Afrique - Lomé II : les pays africains donnent le pas à la coopération sur les revendications doctrinaires - Nigeria et Ghana : retour au pluripartisme
Il n’est plus loisible aux détracteurs des accords liant la communauté européenne aux pays africains de les considérer comme une entreprise néo-colonialiste, comme une nouvelle forme de pillage du Tiers-Monde. Si des intentions aussi suspectes avaient marqué cette initiative, aurait-elle réuni l’approbation d’un nombre croissant d’associés ? En 1963, 18 pays, tous francophones, ont signé la Convention de Yaoundé I ; le 31 octobre dernier, 57 ont renouvelé le contrat : c’était Lomé II. Entre ces deux dates s’échelonnent la mise en place et l’extension d’un mode de coopération unique en son genre. Certes les difficultés, voire les malentendus, n’ont pas fait défaut au cours de ces années. Il y a six mois nous faisions état ici même (cf. notre numéro de mai 1978, p. 173) des pierres d’achoppement apparues au cours des discussions sur le renouvellement de cette Convention d’association. Depuis lors des compromis ont été trouvés. En dépit des pessimistes, Lomé II a été signée. Comme la précédente convention, celle-ci associe à la CEE (Communauté économique européenne) nombre d’États indépendants d’Afrique noire, des Caraïbes et du Pacifique (les ACP) alors que, par la nature même de l’Europe communautaire d’alors, les deux accords Yaoundé I et Yaoundé II étaient limités aux pays africains francophones : les EAMA (États africains et malgaches associés). Cet élargissement n’a en rien modifié les objectifs de tels accords : le train s’est allongé mais il poursuit sa marche sur la voie du développement. N’est-il pas d’ailleurs significatif qu’il en soit ainsi alors que les contraintes de l’économie mondiale pouvaient disloquer le convoi ?
Lorsque, en raison du titre IV du Traité de Rome, la France, en 1963, obtint que les pays africains francophones indépendants fussent associés à la communauté européenne, ce qui dominait la scène politique internationale, ce n’était ni l’inflation ni la récession. L’heure était à la détente et à l’essor économique. Le pape Jean XXIII publiait son encyclique Pacem in terris qui recevait aussitôt l’approbation de Khrouchtchev et de Kennedy ; on préparait le Traité de Moscou sur l’arrêt des expériences nucléaires qui sera signé en août ; quelques mois auparavant Moscou avait retiré ses fusées de Cuba. Bref le monde occidental manifestait une santé qui apparaissait dans toutes ses réussites économiques. Il en était, grosso modo, encore ainsi quand fut signée la Convention de Yaoundé II en juillet 1969. En Occident on assistait à la première marche d’un homme sur la Lune, témoignage éclatant d’un succès technologique qui apparaissait comme le garant d’une solidité économique à laquelle tout le monde voulait croire. En fait bien des lézardes commençaient à se faire jour mais elles n’éloignèrent pas les EAMA de la communauté européenne. Celle-ci commit toutefois ensuite quelques impairs qui auraient pu ruiner l’œuvre consacrée par deux conventions. En 1971, la CEE accorda en effet à 91 pays du Tiers-Monde les mêmes préférences commerciales qu’aux EAMA sans que les obligations auxquelles ceux-ci étaient tenus fussent étendues aux nouveaux venus. Pour les associés de la CEE le sentiment de frustration fut d’autant plus vif que parallèlement le Kennedy round abaissait, pour tous, les barrières douanières. Le contrat de coopération entre l’Europe et les pays africains allait-il se vider de son contenu ?
On put d’autant plus le craindre que la renégociation à partir de 1973 s’effectua dans le climat déprimant qu’avaient fait surgir en Europe la guerre d’octobre et le recours des pays arabes à l’arme du pétrole. Le monde occidental n’était plus ce qu’il avait été. À la crise monétaire rampante depuis déjà longtemps s’ajoutait subitement la crise énergétique. Le Tiers-Monde constatait à quel point les pays industrialisés étaient vulnérables. Toute la stratégie des relations Nord-Sud allait s’en trouver modifiée. Il n’était plus question de traiter au coup par coup, loin de la spécificité de certaines relations interrégionales : tous les pays en voie de développement devaient se coaliser, la preuve étant faite qu’ils disposaient d’une arme pour obtenir satisfaction. Cette analyse de la situation mondiale ne fut pas, chez tous, aussi catégorique, mais le sentiment qu’il pouvait en être ainsi entraina nombre de réactions en ce sens. C’était, il est vrai, la première fois que les pays en voie de développement avaient conscience de disposer d’un moyen de pression efficace sur le plan international. Dès 1964, à Genève lors de la première session de la Cnuced (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement), ils avaient tenté de constituer un front uni en mettant sur pied le « groupe des 77 » mais rapidement leur cohésion ne parut pas sans failles. En dépit du consensus intervenu en 1967 à Alger sur le fait que les pays du Tiers-Monde n’entendaient plus solliciter les faveurs des « nantis » mais, en quelque sorte, recouvrer une créance, le mouvement alla de déceptions en déceptions. À leur réunion de Lima, en octobre, 1971, les pays en voie de développement se scindèrent en réformistes et révolutionnaires, ce qui ne les fit pas échapper pour autant à la traditionnelle démarcation entre Africains. Asiatiques et Latino-Américains. Comment s’étonner dans ces conditions que le « groupe des 77 » se soit avancé en ordre dispersé à la conférence de la Cnuced d’avril 1972 à Santiago du Chili ? De ce fait, et malgré l’arrivée de la Chine populaire (RPC) à cette session, les pays du Tiers-Monde essuyèrent des refus à toutes leurs revendications essentielles. On comprend ainsi l’aubaine qui s’offrait à eux avec l’embargo arabe sur le pétrole en cet hiver 1973-1974.
Il reste 79 % de l'article à lire
Plan de l'article