Outre-mer - L'Afrique orientale après la disparition du président Kenyatta - L'Algérie dans l'épreuve
Dans une chronique parue en octobre 1977, j’avais évoqué la vulnérabilité du Kenya dans une Afrique orientale traversée de courants idéologiques discordants et placée entre deux secteurs en crise, celui du débouché de la mer Rouge dans l’océan Indien et celui à partir duquel s’exerce la pression la plus directe des États du continent sur l’Afrique dite « ségrégationniste ». La disparition du président Kenyatta pouvait accroître les tensions en provoquant des luttes inter-tribales sur le plan intérieur et en accentuant les rivalités extérieures. Volontairement ou non, celui qu’on appelait le Mzee (ndlr : littéralement « vieux » en Swahili) qui, avant l’indépendance, s’était fait le champion de l’unité nationale, s’était appuyé surtout, pour gouverner et développer le pays, sur les membres de sa tribu d’origine, les Kikouyou. Les Luo, ethnie rivale aussi importante, se considéraient comme dépossédés des fruits de l’indépendance, bien que leurs principaux leaders, Tom M’Boya et Odinga, eussent compté parmi les principaux dirigeants de la Kenyan African National Union (KANU), le parti du président, le premier étant même plus ou moins regardé comme le dauphin de M. Kenyatta. En 1966, amené à protester contre l’attitude du gouvernement à l’égard de sa tribu, M. Odinga forma son propre parti, la Kenyan People’s Union (KPU) qui se colora de marxisme pour éviter de n’être que l’émanation d’un particularisme tribal. Après l’assassinat de M. Tom M’Boya en 1969, la domination des Kikouyou sur le KANU, devenu parti unique, et sur l’État ne fut plus contestée ouvertement, les Luo attendant que la succession présidentielle fût ouverte pour manifester leurs ambitions.
Jomo Kenyatta est mort le 22 août 1978 dans sa résidence de Mombasa. Aussitôt, le mécanisme constitutionnel entra en action et le vice-président Daniel apa Moï (apa signifie « fils de » ; Daniel, nom chrétien, fils de Moï, nom animiste du père), fut chargé d’assurer l’intérim de trois mois jusqu’à la date de l’élection présidentielle.
D’après la Constitution, cette élection pouvait être évitée si toute la classe politique appuyait la candidature du même parlementaire à la succession. Dans ces circonstances qui auraient pu être difficiles, le parlement sut jouer son rôle et rallier les hésitants, notamment M. Odinga, à ne susciter aucune opposition à la candidature unique du président intérimaire. Celui-ci fut donc proclamé chef de l’État, le 8 octobre 1978, soit un mois avant la fin de son intérim. M. Daniel apa Moï n’appartient pas à l’ethnie Kikouyou. C’est sans doute pour cette raison que les opposants ont fini par l’adopter quoiqu’il ait été le représentant d’une politique qu’ils ont combattue. Les Kalendjin, dont il est fils, constituent une petite tribu incapable d’exercer une domination exclusive sur le pays, par conséquent rassurante pour les Luo, à la condition que le nouveau président se montre capable de libérer la KANU et le pouvoir de l’emprise des Kikouyou. Le choix d’un vice-président était donc important : en élevant à ce poste le ministre des Finances, M. Mwai Kibaki dont les qualités techniques sont reconnues, M. Daniel apa Moï entendait à la fois rassurer les Kikouyou et souligner que les difficultés économiques de l’heure exigeaient le maintien d’une ligne politique associant le libéralisme et l’organisation autoritaire de la production. Il est certain que les Luo, dans leur ensemble, n’ont pas apprécié cette nomination qui pouvait laisser croire que le nouveau chef de l’État restait le prisonnier d’un clan tribal. Leur réaction fut cependant tempérée par le fait qu’une élection présidentielle au suffrage universel devait constitutionnellement se dérouler à la fin de la législature actuelle qui se terminera en octobre 1979. Les Luo espèrent que ce répit d’une année permettra au nouveau président de s’affirmer et de faire la preuve, en rééquilibrant le parti, le gouvernement et l’administration, qu’il entend favoriser l’unité nationale.
Il reste 83 % de l'article à lire
Plan de l'article