Défense en France - Réalité de la coopération européenne et utopie d'une association nucléaire franco-allemande
L’entretien du Nouvel Observateur (n° du 20 août) avec Georges Buis et Alexandre Sanguinetti publié sous le titre provocateur : « Partager l’arme nucléaire avec les Allemands ? » ne pouvait manquer de déclencher les passions. Quelle aubaine en effet pour l’opposition et particulièrement pour ceux qui ne cessent d’accuser le gouvernement de faire fi de la souveraineté nationale ! Que disaient donc l’ancien ministre du général de Gaulle et le général de corps d’armée qui dirigea pendant de longues années l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) puis la Fondation du même nom ?
À leurs yeux, la dissuasion nucléaire américaine n’est plus crédible en ce qui concerne l’Europe ; la compétition entre les deux Grands est passée du domaine quantitatif à celui de la qualité et cette course à la précision et à la capacité de pénétration tend à faire de l’arme nucléaire non plus une arme de dissuasion visant des objectifs démographiques et économiques mais une arme de coercition (1) ; il convient, si l’on ne veut pas laisser l’Europe sans défense, de la doter d’une force nucléaire répondant à cette évolution, et comme cet objectif excède les possibilités de la France, il faut donc constituer un « tandem franco-allemand » à défaut d’avoir pu constituer une force franco-britannique. Le général Buis affirme donc « la nécessité d’une défense européenne qui ne peut naître que d’une association de la force nucléaire française avec l’industrie allemande ». Par la suite M. Sanguinetti devait expliquer qu’il avait voulu faire la démonstration par l’absurde de l’impossibilité de la chose, les Allemands étant toujours plus préoccupés de ménager la possibilité d’une réunification que d’acquérir la capacité nucléaire ; quant au général Buis, il a précisé qu’il avait seulement avancé une « hypothèse de travail, dangereuse certes mais réaliste ».
Entre-temps les réactions du RPR (Rassemblement pour la République) et du PCF (Parti communiste français) à ces propos imprudents ne s’étaient pas fait attendre ; elles désavouaient le sacrilège commis contre le principe d’indépendance nationale hérité du fondateur de la Ve République et dont le président actuel a maintes fois répété qu’il en assumait la continuité. Certains journaux et hebdomadaires français et allemands allant vite en besogne suggéraient sinon même affirmaient que l’Élysée avait eu connaissance préalable de ces propos s’il ne les avait même inspirés. Les démentis ne tardaient pas non plus. Mais auparavant certains Allemands avaient eux aussi réagi. La Frankfurter Allgemeine Zeitung répondait ironiquement en suggérant qu’à Paris on commence par se rapprocher des Américains avant de chercher un rapprochement franco-allemand ; quant à M. Karsten Voigl, député social-démocrate, interrogé à son tour par Le Nouvel Observateur, il rappelait que son parti ne voulait pas que l’Allemagne devienne une puissance nucléaire « que ce soit avec l’aide de la France ou l’aide d’un autre pays ». Mais il se déclarait en faveur d’une coopération plus étroite entre la France et l’Allemagne dans le domaine de l’armement conventionnel et du contrôle des armements, ce qui correspond d’ailleurs, il faut le souligner, aux pressions exercées sur nous et qui se sont multipliées depuis un an tant au sein des instances de l’Union Européenne Occidentale que de l’Otan, pour que la France intensifie ses efforts dans le sens de la coopération en matière d’armement bien au-delà de l’objectif de l’interopérabilité des matériels pour atteindre celui de leur standardisation, sans que la plupart de nos partenaires envisagent pour autant de cesser de se fournir ailleurs qu’aux États-Unis en avions et blindés…
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