Quel officier n’a jamais eu à déplorer les excès de la centralisation ? Depuis un siècle toutes les tentatives pour en endiguer le flot, récemment enflé par l’utilisation des ordinateurs, ont été vaines. « Pour l’administration militaire, l’histoire aurait-elle – se demande l’auteur – un sens irrésistiblement déterminé ? ». La réforme administrative profonde qui résulte de la mise en œuvre des budgets de fonctionnement et des budgets de gestion apporte heureusement l’espoir que ce courant peut être renversé et qu’une gestion saine et plus efficace, mieux axée sur les objectifs assignés aux forces et aux services, est possible. L'auteur, contrôleur général des armées, a déjà traité dans nos pages, à plusieurs reprises, des mutations profondes qui se dessinent dans l’administration des armées.
Libre opinion - Pour une révision du concept d'emploi des forces
L’avènement de l’arme nucléaire a donné toute sa consistance à l’adage de Lyautey : « Montrer sa force pour ne pas avoir à s’en servir » mais il a introduit dans la guerre des bouleversements tels qu’entre cette dissuasion avant la lettre dont parle le maréchal et celle qu’exprime le langage actuel il y a la différence fondamentale qui existe entre le probable et le certain. S’il s’agissait d’être fort avant l’ère nucléaire c’était pour convaincre l’adversaire qu’il avait des chances d’être battu, s’il s’agit maintenant de dissuader c’est pour lui donner la certitude d’être détruit.
Cela a introduit dans la théorie de la guerre des bouleversements dont on n’a pas fini de tirer toutes les implications. Il en est ainsi au plan de l’emploi des forces où l’on a trop tendance à calquer sur les schémas classiques les formes nouvelles appelées par la stratégie de dissuasion. Cette insuffisance de la pensée militaire peut être compensée, pour les super-grands, par le fait qu’outre leur surabondance en moyens nucléaires ils ont également la disposition d’énormes moyens classiques, mais il n’en est pas de même pour une puissance comme la France.
Certes, du moment que notre pays avait la capacité scientifique et technique de maîtriser l’atome, il eût été absurde qu’il refusât de se doter d’un armement nucléaire, aussi absurde qu’eût été le refus de l’artillerie après la bataille de Crécy. En accédant au rang de puissance nucléaire, la France devait en toute logique adopter la stratégie correspondante qui est celle de la dissuasion. Mais l’adoption d’une telle stratégie allait entraîner un certain nombre de conséquences parmi lesquelles nous n’examinerons, dans le cadre de cet article, que celles qui concernent le domaine d’emploi des forces conventionnelles, domaine qui est loin d’être aboli par la stratégie de dissuasion et qui en est même un élément constitutif.
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