Institutions internationales - L'échec de la conférence nord-sud - Volonté politique au Conseil européen - Dissolution de l'Organisation du Traité de l'Asie du Sud-Est (Otase)
Chaque mois, certains événements traduisent une évolution, cependant que d’autres symbolisent, parfois spectaculairement, un retour en arrière. Il ne peut sans doute pas en être autrement, dès lors que les grands antagonismes dans lesquels s’inscrivent quelques-unes des données majeures des tensions régionales, non seulement subsistent, mais s’alimentent dans leurs fondements idéologiques. À quelques jours d’intervalle, par exemple, la conférence de Belgrade tentait de dresser le bilan de la mise en œuvre de l’Acte final de celle d’Helsinki, cependant que le chef du gouvernement de la Hongrie communiste, M. Radar, était reçu par le Pape.
À peu près au même moment, encore, M. Carter ne cachait pas sa surprise et sa déception devant l’attitude de l’URSS, qui paraissait vouloir subordonner le développement des négociations sur la limitation des armements stratégiques à une atténuation de la campagne en faveur des droits de l’homme, alors que les deux problèmes sont totalement différents, le premier étant lié aux nouveaux rapports introduits par l’armement nucléaire entre la diplomatie et la puissance militaire, le second aux équivoques dans lesquelles s’est déroulée la Conférence d’Helsinki. Dans le même temps encore, l’URSS essayait de renouer des relations amicales avec l’Égypte. Washington se rendait compte des obstacles qui se dressent sur la voie de sa réconciliation avec Hanoï mais engageait des pourparlers pour une normalisation de ses rapports avec Cuba. Moscou se dressait contre l’eurocommunisme, M. Brejnev se faisait élire chef de l’État soviétique, M. Waldheim intervenait sans succès en Afrique australe, l’Espagne connaissait ses premières élections depuis quarante ans, M. Ecevit l’emportait à Ankara (ce qui pourrait avoir des répercussions sur l’ensemble des problèmes stratégiques en Méditerranée orientale), la conférence du Commonwealth se déroulait dans l’indifférence…
L’échec de la Conférence Nord-Sud
Les négociations engagées il y a un an et demi à Paris entre pays en voie de développement et pays industrialisés pour jeter les bases d’un nouvel ordre économique international se sont terminées le 3 juin sans avoir atteint leur objectif. Les premiers ont regretté de n’avoir pas obtenu satisfaction sur leurs problèmes d’endettement et sur la sauvegarde de leur pouvoir d’achat, les seconds (et la Communauté économique européenne, CEE) que l’on n’ait pu instaurer un organisme de consultation pour l’énergie. La question des approvisionnements en pétrole (et du coût de celui-ci) a été au cœur du débat. Le problème demeure donc entier. L’incapacité des pays pauvres de mobiliser leurs peuples dans la bataille du développement, de surmonter les conflits idéologiques et nationaux qui les opposent et d’organiser leur solidarité mutuelle les empêche de constituer le front économique solide qui étayerait leur fragile unité diplomatique et les rendrait enfin crédibles auprès de pays qui ne croient qu’à l’efficacité. De leur côté, ceux qui détiennent la puissance ne comprennent toujours pas que le temps presse, que le fossé continue de s’élargir entre les pays riches et les autres, que, enfin, une démographie galopante dans les pays du Tiers-Monde risque de rendre la situation mondiale totalement incontrôlable et explosive bien avant l’an 2000. Un tel manque d’une vision globale constitue une grave carence. Il faudra bien qu’un jour prochain les uns et les autres comprennent le véritable enjeu du dialogue qui va désormais se poursuivre au sein des instances mondiales telles que la Cnuced (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement). Quelques semaines après, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a publié des chiffres qui soulignent que l’effort des pays riches en faveur des pays sous-développés continue de diminuer. L’aide publique des premiers aux seconds est tombée de 0,36 % de leur produit national à 0,33 %, alors que l’engagement pris par les pays industrialisés, et renouvelé d’année en année, porte sur 0,70 % de ce PNB. Plus les années passent, plus on semble s’éloigner de ce but. Toutefois, le rapport annuel du Comité d’aide au développement (organisme spécialisé de l’OCDE pour ces questions) laisse entendre que les 13,7 milliards de dollars d’aide de 1976 pourraient être sensiblement dépassés en 1977. Le classement des contributions est intéressant à relever. En tête vient la Suède (0,82), suivie des Pays-Bas (0,81), de la Norvège (0,71), de la France (0,62), etc. les trois États les plus puissants restent loin derrière : 0,31 % pour l’Allemagne fédérale, 0,26 % pour les États-Unis, 0,20 % pour le Japon.
Volonté politique au Conseil européen
Le Conseil européen – qui réunit les neuf chefs d’État ou de gouvernement de la Communauté européenne –s’est tenu à Londres les 29 et 30 juin. Il a consacré l’essentiel de ses travaux à des questions de nature politique, voulant ainsi montrer qu’il n’avait pas compétence uniquement pour les affaires économiques de la Communauté, mais aussi dans la perspective de la future « union européenne », pour poser les bases d’une véritable diplomatie commune. À cet égard, la déclaration adoptée sur le Moyen-Orient peut être considérée comme un pas très important. Ce texte, très voisin dans son inspiration et dans sa forme de celui publié à Washington le 26 juin, reflète l’idée que la Communauté ne pouvait et ne voulait rester silencieuse après l’arrivée au pouvoir de M. Begin. En même temps, les Neuf ont affirmé la continuité de leurs vues. En novembre 1973, ils avaient insisté sur les droits du peuple palestinien, en 1976 ils avaient précisé que ces droits pourraient éventuellement s’exprimer sur une base territoriale. La phrase la plus spectaculaire du document du 30 juin, même si elle est assez voisine de celle figurant dans la déclaration de 1976, est celle qui parle d’une « patrie pour le peuple palestinien ». Le mot a été pour la première fois prononcé par les Neuf, mais il n’exclut aucune possibilité juridique, et il permet d’envisager, par exemple, la création d’un État confédéral. Le texte traduit en tout cas une importante évolution des esprits. En 1973, alors que la Communauté subissait, du fait de la crise de l’énergie, une pression psychologique considérable, des États membres, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, pour ne parler que d’eux, auraient refusé d’aller aussi loin. Cette fois, seuls les Néerlandais ont encore manifesté quelques réticences.
