Un certain manque de rigueur apparaît souvent dans les esprits, même chez les meilleurs, lorsque sont débattus les problèmes de l'avenir de l'Europe. Ce flou reflète chez les uns – notamment certains théoriciens d'outre-Atlantique – une méconnaissance singulière des réalités géographiques, culturelles et politiques de notre continent ; chez les autres, une peur inconsciente d'avoir à traiter clairement d'un sujet brûlant, si controversé qu'aux premiers mots du débat, face à des questions trop précises, on risque de déchaîner des heurts entre tenants de conceptions antagonistes.
On s'en tient alors à des vœux pieux, à des généralités, attitude qui permet sans doute de retarder certains affrontements de doctrine mais qui risque de laisser se creuser de plus en plus profondément des malentendus dans l'approche du problème européen. Or il s'agit d'un domaine où il convient au premier chef d'avoir une vue claire des choses et de se fonder sur des critères précis. Qu'on songe seulement aux désaccords que suscitent des mots tels que : supranationalité, indépendance, intégration, unité, fédération, confédération.
Aussi nous a-t-il paru opportun, à l'approche de la réunion à Paris des chefs d'État ou de gouvernement des « Dix », de passer en revue les problèmes auxquels l'Europe en formation doit faire face et de leur apporter l'éclairage d'un point de vue français.
Une part de ce qui cimente les ensembles humains existe bien évidemment pour l’Europe : une civilisation et une manière d’être qui lui sont propres, une histoire qui a tissé bien des liens et qui, en même temps que le souvenir de rivalités nombreuses, maintient également vivace celui d’actions communes et de rayonnements parallèles ayant marqué le reste du monde, une forme de pensée et une science qui ont modelé les temps modernes, une richesse matérielle ainsi qu’une activité industrielle et commerciale qui font de ce continent une région éminemment développée.
Mais, qu’on le veuille ou non, ces atouts et cette unité fondamentale vont de pair avec une diversité qui est aussi l’une des plus grandes richesses de l’Europe. Diversité de langues, nuances dans la coloration des civilisations nationales, types humains variés dans un espace restreint. La géographie elle-même nous fait don de cette diversité. À parcourir le monde on se fatigue des grands continents aux larges espaces uniformes. Il y faut traverser des milliers de kilomètres pour changer de paysage, de climat physique et moral, de lumière et de forme d’habitat. En Europe, on s’enchante à percevoir toutes les vingt lieues une subtile transition entre les êtres et dans les choses, dans les éclairages, la végétation, le relief des terres et la découpure des côtes. La France constitue un microcosme particulièrement privilégié dans ce royaume de la diversité.
Il serait donc tout aussi vain de nier l’unité profonde — mais seconde — de l’Europe que de vouloir réaliser une unité politique s’inspirant de précédents historiques inadéquats et supposant des institutions calquées sur des types d’institutions nationales ou ayant servi à la constitution d’États unitaires. Pour réaliser l’union de l’Europe, il n’est pas nécessaire en particulier de faire « les États-Unis d’Europe ». Le terme de confédération est certainement plus adéquat. Il faut, pour concevoir l’union de l’Europe, beaucoup d’imagination et quelque respect pour les réalités qui composent la mosaïque de cet ensemble sui generis. Même si l’expression peut paraître démodée, les pièces qui constituent cette mosaïque ne sont autres que les « Puissances européennes » et si, aujourd’hui, celles-ci ont bien le devoir de se convaincre que « l’union fait la force », elles peuvent demeurer persuadées que cette devise ne se confond pas avec « l’unification fait la force ». C’est donc à un jeu très serré et très intelligent que devront se livrer les dirigeants européens s’ils veulent trouver le point d’équilibre qui permettra à leur continent de tenir sa place de premier plan et à leurs nations de conserver leurs identités.
Pourquoi l’union
Comment faire progresser l’union
Jusqu’à quel point conduire l’union