« Préface » de L'enjeu. UDR 75
« Les grandes ambitions font faire de grandes choses » : c’est en ces termes très gaulliens que Jacques Chirac s’adressait en juin 1975 aux assises nationales de l’UDR (Union des démocrates pour la République) et c’est cette même allocution qui sert de préface à ce « petit livre orange » signé de son nom.
L’ouvrage, qui se présente un peu comme un catéchisme du mouvement gaulliste, vise à faire le point de la doctrine, un point d’autant plus nécessaire que le monde change rapidement et que la crise de la société appelle des réponses et des solutions nouvelles : « À chaque instant tout est remis en cause. À chaque instant les gaullistes doivent apporter des réponses nouvelles. La plus haute fidélité est la fidélité à l’avenir. Il n’y a pas d’indépendance dans l’immobilisme. La France indépendante ne peut être que la France du changement. »
Sans minimiser l’importance de la vision globale qui anime les rédacteurs de L’Enjeu, nous voudrions seulement attirer l’attention des lecteurs sur l’intérêt de ce petit livre en ce qui concerne la défense.
S’il est un domaine où la continuité s’impose, c’est bien celui-là en effet. Le petit livre orange ne manque donc pas de rappeler la nécessité d’une défense nationale puissante et autonome, condition indispensable à la survie d’une France maîtresse de ses décisions dans ce monde où tout est en train de bouger dangereusement. « Aucune nation ne peut s’en remettre à une autre pour assurer son indépendance. Il peut et il doit y avoir des alliances. Il ne peut y avoir report de responsabilité et, a fortiori, démission ». On ne peut dire plus clairement qu’il ne saurait y avoir de solution à notre défense par un retour à l’atlantisme. Et de fait, le Premier ministre réaffirme avec force la volonté de l’UDR de « poursuivre notre politique dans le domaine nucléaire afin de doter notre pays d’un armement moderne et suffisamment dissuasif ». En même temps est réaffirmé l’attachement des gaullistes à un service militaire rénové, démocratique et populaire, associant tous les Français à la mission nationale de défense.
Après avoir rejeté toute théorie de désarmement unilatéral et toute tentative, vaine et irresponsable, de baser un système de défense sur la non-violence, les héritiers de la pensée politique du général de Gaulle et de Georges Pompidou assignent à cette défense quatre objectifs :
– la protection de l’indépendance et la sauvegarde de l’intégrité du territoire ;
– la participation au maintien de la paix et de la sécurité dans deux zones qui sont, pour la France, essentielles : le continent européen et le bassin méditerranéen ;
– la défense de nos communications maritimes essentielles ;
– l’exercice des responsabilités mondiales de la France dans les départements et territoires d’outre-mer qui sont partie intégrante de la République, auprès des États indépendants qui contractent librement des liens privilégiés avec la France pour leur sécurité extérieure, enfin dans une zone quelconque du monde pour la protection des nationaux français ou à la demande de l’ONU pour le maintien de la paix.
On voit ainsi apparaître – et c’est un fait nouveau – trois zones concentriques dans lesquelles la France entend défendre ses droits avec des moyens plus ou moins puissants :
Tout d’abord, le « sanctuaire » national qui doit rester inviolable et justifie la possession d’une force nucléaire capable de faire peser sur tout agresseur la menace de dommages graves qu’entraînerait la destruction « objectifs d’importance et économique telle que l’enjeu que représente le territoire français ne vaille plus la peine d’être conquis ou détruit ».
Au-delà de cet espace national se situe une deuxième zone d’intérêts qui peuvent être très importants mais qui ne sauraient être couverts directement par la même force de dissuasion. Dans cette zone doivent pouvoir intervenir des forces conventionnelles mieux équipées et plus mobiles que celles que nous possédons aujourd’hui.
Au-delà, enfin, se situent les actions ponctuelles qui appellent des moyens à longue portée mais dont la puissance et la durée d’intervention ne peuvent être que limitées.
« L’UDR estime aujourd’hui qu’il faut rééquilibrer la défense du côté conventionnel » de manière que « les forces d’intervention, de sûreté et d’action extérieure soient modernisées, qu’elles acquièrent plus de souplesse, plus de mobilité, une meilleure polyvalence ». On reconnaît là certains termes employés par le président de la République Valéry Giscard d’Estaing en diverses circonstances et notamment dans sa « causerie au coin du feu » de mars 1975. Il convient donc de « sortir d’une structure trop figée, trop exclusivement axée sur l’hypothèse de l’affrontement à l’Est de deux « corps de bataille » lourdement mécanisés. Ils doivent être conçus pour faire face à des conflits dont la nature et la localisation peuvent être diverses et multiples ». En deux mots, il s’agit d’être prêt à faire face à l’imprévisible.
Si la revalorisation de la condition militaire n’est pas absente non plus des préoccupations nouvelles de l’UDR, c’est plus particulièrement sur celle des appelés et des conditions d’exécution du service national que L’Enjeu porte son attention. Le parti « désapprouve les orientations qui aboutiraient à faire participer massivement les appelés à des activités civiles », encore qu’il considère comme normal que, dans des situations de catastrophe ou de crise grave, l’armée participe à des telles tâches en même temps que la nation se mobilise pour y faire face.
Quant aux droits de l’appelé en tant que citoyen, ils sont reconnus « dans la limite de la discipline et le respect de la neutralité qui caractérisent une armée au service de la nation ».
La condition militaire fait aussi l’objet d’une importante motion particulière adoptée par les assises nationales de l’UDR. Les élus gaullistes y insistent sur la nécessité d’un service assurant le plus largement possible l’égalité des Français ; ils recommandent un relèvement substantiel du prêt et une amélioration des conditions de vie des appelés, et s’opposent à toutes mesures portant atteinte à la discipline et à la hiérarchie militaire et « notamment à tout ce qui aboutirait à introduire l’élection et la politique dans les armées ».
Telles sont les principales lignes directrices de la pensée gaulliste en matière de défense. Bien entendu, elles doivent être replacées dans la perspective générale de la doctrine dont elles constituent un élément fondamental mais qui ne suffirait pas à lui seul à assurer la pérennité de la France. Il faut aussi à cette « France en marche » des institutions d’autant plus stables et efficaces que le changement qui s’opère est profond. « La société libérale progressera en se transformant ou elle disparaîtra… ». Permettre à la France d’accomplir cette transformation dans l’ordre et dans la sécurité, telle est l’une des fonctions essentielles et non la moindre à laquelle concourt la défense nationale. Il importe que tous les Français réalisent sur cet objectif, dont dépend leur destin, le consensus national et social dont les armées doivent donner l’image la plus noble. ♦