« Nous sommes, nous dit l'auteur, les héritiers d'une émergence miraculeuse, meurtrière et menacée … Cette émergence humanisée porte un nom : c'est le développement … grande espérance de notre époque … nouveau nom de la paix. » Mais cette espérance, nous rappelle-t-il, comporte une éthique qui, elle-même, implique une action. Tel est le propos de l'auteur que son expérience et son œuvre désignent comme l'un des maîtres à penser du développement. On se rappellera en effet qu'il a exercé de hautes fonctions de direction, à l'Électricité de France notamment, qu'il a été de 1959 à 1966 Commissaire général du Plan d'équipement et de la productivité (Plan intérimaire, IVe et Ve Plans) et qu'il préside aujourd'hui aux destinées de la Fondation de France, dont le but est de contribuer au renouveau du mécénat, au sens le plus large du mot et sous une forme adaptée aux exigences de la société. Citons, parmi ses ouvrages, le plus célèbre : « Le Plan ou l'Anti-hasard », un classique, pourrait-on dire, de la philosophie de la planification.
La crise du développement
Cet article n’est pas inactuel, mais il ne relève pas du genre d’actualité qui fait bruyamment entendre sa voix. Son intention est de mettre en lumière les tendances profondes, souvent silencieuses, du développement économique et social. Il cherche à discerner en elles ce qui appartient à l’éphémère et ce qui est annonciateur de l’avenir. Il cherche en outre à distinguer ce qu’il est raisonnable de favoriser et ce qu’il serait nécessaire de combattre.
Le premier fait qui s’impose à l’observateur est la réalité du développement. Elle se manifeste économiquement par la croissance du produit national, si connue aujourd’hui qu’elle n’a plus besoin d’être soulignée, humainement par la continuité du progrès social. La pauvreté est devenue minoritaire. Cette formule n’est pas de deux admirateurs, mais de deux contestataires de notre système économique (1). Des catégories de plus en plus étendues accèdent aux fruits de l’expansion. Les « Nouveaux Pauvres », minorités très disparates et très dispersées, se trouvent « chez les Françaises et les Français qui ne parviennent pas à s’intégrer à la société industrielle, ou qui en sont chassés par les progrès de la technique et de la productivité » (2). En face d’eux, il y a trop de richesses ostentatoires ou provocantes. Les inégalités persistent, plus choquantes qu’autrefois pour la conscience collective, mais cette situation inégalitaire est entraînée par un mouvement général ascendant. En un quart de siècle, la vie quotidienne a fait un bond en avant. L’enseignement s’est considérablement étendu. L’électricité, le cinéma, la radio, la télévision, l’automobile, sont devenus accessibles à presque tous. Plus de quinze millions de Français habitent un logement neuf. En dix ans, le nombre de jeunes pourvus d’un emploi a augmenté d’un million. Le pouvoir d’achat moyen du salaire horaire, pris égal à 1 en 1910, devenu 2,3 en 1950, s’est élevé à plus de 5,4 en 1972.
Le budget social consacre une part croissante du revenu national à l’extension des soins et des retraites, à l’aide aux chômeurs et aux familles nombreuses. Les conquêtes les plus révolutionnaires de la médecine sont mises en œuvre pour préserver le moindre souffle de vie. Ces progrès se sont accomplis depuis quinze ans sans aide étrangère et sans déficit extérieur.
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