Politique et diplomatie - L'Europe et la guerre limitée
La politique internationale – qu’on y voie un art ou une science –, est toujours à base de prévision. Celle-ci est-elle possible et rationnellement légitime à moyen terme ? Je le crois. Plus, en tout cas, de notre temps qu’avant hier. Pour la première fois dans l’histoire, on peut parler d’un système mondial dont les éléments sont en constante interaction. Bien entendu, ce système comporte des zones d’intégration forte – j’entends par là d’interaction étroite – et des zones d’intégration faible, dont les liens avec l’ensemble sont lâches, dont l’évolution est sans relation directe de cause et de conséquence avec la structure du système. De cette structure, on peut, au moins sur une période de dix ans prévoir le maintien ou les variations, et ce qui en résulte au moins pour les zones d’intégration forte, et au premier chef pour le complexe États-Unis – Europe – U.R.S.S.
La seconde caractéristique, qui introduit un élément décisif de nouveauté dans la situation actuelle est, selon moi, l’élimination de la guerre comme instrument de la politique à l’échelle mondiale. Dans l’histoire, la guerre apparaît comme l’un des moyens normalement utilisés pour modifier le « milieu ». Si l’utilisation de ce moyen n’est plus possible – rationnellement du moins – cela n’est évidemment pas dû à l’existence d’organismes internationaux de conciliation et d’arbitrage puisqu’il n’existe pas d’organe supranational de gouvernement mondial. L’O.N.U., si utile et nécessaire soit-elle, n’a guère de prise sur la réalité des conflits. L’impossibilité de guerres mondiales ne s’explique pas non plus par une mutation qui serait intervenue dans la nature humaine, faisant régresser l’ambition, la passion, l’agressivité. On ne peut par ailleurs soutenir que le « progrès » – il ne peut s’agir que du progrès scientifique et technique – élimine les causes de conflit : il élargit l’écart entre les pays riches et les pays pauvres et accentue les contradictions entre pays riches. L’hypothèse – que je retiens – selon laquelle une guerre mondiale, du genre de celles que nous avons connues à deux reprises depuis le début de ce siècle, est aujourd’hui impossible, se fonde – et se fonde seulement – sur l’existence d’armes nouvelles qui ne manqueraient pas d’être employées dans un conflit mettant en cause la structure même du système mondial et qui entraîneraient pour tous des dommages inacceptables (1).
C’est en raisonnant à partir de cette hypothèse qu’une équipe de chercheurs du Centre d’Études de Politique étrangère s’est efforcée de dessiner, dans le contexte global, l’évolution de l’Europe au cours de la prochaine décennie (2). Mais l’hypothèse n’est pas admise par tous ceux qui s’essaient, à juste titre, à prévoir l’évolution au moins des dix prochaines années.
Il reste 80 % de l'article à lire