Aéronautique - Une formule originale : le Bell XV-15 à rotor basculants
Un peu d’histoire et de technique
Il y a une vingtaine d’années, les bureaux d’études des constructeurs aéronautiques travaillèrent beaucoup sur les appareils à décollage vertical. Leurs efforts furent axés dans 2 directions : le développement des hélicoptères et la réalisation d’Avions à décollage vertical (ADAV). Si la première formule s’est imposée, pour les usages civils aussi bien que militaires, la seconde par contre n’a connu qu’un succès très mitigé. En France les Snecma Atar Volants et Dassault Mirage Balzac en sont restés au stade du prototype. Tout au plus peut-on citer quelques réussites telles que le Hawker Siddeley Harrier mis en œuvre essentiellement par les forces britanniques et américaines ainsi que les ADAV tactiques soviétiques. Mais, alors que des milliers d’hélicoptères sont en service dans le monde, il n’existe que quelques centaines d’ADAV opérationnels.
2 raisons majeures peuvent expliquer ce relatif échec : la surcharge structurelle et la complexité des systèmes de pilotage.
Pour s’affranchir de l’astreinte du roulage l’ADAV doit être surmotorisé. 2 formules ont été essayées : le monoréacteur a très forte poussée équipé d’une tuyère orientable ou les réacteurs multiples à usage spécifique, les uns pour la propulsion, les autres pour la sustentation.
La première semble s’imposer mais elle entraîne cependant une surcharge préjudiciable à l’emport de carburant ou d’armement. Le rayon d’action et l’efficacité militaire en sont d’autant réduits. Ces handicaps tendent cependant à s’atténuer car les réacteurs modernes ont un rapport poids/poussée et une consommation spécifique nettement plus satisfaisants.
La complexité des commandes est aussi un obstacle sérieux. Le pilotage du vecteur poussée pour effectuer la transition entre le régime de vol horizontal et le stationnaire impose l’adjonction de mécanismes et d’équipements particuliers. On doit cependant noter l’avantage qui peut en découler pour améliorer la manœuvrabilité de l’avion, ce qui n’est pas négligeable en combat aérien. Par ailleurs le contrôle de l’aéronef en translation lente ou à vitesse nulle ne peut être assumé par les gouvernes aérodynamiques classiques. Il faut donc installer des systèmes de soufflage d’air prélevé sur le réacteur pour maîtriser l’aéronef autour des 3 axes. Il en résulte une légère pénalisation en puissance au moment où justement le propulseur est le plus sollicité.
Alors que l’ADAV a difficilement surmonté les contraintes techniques inhérentes à sa formule, l’hélicoptère a, dans le même temps, fait des progrès spectaculaires. Améliorations aérodynamiques, allégement des structures, rendement accru des moteurs, simplification des parties tournantes, lui ont permis d’accroître très sensiblement ses performances et sa rentabilité. Mais sa vitesse est restée modeste et cet inconvénient, lié au concept de voilure tournante, est difficilement surmontable. En croisière, la vitesse est de l’ordre de 150 nœuds, et l’on ne peut raisonnablement espérer 200 nœuds avant longtemps. Or certaines missions, telles que les liaisons offshore lointaines, nécessiteraient des durées de transit plus réduites. Cette exigence des utilisateurs commerciaux ne pourra que favoriser le développement d’une formule hybride à propulseurs basculants dont le Bell XV-15 est un excellent exemple.
Le développement du XV-15
Dès 1955 la société Bell a débuté ses recherches sur la formule des rotors basculants. Le prototype XV-13 a été réalisé. Mais il a été abandonné rapidement car les technologies de l’époque n’ont pas permis de résoudre les contradictions de la formule convertible.
La NASA et l’US Army ont repris le projet en 1972 et l’année suivante Bell a obtenu un contrat pour la construction de deux appareils expérimentaux. Le premier exemplaire, sorti des ateliers en 1976 et après des essais au banc très poussés, a effectué son premier vol libre de type hélicoptère le 3 mai 1977. Mais sur cet appareil la configuration avion, rotors basculés vers l’avant, n’a été essayée que dans l’énorme soufflerie d’Ames (veine de 12 m x 24 m).
