de la terminaison de l’accord ;
f) Le fait pour un État d’admettre que son territoire, qu’il a mis à la disposition d’un autre État, soit utilisé par ce dernier pour perpétrer un acte d’agression ;
g) L’envoi par un État ou en son nom de bandes ou de groupes armés, de forces irrégulières ou de mercenaires qui se livrent à des actes de force armée contre un autre État, d’une gravité telle qu’ils équivalent aux actes énumérés ci-dessus, ou le fait de s’engager d’une manière substantielle dans une telle action ».
Cette définition de l’agression permettra sans doute au Conseil de sécurité de mieux justifier ses interventions en cas de besoin. Mais elle laisse dans l’ombre une forme particulière de l’agression, qui n’entre pas dans les cadres juridiques « classiques », à savoir la subversion. Les guérilleros qui œuvrent dans certains pays sont souvent encadrés, armés et financés par un grand État, qui n’accepterait certainement pas d’être accusé de commettre une agression, les actes qu’il encourage lui paraissant conformes à sa doctrine politique.
L’attaque de la Corée du Nord contre la Corée du Sud en juin 1950 ne fut pas considérée comme une agression par l’Union soviétique. Pourrait-on, en fonction du texte adopté par l’ONU, considérer comme une agression l’intervention soviétique en Hongrie en 1955, ou en Tchécoslovaquie en 1968 ? De telles questions montrent la limite politique d’une définition juridique.
La 29e session annuelle de l’Assemblée générale de l’ONU s’est terminée le 18 décembre. Officiellement elle n’est pas close, mais ajournée, comme en 1973, car le problème du Proche-Orient, qui figurait à son ordre du jour, n’a pas été abordé « pour ne pas gêner les négociations en cours ». Le trait principal de cette session – une confrontation entre les États-Unis et leurs amis d’une part, les pays du Tiers-Monde dirigés par l’avant-garde « progressiste » arabe et appuyés par les Soviétiques et les Chinois d’autre part – s’est encore accusé le dernier jour des débats, quand les États-Unis et l’Allemagne fédérale (RFA) ont refusé de participer au conseil d’administration d’un nouveau fonds qui doit fournir une aide immédiate aux pays les plus touchés par le renchérissement des produits alimentaires et des matières premières, notamment du pétrole. Selon Washington, ce nouveau fonds n’était pas nécessaire puisqu’il existait déjà des institutions internationales pour l’aide aux pays pauvres et qu’une organisation nouvelle ne servirait qu’à renforcer la « bureaucratie de l’ONU. ». En outre, a déclaré le chef de la délégation américaine, M. John Scali, « les États-Unis donnent déjà une aide bilatérale considérable à de nombreux pays ». En raison du refus américain, la plupart des sièges au nouveau fonds reviendront aux pays communistes et à ceux du Tiers-Monde. En privé, les officiels américains ont fait remarquer que les efforts déployés par l’ONU pour obtenir des contributions importantes à ce fonds se sont soldés par un échec, les pays arabes, notamment, préférant accorder une aide bilatérale à certains pays du Tiers-Monde, tandis que l’Union soviétique et les autres pays communistes refusent toute contribution à une aide multilatérale. En définitive, très peu de pays ont cotisé à ce fonds : parmi eux figurent les membres de la Communauté économique européenne (CEE).
Conditions d’une relance européenne
Cette attitude commune des États-membres de la CEE ne doit pas faire illusion : l’Europe reste à la recherche de son identité et, à court terme, des moyens de s’affirmer en tant que telle. En effet, la CEE est en crise, en raison de la discordance de situation et d’évolution entre une zone de relatif équilibre (Allemagne et BENELUX) et une zone de déséquilibres plus ou moins intenses (Royaume-Uni, Italie, France). Ces derniers pays se montrent à des degrés divers en difficulté face aux problèmes de l’inflation et de la balance des paiements. Face à ces difficultés qui altèrent le consensus social, ils entendent conserver une entière liberté de manœuvre, ce qui les empêche de prendre des engagements et d’adapter leurs objectifs internes à leurs engagements externes. En changeant de dimension, la CEE a changé de nature. On a cru pouvoir combiner son « approfondissement » et son « élargissement » au mépris des données objectives. Ainsi, on a tenté l’approfondissement alors que les nouveaux membres entraient dans la phase transitoire d’adaptation à la Communauté. Ces nouveaux membres considéraient comme inutiles certains objectifs de l’Europe des « Six » ou donnaient un sens différent à certaines actions communes (la politique régionale par exemple). Surtout, la négociation avec la Grande-Bretagne, conduite de façon superficielle, d’homme à homme et non d’État à État, alors que l’opinion publique anglaise restait hostile à l’Europe, ne pouvait qu’aboutir rapidement à une demande de « renégociation ». La question de savoir jusqu’où peut s’approfondir une communauté élargie ne sera tranchée que lorsqu’on saura ce que les Anglais souhaitent vraiment. Mais, malgré les illusions de nombre de « bons Européens », il est vraisemblable que les Anglais ne quitteront pas la Communauté.
