Cinéma - De l'ouragan à l'apocalypse
De l’ouragan à l’apocalypse…
Contrairement à l’habitude, la saison actuelle comporte très peu de films parodiques sur l’armée. Un seul, au fond, mérite d’être signalé : Mon nom est… Bulldozer (film italien de Michele Lupo), dont le héros est le bon géant Bud Spencer. L’action se situe dans une petite ville italienne perturbée quelque peu par la présence d’une base militaire américaine. Les soldats sont parfois de dangereux rivaux pour les jeunes gens du pays, ce qui provoque pas mal de bagarres dans les lieux publics. Bien malgré lui, le géant est mêlé à cette rivalité qui se manifeste aussi sur le terrain sportif. Les militaires sont présentés sous un jour peu favorable et le metteur en scène a fait appel à des acteurs allemands pour incarner les personnages américains parfaitement caricaturaux : Reinhard Kolldehoff est un général comme on n’en voit jamais, Raimund Harmstorff un sergent ridicule et odieux jusqu’à l’absurde. Tout cela est tellement outrancier que l’on ne peut que sourire. Il n’en va pas du tout de même lorsque l’on se trouve devant le capitaine Charles Bruckner, appartenant à l’US Navy, gouverneur de l’île Pago Pago en 1920. Ici, la caricature prend des proportions dramatiques. Le film Hurricane (L’Ouragan), réalisé par le cinéaste suédois Jan Troell, est une version nouvelle d’un sujet déjà porté à l’écran avant la guerre par John Ford. La discipline de fer imposée par le chef militaire à ses officiers, à sa famille et aux indigènes est génératrice de révolte et de drame. Il n’est pas douteux que l’élément raciste joue un rôle important dans le comportement sans nuances et sans compromis du gouverneur militaire. Le scénario est tiré d’un roman inconnu en France et l’on peut se demander si le personnage de ce capitaine Bruckner n’est pas quelque peu « romancé », justement.
Deux films récents abordent d’une manière radicalement différente les problèmes de la Seconde Guerre mondiale.
• C’est en quelque sorte à retardement, et par personne interposée, que nous pénétrons dans une base américaine en Allemagne grâce au film Le roman d’Elvis, de John Carpenter, qui retrace non sans précision et avec talent la vie de la fameuse idole de la jeunesse d’outre-Atlantique, Elvis Presley. La présence américaine en Europe n’est évidemment qu’une « retombée » de la guerre, c’est la raison pour laquelle Elvis Presley se voit affecté en 1958 dans une garnison du centre de l’Allemagne. Les images fugitives de la vie dans le camp militaire sont traitées avec tact et dignité. Nous voyons le chanteur triompher auprès de ses camarades pendant un tour de chant, l’environnement n’en est pourtant pas moins strictement militaire, sans complaisance comme sans exagération.
• Avec La percée d’Avranches, nous sommes en plein cœur de la bataille de Normandie. Andrew V. McLaglen, cinéaste jusque-là spécialisé plutôt dans la réalisation de westerns, s’est donné beaucoup de mal pour rendre plausible et réaliste cette gigantesque bataille. Il a réussi. Nous retrouvons dans La percée d’Avranches les principaux personnages déjà entrevus et fréquentés dans Croix de fer. La vérité oblige à dire que Richard Burton et Helmut Griem, dont le talent n’est pas en cause, supportent moins bien les rôles de Steiner (le sergent récalcitrant) et du capitaine obsédé par la Croix de fer que James Coburn et Maximilian Schell dans l’ancien film. À l’actif du réalisateur, il faut inscrire le fait qu’il a évité soigneusement tout manichéisme : des deux côtés, il y a des personnalités remarquables, des deux côtés, il y a des personnalités contestables.
La guerre du Vietnam n’en finira jamais de hanter les esprits des cinéastes américains. Dans Heroes (Les héros) de Jeremy Paul Kagan, le conflit apparaît sous une lumière double. Le personnage principal, un déséquilibré nommé Jack Dunne, vit dans une sorte de brouillard qu’il n’a jamais réussi à percer depuis sa démobilisation : aspect moral et psychique. Vers la fin du film, alors qu’il apprend la mort d’un de ses meilleurs camarades de combat, brusquement, tous les souvenirs de la guerre se réveillent en lui, ce qui permet au metteur en scène de nous donner une vision dantesque et explosive des combats : aspect matériel et réaliste. La séquence est courte, elle est pourtant tellement impressionnante qu’elle impose à la mémoire.
C’est encore la guerre du Vietnam qui sert de toile de fond et de support dramatique au film le plus controversé de l’année, Apocalypse Now, de Francis Ford Coppola. Les uns crient au chef-d’œuvre, les autres au pensum ennuyeux et déprimant. Il faut beaucoup de sérénité pour prendre une position raisonnable et pondérée. Tentons l’expérience. Il n’est pas douteux que le réalisateur Francis Ford Coppola connaît admirablement son métier, il n’est pas moins sûr qu’il s’est laissé séduire par le caractère exagérément spectaculaire du sujet. Chez lui, le drame de guerre a une fâcheuse tendance à rejoindre le Châtelet ou même les Folies Bergère. Les mouvements de foule sont bien réglés, les séquences les plus violentes possèdent un impact indiscutable sur le grand public et particulièrement sur les jeunes. En revanche, les scènes du théâtre aux armées et le ballet final des hélicoptères laissent perplexes. Nous avions déjà vu les hélicoptères danser dans maint court-métrage militaire, notamment dans une excellente production de l’aviation italienne. Martin Sheen et Marlon Brando burinent deux silhouettes d’officier aux conceptions diamétralement opposées de la guerre et de sa conduite. En fin de compte, la superproduction de Francis Ford Coppola est infiniment moins convaincante que Voyage au bout de l’Enfer de Michael Cimino ou même que Le Merdier de Burt Lancaster. ♦