The Third World War: The Untold Story
Sir John Hackett a commandé l’Armée britannique du Rhin (BAOR) en même temps qu’il était, dans l’Otan, le commandant désigné du groupe d’armées nord, formé d’éléments anglais, allemands, belges et hollandais. Il a tiré la sonnette d’alarme quand il a estimé qu’un souci trop poussé d’économie compromettait dangereusement l’aptitude de ses forces à jouer le rôle qu’on attendait d’elles. Rendu à la vie civile, et plus précisément à la carrière universitaire à laquelle il se destinait avant-guerre, il revient sur cette question en l’étendant à l’ensemble des moyens alliés.
Il a reçu à cet effet la collaboration d’un ancien ambassadeur du Royaume-Uni au Conseil atlantique, d’un économiste connu et d’un certain nombre d’officiers généraux venus comme lui aux instituts d’études stratégiques et aux universités après avoir occupé des postes importants dans la défense britannique et dans l’Otan.
Sa thèse est qu’une meilleure conscience d’une menace, toujours hautement probable, devrait déterminer chez les alliés, l’effort de redressement militaire nécessaire et suffisant pour les mettre à même de tenir en échec un adversaire qui n’est pas exempt de difficultés internes et externes.
Pour faire sa démonstration, l’auteur utilise le procédé du Kriegspiel, dans le style anglo-saxon qui agrémente un thème général, rigoureusement suivi, de traits anecdotiques et personnalisés. Comme d’autres font de la « politique-fiction », il recourt à la « stratégie-fiction » ou à la « géopolitique fiction ». Le livre a été composé en 1977, mais le récit est supposé écrit en 1987, deux ans après une troisième guerre mondiale. On suit l’approche du conflit dans les 8 années qui le précèdent, on assiste à son déroulement rapide et brutal en août 1985, on aperçoit ses premières conséquences.
La règle du genre assez spécial qu’est l’histoire du futur est de présenter une série d’événements qui pourraient effectivement se produire mais qui sont choisis avant tout pour déclencher de salutaires réflexions.
Dans le monde de 1985, traversé de tensions extrapolées à partir de celles de 1977, les sujets d’inquiétude sont multiples à Moscou : progrès de la puissance chinoise, montée du désir d’indépendance des pays d’Europe orientale troublés par l’exemple des eurocommunismes méditerranéens et par la réussite ouest-allemande : croissance des tendances centrifuges des républiques allogènes de l’URSS ; crainte de voir ces divers mouvements encouragés par Washington. Les dirigeants soviétiques restent animés par une volonté non déguisée de domination appuyée par la puissance de leurs armes, qui est très réelle en 1985, encore qu’elle soit moins marquée qu’au moment de la pire faiblesse militaire de l’Otan, vers 1977. Pour conjurer les dissidences et maintenir ou renforcer leur sécurité, les Soviétiques essaient d’infliger un recul au nouveau président américain à propos de la Yougoslavie, mais ils échouent. Ils pensent y arriver plus sûrement et mettre du même coup hors de cause la RFA (République fédérale d’Allemagne) en exploitant en Europe occidentale leur supériorité en armes conventionnelles sans déclencher une guerre nucléaire générale ni faire sortir la France de sa « passivité ».
En août 1985, à côté d’actions menées en Afrique orientale et australe, au Moyen et au Proche-Orient, en Méditerranée centrale et orientale, et également dans l’Espace ultra-atmosphérique, ils lancent le gros des forces du Pacte de Varsovie dans une offensive directe en secteur Centre-Europe ; effort principal au Nord, pour crever le groupe d’armées jadis commandé par Sir John Hackett, avant de se rabattre le long du Rhin sur les arrières du groupe d’armées centre, qui est en même temps attaqué frontalement : conjugaison de l’action principale aéroterrestre en Europe avec un effort aéronaval important en Atlantique pour couper d’Amérique le théâtre européen.
