Institutions internationales - Les élections du 10 juin : quelle assemblée européenne ?
La prochaine élection de l’Assemblée parlementaire européenne au suffrage universel direct a suscité des controverses dans lesquelles sont réapparues les grandes options politiques qui n’ont pas cessé depuis trente ans de dominer les discussions sur les formes et surtout sur les principes de l’édification d’une Europe unie. Selon les uns, une Assemblée ainsi élue peut devenir un instrument au service de l’intégration, donc d’une aliénation des souverainetés nationales. Selon les autres, elle s’insère dans les perspectives actuelles, qui visent au contraire à une meilleure coordination des politiques nationales sans transfert des prérogatives de l’État national à un pouvoir supranational.
Les notions d’intangibilité ou de relativité du caractère absolu de l’autorité de l’État national (ou, plutôt, de l’État-Nation) n’ont jamais cessé d’occuper une place majeure dans les débats européens. Elles la conservent aujourd’hui. Ces controverses ont été d’autant plus surprenantes que le principe de cette élection est inscrit dans les Traités de Paris et de Rome. Il est l’objet de l’article 21 du traité de Paris qui, le 18 avril 1951 créa la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier), de l’article 138 pour la CEE (Communauté économique européenne) et de l’article 108 pour l’Euratom (Communauté européenne de l’énergie atomique) du Traité de Rome du 25 mars 1957. En fait, elles ont été dominées moins par les textes eux-mêmes que par les interprétations qui leur sont données, les unes dans un sens restrictif, les autres dans un sens extensif. L’Assemblée parlementaire européenne n’est pas un forum voué à l’académisme, elle n’est pas non plus la préfiguration d’une Constituante qui pourrait s’arroger le pouvoir d’imposer une autorité supranationale aux États-membres de la Communauté. Il n’y aura pas « un serment du Jeu de Paume en neuf langues ». L’Assemblée ne peut pas violer les traités. Elle ne peut pas, d’elle-même, accroître ses pouvoirs. Mais son élection au suffrage universel direct n’en pose pas moins des problèmes qui concernent l’évolution de l’Europe et les perspectives de son édification.
C’est l’aboutissement d’un projet ancien. En mai 1948, réuni à l’initiative du « Comité international de coordination pour l’Europe unie », un « Congrès européen » groupa à La Haye 800 personnalités de 19 pays, parmi lesquelles 16 anciens chefs de gouvernement et une vingtaine de ministres en exercice. Dans sa résolution finale il demanda la constitution d’une Assemblée parlementaire européenne élue par les Parlements nationaux. Dès ce moment-là deux théories s’affrontèrent. Pour les Britanniques, qui souhaitaient une simple coopération intergouvernementale, l’Assemblée devait dépendre des gouvernements, ses membres étant choisis et mandatés par les Exécutifs. Pour les Français et les membres du Bénélux, qui souhaitaient aller au-delà de cette simple coopération, l’Assemblée devait avoir un véritable caractère parlementaire et être dotée de compétences étendues. Un compromis donna naissance au Conseil de l’Europe le 5 mai 1949 : ce Conseil devait comporter une Assemblée de caractère parlementaire, mais purement consultative et tenue en lisière par un comité intergouvernemental de type classique. L’idée selon laquelle une Assemblée devait figurer dans la structure de l’Europe politique ne devait dès lors pas être abandonnée. Le traité instituant la CECA en prévoyait une. « C’est à l’Assemblée de traduire les sentiments de l’opinion publique, c’est à elle qu’il appartient de faire comprendre aux gouvernements que l’idée européenne est une réalité vivante » : ainsi M. Robert Schuman rappelait-il le caractère essentiellement politique de l’Assemblée de la CECA dont il venait d’être élu président. Le projet de CED (Communauté européenne de défense) prévoyait lui aussi une Assemblée. Le Traité de Rome donna à l’Assemblée de la CEE des pouvoirs plus étendus. Alors que le Traité de Paris attribuait à l’Assemblée de la CECA des « pouvoirs de contrôle » (art. 20) ceux de Rome parlent de « pouvoirs de délibération et de contrôle » (art. 138 du Traité CEE, art 107 du Traité Euratom). Alors que l’article 24 du Traité CECA prévoyait la possibilité d’une motion de censure seulement pendant la durée de la discussion du Rapport général annuel de la Haute autorité, l’article 144 du Traité CEE et l’article 114 du Traité Euratom établissent qu’une motion de censure peut intervenir à tout moment. Selon les auteurs de ces traités – et c’est ainsi que les textes furent compris lors des débats de ratification – la consultation de cette Assemblée manifestait sa participation à la formation de la volonté des Communautés. C’était un pouvoir spécifique, qui n’était pas prévu dans la CECA, mais dont celle-ci avait créé les prémices. Il n’était pas assimilable au pouvoir législatif des Parlements nationaux, car le Conseil des Ministres n’était pas lié par ses Avis. Tel est le pouvoir de consultation défini par le texte des traités.
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