Tableau de la géographie de la France
Ce livre est la reproduction photographique de la première édition de 1903, sauf quelques cartes extraites de la réédition de 1908, et la préface écrite par M. Paul Claval, professeur à l’Université de Paris-Sorbonne, qui présente l’ouvrage au lecteur actuel. En son temps, ce travail devait être l’introduction et le préambule de la collection dirigée par Ernest Lavisse : « L’histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution ». Il repose donc sur une arrière-pensée non déguisée d’apporter à l’histoire l’appui de la géographie.
D’après Emmanuel de Martonne, gendre et élève de Vidal, la parution de ce livre a soulevé un véritable enthousiasme. Il a en fait marqué le début de l’école géographique française illustrée par les noms de Vallaux, Brunhes, André Siegfried, Gauthier, Demaison, Gottmann, qui a profondément influencé des stratèges comme l’amiral Castex. Vidal lui-même a su transmettre au public français certains des résultats de l’école allemande représentée à l’époque par Ratzel, ancêtre lointain des géopoliticiens du IIIe Reich par son sens de l’espace (Raumsian). Mais Vidal a refusé d’en adopter l’esprit doctrinal, mythique et matérialiste. Pour lui, la géographie permet de comprendre l’histoire, voire de l’expliquer. Elle ne la détermine pas. « Il faut partir de cette idée, écrit-il, qu’une contrée est un réservoir où dorment les énergies dont la nature a déposé le germe, mais l’emploi dépend de l’homme ». On est donc loin de Mackinder donnant à certaines situations géographiques un pouvoir quasi magique.
Vidal de La Blache présente la France sous deux aspects qui sont pour lui complémentaires. S’appuyant sur les découvertes de la géologie, encore assez récentes à son époque, il examine en détail chacune des régions françaises pour mettre en évidence leur diversité ainsi que les caractères des pays locaux. Limitant volontairement son travail dans le temps, puisque l’ouvrage de Lavisse doit s’arrêter à la Révolution, il étudie une situation humaine très stable et liée aux rapports entre le sol et les humains. Homme de terrain, il voit les influences des formes du relief dans la création des entités géographiques, provinces ou « pays ». Son analyse sociologique reste cependant assez courte, l’économie et l’industrie n’apparaissent que fort peu. L’œuvre n’en est pas moins attachante par les descriptions des particularités régionales faites avec amour dans une contrée qu’il a parcourue en tous sens et qui lui est apparue « comme profondément humanisée mais non abâtardie par les œuvres de la civilisation ».
L’autre forme de l’analyse de Vidal de La Blache est la manière dont il voit la France dans son ensemble et son environnement, entre deux mers et un continent. Il perçoit dans la variété de ses structures une harmonie « dans laquelle s’atténuent les contrastes réels et profonds » qui entrent dans la physionomie de notre pays. Il montre la force des influences du dehors. Par la Méditerranée, nous sommes en rapport avec les civilisations les plus anciennes. Mais « très anciennement l’influence du rapprochement de la Méditerranée et de la mer du Nord a pris corps sur notre territoire. Cette influence s’est géographiquement exprimée et consolidée par des routes, des lignes de relations à grande portée. Mais la substance même de notre civilisation est de provenance continentale » : c’est l’origine que donne Mahan à nos malheurs du XVIIe et du XVIIIe siècles. Mais, curieusement, Vidal ne voit dans les réseaux routiers que l’effet d’une volonté politique centralisatrice. Les échanges commerciaux n’apparaissent guère dans son raisonnement.
Ce livre, un peu démodé dans son ton et certaines de ses insuffisances, est agréable à lire pour ses descriptions et le sentiment patriotique profond de l’auteur, autant attaché à décrire les régions qu’à montrer que la France est « un être géographique », et suivant le mot de Michelet qu’il reprend, « une personne ». Il est surtout intéressant parce qu’il constitue le point de départ de toute une forme de raisonnement et d’emploi de la géographie pour aider à l’étude de l’histoire, mais aussi, à notre époque, pour fournir des éléments à l’approfondissement des phénomènes sociaux et politiques. ♦