Le dernier quart de siècle
Déchiffrer notre destinée…
Oui, pour le tenter, cherchons une aide qui soit un réconfort. Après deux volumes, tôt célèbres, d’une Histoire de la guerre froide, ouvrons un très grand livre en moins de trois cents pages, Le dernier quart de siècle.
Au-delà des dates du calendrier, la coupure, en gros, est significative. 1971-1972 : les grandes eaux de la « liquidité » internationale. 1973-1974 : la bagarre du pétrole. On n’oublie pas les infortunes structurelles de la Grande-Bretagne, la défaite des États-Unis au Vietnam, la mort de Mao, la prolifération de la bombe, la violence et la guerre partout, la crise économique profonde et générale qui défie les reprises : on n’oublie même pas les tentatives d’un Club fameux qui voudrait faire parler l’ordinateur… Vais-je tomber dans la description énumérative, qu’a si bien sue éviter mon auteur ?
Il appartient à cette génération qui peut, raisonnablement, espérer inscrire un jour sur son calepin : 1er janvier, an 2000. Privilège qui stimule sans doute le diagnostic sur le dernier quart de ce siècle-ci.
Où trouver la trame de la tragédie aux cent actes divers et donc la scène… ? Il y faut beaucoup de connaissances précises et une rare capacité de choisir. Ces qualités brillent dans l’œuvre de maturité d’un écrivain qui s’est imposé par la vigueur de la pensée et la qualité du style.
Les Géants s’essoufflent : les États-Unis, champions de la liberté, mais condamnés à dominer l’univers ; la Russie qui ne discipline les masses que par l’oppression administrative. La Chine monte, moins capable encore de réorienter le grand jeu international que de l’infléchir, seul exemple, en tout cas, de communisme rural et agricole, épié par les peuples pauvres.
Les dramatiques imbroglios du Moyen-Orient, de l’Afrique australe, du conflit pakistanais, de l’Europe méridionale, les malheurs de l’Inde et de l’Amérique latine, annonciateurs d’explosions, sont analysés dans leur détail et compris dans deux mouvements généraux : le croisement des prépondérances et la montée des opprimés. Sous ces éclairages, livrent un peu de leur secret les antagonismes raciaux et politiques de Pretoria, les conflits israélo-arabes, les échecs des deux Décennies du Développement et les avortements répétés de la négociation sur le désarmement.
Nous tenons enfin un interprète sans complaisance pour les Puissances : il ose parler durement des États-Unis et de la Russie ; il ne ménage pas les protagonistes, Nixon ni Kissinger, Kennedy ni même Churchill. La politique, telle que la pratiquent les peuples qui pérorent à propos de l’Évangile et des Droits de l’Homme, se dresse, sans voile ni fards, goule affamée de cadavres.
André Fontaine nous console de ces scribes qui exposent longuement, laborieusement, sans jamais s’exposer. C’est que son ouvrage est bien tel qu’il l’a souhaité : une « recherche de la vérité ». De l’histoire, il fait appel aux valeurs qui jugent l’histoire. Aussi l’espoir sans illusion qu’il suscite prononce-t-il les maîtres mots, sans égard pour les sourires du roué ou du naïf : « Vivre ensemble », tenter de « s’accepter », s’employer, envers et contre tout, à faire éclore une morale de l’espèce.
Notre pays garde un rôle dans cette libération qui n’est pas affaire, sans plus, de richesses naturelles et d’arme décisive. Il peut contribuer à inventer un grand projet pour nous rassembler autour de « quelque chose à aimer ». (Simone Weil).
Un aveu : j’aurais scrupule, étant de mon pays, à insister un peu trop, mais je dois céder à une évidence : le plus grand chroniqueur international, aujourd’hui, est français. ♦