Mais depuis 1977 le temps a travaillé en faveur des alliés. Ils ont su courageusement et intelligemment développer trois avantages essentiels ; supériorité, par rapport au dirigisme et au formalisme soviétiques, d’un commandement occidental bien organisé et habitué à jouer à son initiative de la décentralisation ou de la convergence des efforts ; réveil de ta détermination britannique, américaine, allemande et également française (ceci, à la surprise des Soviétiques) ; meilleure qualité des armes atlantiques terrestres, navales et aériennes qui bénéficient d’une extraordinaire avance en matière d’électronique.
Résultats ; dans la zone Centre-Europe, les forces terrestres alliées ne sont pas surprises et plient, à 1 contre 2 ou 3, sans se rompre, tandis que les forces aériennes compensent progressivement grâce à une meilleure technique leur handicap numérique ; dans l’Atlantique, l’aviation et la marine parviennent à acheminer intacts les 3/4 des renforts américains jusqu’aux îles Britanniques, où la défense aérienne a l’avantage, et jusqu’à la plate-forme française, qui met toutes ses possibilités à la disposition de l’alliance. Le Centre tient sans recourir aux armes nucléaires tactiques dont le commandant en chef américain repousse tant qu’il peut l’emploi pour empêcher le dérapage vers une guerre nucléaire stratégique qui frapperait durement le territoire américain.
Sollicitée dans trop de directions divergentes et affrontée à des alliés beaucoup mieux préparés que 8 ans plus tôt, la machine de guerre soviétique s’avère incapable de faire prévaloir les vues de la direction politique. Pour conjurer le risque d’une exploitation par les Occidentaux de ce non-succès, les gens du Kremlin décident de prouver leur détermination en frappant un coup atomique isolé, dûment manifesté sur le téléphone rouge, tout en invitant les Américains à venir dans les trois jours découper avec eux le monde en zones d’influence bien délimitées. Il en résulte une épouvantable destruction de Birmingham, suivie, en choc en retour immédiat, par celle, non moins terrible, de Minsk. Celle-ci déclenche un processus de désintégration, par attentats et coups de force successifs, du bloc soviétique, dont les constituants ne supportent plus la domination de Moscou et redoutent d’être entraînés dans des aventures aussi meurtrières que celle de Minsk.
Quand le récit s’achève, en 1987, deux superpuissances se font face de part et d’autre du Pacifique, les États-Unis et la « sphère de coprospérité sino-japonaise », tandis que la nouvelle communauté économique européenne s’étend de l’Atlantique à l’Oural, « selon la prophétie de Charles de Gaulle ».
Cette physionomie d’un monde futur s’accompagne de vues non moins ingénieuses et séduisantes sur les ressources énergétiques et sur le rôle qu’y joue une électronique hyperdéveloppée. Prospective ou futurologie ? Parenté avec Gaston Berger et, plus près de nous, Fourastié ou filiation anglo-saxonne à partir de George Orwell, d’Aldous Huxley ou même d’Herbert George Wells ? Au terme du dernier des 28 chapitres de ce livre on pourra en décider. Dans les 4 chapitres précédant ce 28e, les lecteurs que préoccupe le problème contemporain de la paix ou la guerre entre les nations trouveront matière à d’intéressantes et originales réflexions davantage que dans les 23 premiers chapitres, si copieusement documentés soient-ils.
Inutile de souligner toutes les réserves que suscite inévitablement le scénario imaginé par les auteurs. L’une d’elles est frappante. La France, certes, ne reste pas neutre comme l’avaient escompté les dirigeants soviétiques mis en scène qui commettent ainsi « une de leurs plus lourdes erreurs de jugement ». Mais les auteurs n’imaginent pas que le gouvernement et le commandement français, disposant d’une force nucléaire stratégique et d’une force aéroterrestre de manœuvre à capacité nucléaire tactique, puissent faire une autre politique et une autre stratégie que de reprendre rapidement dans le système intégré de l’Otan le rôle, la place et le créneau qu’ils tenaient au temps où Sir John Hackett y exerçait ses importantes responsabilités militaires. ♦