Cinéma - Admiration, satisfaction, contestation…
Le début de la nouvelle saison cinématographique a connu une abondance inaccoutumée d’œuvres dans lesquelles les affaires militaires interviennent d’une manière non négligeable. Pas moins de huit films ont attiré l’attention de ceux qui observent avec ferveur l’évolution des militaires sur les écrans des salles obscures. Admiration, satisfaction (ou plus exactement autosatisfaction) et contestation, c’est ainsi que l’on peut résumer les sentiments exprimés au cours de ces derniers mois par les cinéastes qui ont consacré des œuvres aux problèmes militaires.
L’effort le plus important a été accompli dans ce domaine par John Schlesinger avec Yanks, réalisé en Angleterre d’après un récit de Colin Welland. Avec tact et sensibilité, avec beaucoup d’humour aussi, sans scènes guerrières à proprement parler, Schlesinger reconstitue une page quelque peu oubliée de la dernière grande guerre, le séjour prolongé dans des camps d’entraînement en Grande-Bretagne des troupes américaines destinées à conquérir le continent occupé par les Allemands. Parlant la même langue, liés par la même cause, Américains et Britanniques constatent pourtant qu’ils ne sont pas tout à fait pareils. Ils s’aiment et se détestent. Les scènes de la vie militaire, notamment l’entraînement intensif des Gis (soldats américains) alternent avec des épisodes plus gais et des séquences de bagarre. Jamais, sans doute, un cinéaste n’avait montré avec tant de talent et de perspicacité les contradictions entre le tempérament anglais et le tempérament américain. Psychologiquement et spectaculairement, Yanks est une réussite incontestable. C’est aussi un document rétrospectif d’une grande valeur. Le film de John Schlesinger se termine par le départ des Américains vers la victoire.
Tout au contraire, c’est l’amertume et le tragique de la défaite que nous montre le cinéaste allemand Rainer Werner Fassbinder dans Le Mariage de Maria Braun, d’après un roman de Gerhard Zwerenz. L’aventure personnelle de Maria Braun commence au moment où son mariage est célébré dans la rue, au beau milieu d’un bombardement, presque sous les décombres de l’Hôtel de Ville. Les scènes les plus évocatrices se situent au moment de la fin des combats, lorsque des centaines de femmes, d’enfants et de vieillards viennent jour après jour assister à l’arrivée des convois de blessés et de prisonniers pour tenter de retrouver un mari, un fils ou un fiancé. Fassbinder s’est montré ici un metteur en scène de grande classe.
Des éloges pratiquement sans restrictions doivent être adressés aussi à Raoul Coutard qui a entrepris non sans courage de faire revivre sur l’écran l’épopée de la Légion étrangère au Zaïre dans le film La Légion saute sur Kolwezi, dont les éléments de base ont été fournis par le récit du capitaine Pierre Sergent. L’audace, le panache et le fatalisme des légionnaires nous sont présentés de la manière la plus concrète, sans fioritures romantiques et sans concessions. La même rigueur, le même souci de vérité, ont présidé à la reconstitution de l’attaque des rebelles venus au Zaïre de terres voisines. Techniquement, humainement réussi, le film de Raoul Coutard constitue un hommage véridique et vibrant d’enthousiasme rendu à la Légion étrangère.
Deux œuvres très soignées et traitées avec le plus grand sérieux, Le Toubib, d’origine française, et Meteor, de provenance américaine, doivent être classées dans le domaine de la science-fiction, prospecté de nos jours avec une ferveur particulière. Certes, l’histoire d’amour que vivent le « toubib » et son assistante Harmonie, est de tous les temps, mais l’essentiel de la toile de fond tissée par le réalisateur Pierre Granier-Deferre réside dans la guerre future, une troisième guerre mondiale qui ne touche pas encore l’Europe mais s’en rapproche avec célérité. Il n’est pas certain que les auteurs du Toubib aient gagné leur bataille sur tous les fronts. Le contexte militaire est tout différent dans le film américain de Ronald Neame, Meteor. Ici, le rôle de l’armée est avant tout scientifique. Ce sont les officiers de la NASA (Administration nationale de l’aéronautique et de l’espace) qui vont tenter d’éviter à notre planète une catastrophe sans précédent. En effet, une comète a heurté un gros astéroïde qui a éclaté. Six énormes fragments vont entrer incessamment en collision avec la terre. Le premier s’étant écrasé en Sibérie, le président des États-Unis demande l’assistance de spécialistes soviétiques qui rejoignent immédiatement New York. Cela aussi, c’est de la science-fiction… Une mise en scène grandiose au service d’un sujet contestable !
