Cinéma - Du grotesque au sublime
Est-il utile, dans une chronique comme celle-ci, de faire allusion à des bandes cinématographiques que l’on a pris l’habitude depuis de nombreuses années de qualifier de « navets » ? Sans doute non, c’est pourquoi nous signalerons simplement au passage qu’un film comme Les Bidasses au pensionnat, de Michel Vocoret, n’a même pas l’excuse de faire rire. Devant de pareilles performances, on ne peut que ressentir regret et nostalgie des bons vieux vaudevilles militaires d’avant-guerre…
En revanche, il est nécessaire de stigmatiser l’abus que certains font des turpitudes nazies pour justifier des bandes qui, sous prétexte de fustiger des pratiques condamnables, se livrent tout simplement à des excès pornographiques. Les réalisateurs et interprètes de films tels que Elsa, Fäulein SS ou Train spécial pour SS n’ont même pas le courage de donner leurs noms et se cachent (à l’exception du seul Olivier Mathot) sous des pseudonymes anglo-saxons qui ne trompent personne.
Pour se rendre compte du niveau intellectuel de ces productions, hélas françaises, il suffit d’en lire les sujets. En ce qui concerne le premier cité, on nous apprend qu’en 1943 « Hitler s’alarme du défaitisme des officiers supérieurs et envoie un train de plaisir dans les zones de combat ». Pour le second, qui ressemble au premier comme un frère, on a apporté une petite variation. En effet, l’héroïne, si l’on peut dire, est une certaine Ingrid Schuller, capitaine d’un détachement féminin SS à bord d’un train qui emmène de jeunes et jolies Gretchens, engagées volontaires, qui vont soutenir le moral des officiers hitlériens sur le front russe. Devant pareille débauche de sottise et de basse pornographie, comment ne pas déplorer le laxisme de notre censure ?
Quittons ce bourbier pour signaler quelques apparitions fugitives de militaires dans des films qui, même critiquables, se situent tout de même à un niveau infiniment plus élevé. Dans One-two-two, évocation pittoresque d’une célèbre maison accueillante de la rue de Provence, la retraite de juin 1940 est présentée sous un aspect assez fantaisiste que le réalisateur croit racheter en montrant l’enthousiasme de ses personnages au moment de l’appel du 18 juin, ce qui est peut-être forcer un peu l’histoire. Dans L’état sauvage, la scène de l’arrestation brutale par les soldats noirs du ministre (qui rappelle sans équivoque Patrice Lumumba) justifie à elle seule le titre du film. Dans Les Routes du Sud, le seul élément militaire est représenté par un déserteur allemand que l’on fusille. Enfin, dans La Chambre verte, François Truffaut nous fait revivre quelques images de la Première Guerre mondiale, se présentant lui-même en gros plan dans l’accoutrement légendaire du Poilu et en faisant allusion à de célèbres films de guerre d’Abel Gance et Léon Poirier.
Au cours de ces derniers mois, plusieurs films de production étrangère, plus spécialement américains, nous ont donné de l’armée des visions contradictoires et hétéroclites. Un faux western italien intitulé Adios California met en scène des chasseurs de primes et présente avec la plus grande fantaisie de misérables rescapés de l’armée sudiste au lendemain de la guerre de Sécession. Michèle Lupo, le réalisateur, ne s’est pas donné beaucoup de mal pour cette reconstitution « historique ». De son côté, le cinéaste britannique Dick Richards a retracé, sur un scénario parfaitement imaginaire, quelques exploits de la Légion étrangère dans March or die que les distributeurs français ont préféré rebaptiser Il était une fois… la Légion.
L’action se situe au lendemain de la Grande Guerre, et un détachement de la Légion, commandé par le major américain Foster (qui a dû pour des raisons inconnues démissionner de West Point), a pour mission de protéger une expédition archéologique française qui provoque la colère d’un puissant chef marocain, El Krim. Il y a évidemment de nombreuses scènes d’affrontements avec les Arabes, et les légionnaires font preuve de beaucoup de courage. En écoutant le dialogue échangé entre le major américain et le chef marocain, on sourit. Comme il est facile d’écrire l’histoire après coup ! Nous nous rapprochons dans le temps avec Guerriers de l’Enfer de Karel Reisz qui cherche à nous imposer une image très particulière et sciemment déformée du soldat américain ayant combattu au Vietnam. À en croire le réalisateur de ce film – qui tourne rapidement au genre policier – ceux qui sont revenus du Vietnam sont tous des drogués et des trafiquants de drogue. Une simplification démagogique transforme en généralité un cas d’espèce accidentel.
C’est encore la guerre du Vietnam qui est évoquée, cette fois avec une dignité exemplaire, dans Go Tell The Spartans de Ted Post dont un titre français inutilement vulgaire, Le Merdier, aura sans aucun doute détourné de nombreux spectateurs qui l’auraient apprécié à sa juste valeur, donc admiré. Car il est admirable. Joué de façon remarquable par Burt Lancaster et une troupe homogène d’excellents comédiens, cet épisode de la guerre du Vietnam est raconté avec une honnêteté et une rigueur intellectuelle dignes des plus grands éloges. Amis et ennemis y sont traités avec impartialité, les fautes commises par le commandement accusées sans exagération, le courage et la bravoure célébrés sans grandiloquence. Et, ce qui ne gâte rien, humour et ironie ne sont pas exclus de la fête. Techniquement impeccable. Le Merdier (puisque Merdier il y a) est une œuvre humaine et vraie, une œuvre qui fait honneur au cinéma d’inspiration militaire. Dans un domaine totalement différent, celui de la science-fiction (mais est-ce tout à fait de la science-fiction ?), L’inévitable catastrophe d’Irwin Allen nous montre l’Armée américaine moderne luttant contre un fléau naturel, l’invasion de milliers d’abeilles africaines, réputées pour leur coup de dard mortel. Richard Widmark campe ici un général attaché aux traditions militaires et qui de ce fait se montre sceptique quant aux méthodes employées par les savants civils. Hélas, ni la force armée, ni la science des savants ne peut rien contre la puissance destructrice des abeilles.
Un subterfuge de dernière minute permettra néanmoins d’anéantir les essaims, ce qui laisse le spectateur un peu moins pessimiste. Il a grandement besoin de cette bouffée réconfortante après l’effroyable tableau de destructions. Le déploiement grandiose du matériel militaire reste malgré tout impressionnant et… apaisant. ♦