Plus classiques, deux autres questions restent sans solution : le choix entre développement de la communauté ou de la coopération intergouvernementale (problème des articles 234 et 235 du Traité de Rome), la distinction entre communauté économique et union politique. C’est en fonction de ces observations que peut se circonscrire une zone d’intérêt commun où des actions limitées sont utiles et souhaitables, à condition de n’être pas trop ambitieuses, ni de trop ignorer les intérêts des pays membres. En premier lieu, il s’agit, pour les « Neuf » comme pour les pays associés, de maintenir la liberté des transactions, c’est-à-dire l’union douanière, ou plus précisément l’existence d’un grand marché intérieur où s’inscrive la stratégie des firmes européennes. Il s’agit ensuite de sauvegarder non pas la, mais une Politique agricole commune (PAC), car il est à terme important pour l’Europe d’être une zone d’approvisionnement à prix relativement stables. En troisième lieu, les États-membres doivent harmoniser plus étroitement leurs politiques économiques et monétaires. Bien que critiqué, le « serpent » a rendu de grands services et en rend encore en créant une aire de stabilité favorable au développement du commerce intereuropéen, voire mondial. Mais les divergences de politique économique et certaines insuffisances techniques (mouvements erratiques des monnaies du « serpent » vis-à-vis du dollar et absence d’un Fonds de stabilisation des changes) rendaient son éclatement inévitable. Enfin, pour assurer à l’Europe une relative indépendance énergétique, il conviendrait d’engager en commun des recherches dont le rapprochement entre « Eurodif » et « Urenco » serait une préfiguration.
Les hommes d’affaires et les industriels sont convaincus de la nécessité de préserver l’unité du marché, parce que les entreprises y ont adapté leur outil de production, qu’elles raisonnent et agissent désormais « en termes de marché commun », parce qu’également sa dimension peut seule permettre l’épanouissement des techniques de pointe, dont l’effet d’entraînement est considérable pour le reste de l’économie. Mais cette liberté des transactions ne va pas de soi, et elle n’est pas à l’abri d’à-coups, si ne s’affirme pas la volonté de la sauvegarder. Si un consensus se manifeste sur le maintien d’une forme de politique agricole commune, la possibilité d’une harmonisation économique et monétaire suscite des réserves. Si en particulier l’intérêt du « serpent » est généralement reconnu, il est exclu que la Grande-Bretagne et l’Italie s’y rallient. Le rapprochement des politiques énergétiques ne peut passer par une réactivation d’Euratom, condamné en raison des trop grandes interférences entre les domaines civil et militaire d’utilisation de l’énergie atomique. Enfin, l’éventuel impact d’initiatives d’ordre institutionnel, procédural ou politique est souvent jugé limité, qu’il s’agisse de l’appel au suffrage universel pour l’élection d’une assemblée européenne, d’une réforme des méthodes de travail communautaire (cantonnement effectif de la règle de l’unanimité aux seules questions essentielles par exemple), ou des actions visant à sensibiliser les opinions publiques. Mais l’essentiel réside peut-être dans le nouveau contexte géopolitique où s’insère le problème européen. À l’origine, l’Europe a bénéficié de la conjonction d’un dessein politique et de l’appui américain. Depuis lors, des pans entiers de ce consensus se sont effondrés. Par ailleurs, ont été abandonnées l’idée d’un « Occident à deux piliers » et celle d’une « Europe européenne » créant des liens avec l’Est sans le relais américain. Non-unifiée, l’Europe voit diminuer ses chances d’être autonome, et deux nouvelles idées apparaissent : celle d’un dialogue direct Washington-Bonn, celle d’une nouvelle suprématie américaine du fait de la crise de l’énergie et des rapports noués directement par les États-Unis avec les pays socialistes. Les entretiens de M. Giscard d’Estaing à Rambouillet avec M. Brejnev, à la Martinique avec le président Ford, le « sommet » européen de Paris, ont mis cette situation à nu.