Steven Spielberg, à qui on doit les émotions des Dents de la Mer, est sans aucun doute très satisfait de son travail pour 1941. On aurait tort de penser qu’il s’agit là d’une nouvelle évocation historique de la tragédie de Pearl Harbor. Nous nous retrouvons dans le joyeux domaine de Mack Sennett, car tout dans le film de Spielberg est loufoquerie, bouffonnerie, burlesque. Au lieu d’avoir à détruire la flotte américaine, un sous-marin japonais a pour mission de raser… Hollywood. Officiers de la marine japonaise, officier allemand qui les conseille, officiers américains sont tous présentés avec un maximum d’irrévérence caricaturale. Le général responsable de la Défense préfère aller pleurer aux aventures des héros de Walt Disney plutôt que de s’occuper de ses troupes. Et le réalisateur prend un malin plaisir à faire sauter maisons et canons, avions et navires de guerre. C’est un cataclysme général dû à la maladresse des personnages. Nous sommes évidemment en plein délire.
La satire est moins virulente dans Escape to Athens (Bons baisers d’Athènes) du cinéaste grec George Pan Cosmatos. Personne n’est certes épargné (prisonniers américains, officiers nazis, résistants grecs), mais l’humour est moins corrosif. Et l’on s’amuse beaucoup à voir James Bond alias Roger Moore sous l’uniforme inattendu (pour lui) d’un commandant nazi ! Par l’ampleur de la réalisation, Bons baisers d’Athènes rappelle Les Canons de Navarone dans une note plus gaie.
La guerre du Vietnam reste pour les cinéastes américains une obsession dont ils n’arrivent pas à se libérer. Une fois de plus, le sujet est traité dans un esprit contestataire par B.W.L. Norton dans More American Graffiti (American Graffiti, la Suite) où nous retrouvons quelques-uns des personnages du premier American Graffiti. Ils ont maintenant deux ans de plus et sont confrontés à des problèmes plus sérieux. On y voit, bien entendu, une manifestation contre la guerre du Vietnam, réprimée brutalement par la police. On y voit surtout quelques épisodes à la fois défaitistes et contestataires de la guerre sur place, un des personnages étant un déserteur pleinement conscient des risques qu’il prend face à des supérieurs blasés et peu compréhensifs. L’aventure se termine d’ailleurs tragiquement. C’est à un esprit contestataire bien plus ancien encore que nous avons à faire dans Woyzeck que Werner Herzog a tiré de la pièce fameuse de Georg Büchner. L’auteur allemand le plus révolutionnaire du début du XIXe siècle avait défini son œuvre de la manière suivante : « histoire du pauvre soldat Woyzeck qui fut systématiquement poussé à la folie et au meurtre ». Partant de ce postulat, l’auteur nous montre la vie d’une garnison dans une petite ville allemande en 1850. L’existence y est monotone et seules les parades de la musique militaire apportent quelque distraction à la population laborieuse. Le soldat Franz Woyzeck est le souffre-douleur à la fois de son capitaine raisonneur et du médecin-major qui se livre à de dangereuses expériences pseudo-scientifiques. Et, en effet, Woyzeck est poussé vers le meurtre : il tue la mère de son enfant qu’il soupçonne de lui être infidèle. La vérité oblige à dire que le drame passionnel qui constitue le fond de l’œuvre pourrait tout aussi bien se dérouler dans n’importe quel autre milieu que celui d’une garnison et seule la volonté délibérée de Georg Buchner l’a placé dans ce cadre qu’il haïssait. En abordant le film de Werner Herzog, il faut donc faire la part des choses. ♦