C’est avec la sortie du second prototype que la transition a été pour la première fois réalisée en vol le 24 juillet 1979. À cette occasion les pilotes d’essais ont fait évoluer l’appareil jusqu’à la vitesse de 160 nœuds. En 1980 l’exploration du domaine de vol s’est poursuivie et le convertible a atteint des vitesses de 300 nœuds environ, soit plus de 500 km/h, sans rencontrer semble-t-il de difficultés majeures.
Le rappel de ces quelques dates permet de souligner le délai relativement court dans lequel le XV-15 a effectué la première transition en vol. La formule des rotors basculants, qui profite aujourd’hui des immenses progrès techniques et technologiques accumulés durant les dernières décennies, se laisse maintenant maîtriser avec une facilité surprenante.
Description et caractéristiques
Le XV-15 est un biplace, monoplan à aile haute, construit en alliage léger. Sa voilure, qui est caractérisée par une flèche inversée de 6° et un allongement assez faible (6,7), est équipée de volets-ailerons au bord de fuite.
Les deux ensembles moteurs interconnectés sont montés en extrémités de voilure. Ils pivotent sur 95° et supportent chacun un rotor tripale rigide en acier inoxydable avec noyau en élastomère. En position hélice classique, la vitesse de rotation en bout de pale est de 180 m/s environ, alors qu’elle s’élève à 225 m/s en fonctionnement hélicoptère.
Le poste de pilotage est équipé de sièges éjectables et sa partie supérieure ainsi que les fenêtres latérales sont largables. Le pilote dispose de commandes assistées et munies de systèmes d’augmentation de stabilité en roulis tangage et lacet ainsi que d’un dispositif de restitution de sensations. Il est d’ailleurs intéressant de signaler que l’appareil a déjà volé alors que ces aides au pilotage étaient déconnectés. En plus de ces commandes classiques, le pilote dispose d’un interrupteur de basculement des moteurs à 2 vitesses (8°/seconde et 2°/seconde) qui permet d’effectuer la manœuvre de transition en moins de 20 secondes alors que l’aéronef se déplace à environ 120 nœuds.
Les caractéristiques essentielles sont résumées ci-dessous :
• masse à vide : 4 350 kg ;
• masse totale : 6 000 kg environ ;
• propulsion :
– 2 turbomoteurs Lycoming de 1 550 ch ;
– diamètre des rotors : 7,60 m ;
• performances estimées :
– vitesse maximale à 5 000 m : 330 nœuds ;
– plafond pratique : 8 800 m ;
– plafond en stationnaire hors effet de sol : 2 600 m.
L’avenir
Le XV-15 n’est qu’un appareil destiné à évaluer et valider la formule du convertible à rotors pivotants. Par contre les résultats encourageants déjà obtenus devraient lui permettre de déboucher sur une application commerciale qui aurait, par rapport à un hélicoptère de capacité comparable, l’avantage d’aller deux fois plus vite mais surtout deux fois plus loin grâce à une consommation de carburant réduite. Le projet D326, dont le développement est envisagé par la société Bell, répondrait à cet ambitieux programme qui intéresserait surtout les transporteurs offshore et éventuellement les compagnies de troisième niveau. Ces derniers clients pourraient d’ailleurs augmenter la rentabilité de la formule en exploitant l’appareil non pas exclusivement en formule ADAV mais en acceptant une course réduite au décollage, ce qui aurait pour conséquence d’augmenter très sensiblement la charge emportée.
Quant aux utilisateurs militaires, ils semblent plutôt concernés par la formule à réacteurs basculants qui autorisera des performances bien supérieures.
Grâce au XV-15, le convertible à rotors basculants n’est donc plus une utopie. Mais il ne devrait cependant pas remettre en cause la suprématie de l’hélicoptère avant de très nombreuses années, car il reste à démontrer que la solution est économiquement viable. ♦