Difficultés atlantiques
Dans cette situation, la position américaine occupe une place particulière, encore qu’elle suscite des interprétations contradictoires. Selon certains, les États-Unis ne douteraient pas que la politique de la main tendue aux pays producteurs de pétrole, préconisée par Paris, soit la seule possible : ils souhaiteraient seulement que les Occidentaux prennent le temps de se concerter par les voies diplomatiques. Pour d’autres, la seule idée de M. Kissinger est de décréter la mobilisation du « monde libre » pour intimider les pays arabes et infléchir la politique française. Après l’Agence énergétique de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), à laquelle Paris a décidé de ne pas participer, le nouvel objectif du secrétaire d’État est la création d’un fonds de recyclage des pétrodollars, qui permettrait, en fait, aux États-Unis de renforcer leurs contrôles sur les économies des Occidentaux et leurs relations avec les pays pétroliers. Sans doute n’est-il pas négligeable que M. Giscard d’Estaing ait obtenu qu’un « conseil » des chefs de gouvernement européens se réunisse régulièrement. C’est ce que le général de Gaulle et M. Pompidou avaient vainement cherché depuis le « plan Fouchet » de 1961. Si les Européens usent de cette institution avec détermination et réalisme, cette concertation organique pourrait les amener un jour à parler d’une seule voix à ceux qui tiennent la « région » européenne pour négligeable. Ce n’est encore qu’une possibilité. La dernière session ministérielle du Conseil de l’Atlantique Nord, qui s’est tenue à Bruxelles en décembre, a démontré une fois de plus la difficulté d’équilibrer les rapports entre une superpuissance et un pays de moindre poids. M. Kissinger l’a reconnu lui-même le 13 décembre : « Avoir conscience du problème que pose la disproportion entre le potentiel des États-Unis et celui de leurs alliés ne signifie pas nécessairement qu’on en connaisse la solution… Ce que nous pouvons faire de mieux est encore d’avoir avec nos amis des consultations aussi intensives que possible et portant sur un plus grand nombre de domaines que ceux touchés par la diplomatie classique ». À la fin de cette session, cependant, les « moins grands » des alliés ne cachaient pas leur déception devant le fait que les décisions soient prises par les « plus grands » : c’est, une nouvelle fois, le problème de l’équilibre interne du monde atlantique qui apparaît. Qu’il s’agisse des efforts de M. Kissinger pour rapprocher les Grecs et les Turcs, de la nomination du général Haig au poste qu’occupait le général Goodpaster à la tête des forces alliées en Europe, des négociations sur les armements stratégiques, de l’éventuelle réduction des forces en Europe etc., les Européens ont eu le sentiment qu’ils étaient spectateurs plutôt qu’acteurs.
Telle est la situation des Européens à l’heure où il semble que se prépare la « grande négociation » entre les pays producteurs et les pays consommateurs de pétrole, avec comme « décor » la crise économique la plus grave que le monde ait connue depuis la dernière guerre, tandis qu’une partie du Tiers-Monde souffre d’une paupérisation non seulement relative mais absolue. Sauf rebondissement du conflit israélo-arabe, les relations internationales vont connaître un nouveau cours, parce que le rapport des forces s’est modifié, parce qu’une puissance économique, financière et même militaire est née sur les bords du golfe Persique. ♦
(1) NDLR 2025 : Du nom de l’un de ses plus proches collaborateurs, démasqué comme espion de la République démocratique allemande.
(2) NDLR 2025 : Du nom de l’immeuble abritant le Parti démocrate que le président Nixon avait mis sur écoute.