Mais les chefs d’État ou de gouvernement ne pouvaient, compte tenu des difficultés de l’heure, négliger les problèmes économiques de la Communauté. Toutefois, la déclaration sur « la croissance, l’emploi et l’inflation » n’apporte guère de nouveauté, sauf dans son dernier paragraphe. Celui-ci donne un éclairage nouveau au déficit commercial considérable de la Communauté : les échanges extérieurs seront l’objet de nouveaux débats. L’énumération des secteurs en crise : industrie textile, industrie de la chaussure, sidérurgie, constructions navales et électroniques, montre qu’une organisation des échanges, notamment avec le Japon, pourrait s’imposer prochainement. Il ne s’agit pas d’un retour au protectionnisme, estime-t-on à Bruxelles, mais de l’ajustement nécessaire d’un déséquilibre trop prononcé des échanges au détriment de l’Europe. Mais on se montre assez sceptique sur les chances d’ouverture du marché japonais aux produits européens.et l’on évoque la possibilité de l’autolimitation de certaines importations. Par ailleurs, au moins deux États membres, la France et l’Allemagne, se sont montrés très réservés à l’égard de la récente proposition de la Commission visant à autoriser celle-ci à émettre sur le marché des capitaux des emprunts dans la limite de 1 milliard d’unités de compte (5,6 milliards de francs) dont le produit serait affecté au financement de projets industriels, notamment dans le domaine de l’énergie ou de la reconversion industrielle. L’idée de M. Ortoli, vice-président de la Commission, est de donner ainsi une impulsion politique, européenne, à l’effort d’investissement nécessaire pour relancer l’activité économique. Allemands et Français estiment que les instruments propres à la Communauté pour favoriser l’investissement industriel – en particulier la Banque européenne d’investissement, dont le capital sera bientôt augmenté – sont suffisants, et qu’il n’est donc pas nécessaire d’en créer de nouveaux. En fait, les gouvernements de Bonn et de Paris ne tiennent pas à accroître les pouvoirs de la Communauté et ne croient guère aux vertus d’une action industrielle conçue et gérée à l’échelle de la CEE.
Dissolution de l’Otase
La dissolution de l’Otase (Organisation du Traité de l’Asie du Sud-est) a été officiellement proclamée le 30 juin : elle a mis fin à l’existence d’une organisation dont le rôle fut toujours modeste. L’Otase avait été fondée à Manille le 8 septembre 1954, quelques semaines après l’accord de Genève qui avait mis fin à la première guerre d’Indochine. Elle regroupait huit pays : États-Unis, Angleterre, France, Australie, Nouvelle-Zélande, Philippines, Thaïlande et Pakistan. Son siège était fixé à Bangkok. Le traité prévoyait des actions militaires conjointes en cas d’agression communiste contre un des États membres, et des consultations en cas d’attaque par subversion ou infiltration, ce qui visait en premier lieu la Chine, en second lieu le Nord-Vietnam. C’était l’époque où M. Foster Dulles parlait des « dominos » : si un pays de l’Asie du Sud-est tombait entre les mains des communistes, son plus proche voisin serait voué au même sort. Or, trois États asiatiques seulement en faisaient partie : la Birmanie et l’Indonésie préféraient le non-alignement, le Cambodge, le Laos et le Vietnam du Sud en restaient à l’écart en raison des clauses de l’accord de Genève. Par ailleurs, le dispositif d’intervention militaire ne fut jamais mis en place. En fait, l’Otase n’intervint qu’une seule fois, ou plutôt « couvrit » une intervention des États-Unis : à la suite de la prise de Nam Tha, au nord-ouest du Laos, le président Kennedy envoya de Guam 3 000 hommes au nord-est de la Thaïlande. Depuis 1964 la France ne versait plus sa contribution financière, et le Pakistan se retira officiellement en 1973. Au lendemain de la chute de Phnom Penh et de Saigon, les Philippines et la Thaïlande avaient proposé de dissoudre cette organisation, qui n’avait pas réussi à vraiment se définir. À l’inverse de l’Otan, elle ne comportait ni structure politique, ni système militaire. Faute de mieux, elle avait mis en route en 1965 la réalisation de programmes d’assistance technique et sociale d’un intérêt non négligeable : les institutions créées pour la réalisation de ceux-ci continueront à fonctionner avec l’aide des États-Unis et de l’Australie. Ceci, bien entendu, ne règle pas les problèmes de la sécurité en Asie du Sud-est : les rébellions communistes sont actives en Malaisie, en Thaïlande, aux Philippines. Le « jeu à trois » – URSS, Chine, Japon – comporte beaucoup d’incertitudes, cependant que les intentions des États-Unis sont mal connues (dans quelles conditions s’effectuera le retrait des troupes américaines de Corée du Sud ?). La dissolution de l’Otase ne modifie pas la situation. ♦