Marine - La défense antimissile est-elle possible ?
La destruction du destroyer Eilath en 1967 par les Égyptiens a ouvert, sur mer, le règne des missiles mer-mer et fait foisonner le nombre de petits bâtiments – vedettes et patrouilleurs – porteurs de ces armes. Véritables petits David, ces bâtiments légers, au demeurant peu coûteux, mettent en péril les Goliath que sont, par rapport à eux, les navires de haute mer de plusieurs milliers de tonnes.
Porte-avions du pauvre, le bâtiment lance-missiles, petit ou grand, qui voit la portée, la précision et la puissance de ses armes s’accroître de jour en jour, représente un danger qu’il n’est pas possible d’ignorer, surtout quand la stratégie générale et la position normale des forces sont, par principe, défensives. Rares seront les cas, effectivement, où l’initiative – et l’avantage – du premier coup sera réservée à nos forces, et désastreux serait l’effet produit si un David terrassait, par chance, surprise ou hasard, l’un de nos Goliath.
Certes, la manœuvre tactique garde toujours sa prééminence et demeure la seule ressource tant que les armes sont muselées. Garder l’adversaire hors de portée, l’user, l’épuiser en l’obligeant à manœuvrer à grande vitesse et longtemps, le marquer de près pour bien lui faire sentir et savoir que la punition serait immédiate, sont les moyens et méthodes classiques de la guerre sur mer.
Il n’en reste pas moins que la manœuvre seule a ses limites et que le dérobement ne peut avoir qu’un temps.
Détruire le porteur est évidemment la solution la plus efficace et la plus radicale, mais comme il a été évoqué ci-dessus, attendre et s’exposer au premier coup risque d’être parfois nécessaire. Mais le danger n’est pas mince, car ce premier missile ne sera pas seul et il peut venir aussi bien de la surface que des profondeurs ou du ciel.
Dès lors, le problème se pose : détruire un missile en vol n’est-il pas une gageure ? La performance ne se rapproche-t-elle pas du tir au pistolet contre un obus ? Comme toujours aussi, dès l’apparition même de l’arme, la parade s’est préparée… Trois méthodes seulement permettent de s’opposer à l’attaque :
– empêcher le tir,
– brouiller ou leurrer le missile,
– le détruire.
Hors la destruction du porteur, empêcher le tir signifie dénier à l’adversaire la possibilité d’obtenir les éléments qui lui sont nécessaires pour programmer ses missiles. La guerre électronique, ici, est reine : brouillage, confusion, déception sont les maîtres mots.
De même, le missile parti, brouiller son autodirecteur, le leurrer, l’attirer sur un faux écho, sont aussi des méthodes applicables et efficaces. Mais le prix à payer est considérable : il faut suivre, en permanence, l’évolution des générations successives d’autodirecteurs. Ceux-ci se compliquent en permanence et leur « intelligence » augmente : capables de reconnaître un brouillage, ils s’accrochent sur la source… ; démêler les faux échos des vrais leur est possible, et ils deviennent suffisamment clairvoyants pour éviter les traquenards. Si la détection électromagnétique leur devient impossible, ils cherchent les rayonnements infrarouges que produit toute source de chaleur… ; ils peuvent s’aider d’une caméra de télévision, et « voir » leur objectif, etc.
Parer à toutes ces menaces reviendrait à hérisser les bâtiments d’antennes de toutes sortes, de lance-leurres de tous genres, avec la certitude que 5 ou 6 ans plus tard tout ce matériel serait à remplacer et à adapter à un nouveau type de menace.
L’effort est cependant nécessaire, et nulle voie dans ce domaine ne peut être définitivement fermée. On a pu croire que la guerre électronique serait la parade ultime : force est de constater qu’elle a ses limites et que, dans cette course du canon et de la cuirasse, la cuirasse a toujours un temps de retard, puisqu’il lui faut connaître la ruse d’en face, la comprendre, la disséquer et lui trouver une réponse.
Reste donc à détruire le missile. Comme toujours, dans le domaine du tir, deux philosophies sont en présence : amener beaucoup de projectiles avec peu de précision dans le voisinage de la cible, avec la ferme conviction que l’un d’entre eux, au moins, ira au but, ou bien amener avec une très grande précision une charge unique, plus faible, au contact direct de l’objectif. Le premier procédé est concrétisé par des canons à tir rapide, multitubes, dont la cadence de tir peut atteindre 8 000 coups/minute (135 coups/seconde !), le deuxième est représenté par le missile antimissiles, dont on sent immédiatement la complexité, tant dans la propulsion, la finesse nécessaire du guidage, que dans les capacités d’évolution et la rapidité de mise en œuvre.
Le problème fondamental demeure la détection de l’assaillant et la fourniture au système d’armes de ses éléments : site, azimut, distance, vitesse, accélération. Depuis longtemps déjà, les limites de la détection électromagnétique ont été atteintes : un objectif à très basse altitude se perd dans les échos parasites dus aux réflexions sur l’eau, et un pinceau radar, si fin soit-il, a encore une ouverture trop grande pour n’accrocher que le missile, si celui-ci est à très faible hauteur. De plus, le radar est indiscret : il représente une source de rayonnements sur laquelle l’autodirecteur du missile va « s’accrocher ».
Depuis plus de 10 ans, les recherches se poursuivent pour mettre au point des systèmes de détection passive infrarouge, qui puissent être suffisamment sensibles pour voir loin, et suffisamment précis pour que les éléments obtenus aient la finesse nécessaire au pointage des armes. Les progrès de l’électronique et le développement des microprocesseurs ont permis de réaliser un traitement des signaux reçus, suffisamment élaboré (discrimination, cohérence, corrélation) et suffisamment rapide pour s’approcher de la précision requise. Manquait encore, cependant, l’élément « distance », indispensable pour « accrocher » et poursuivre la cible, et que le système passif ne fournit pas… le télémètre laser a offert la solution. Mais le pinceau laser est si fin qu’il est nécessaire de le pointer avec une très grande précision sur le but pour en obtenir l’écho. Pas de précision suffisante sans la distance, pas de distance sans une très grande précision de pointage, autrement dit un cercle vicieux ou une quadrature du cercle, que 10 ans d’efforts, de recherches et de progrès dans la maîtrise de l’électronique ont pu briser.
Le système a aujourd’hui dépassé le stade expérimental pour arriver à celui du prototype avec des résultats extrêmement encourageants. Il possède cependant deux défauts, inhérents à la nature même des rayonnements utilisés : l’infrarouge est, en effet, absorbé par les nuages ou la pluie… et le soleil est une source de chaleur et de rayonnements infiniment plus forte que ne le sera jamais une turbine d’aéronef ou la peau d’un missile échauffée par le frottement de l’air… Le système est donc aveugle dans les azimuts voisins de celui du soleil, ainsi que dans la pluie ou les nuages. La solution consiste à combiner télévision, radar, infrarouge et télémétrie laser afin d’obtenir par tous les temps, à la fois des possibilités de veille et de détection à distance suffisante, l’acquisition des éléments du but et sa poursuite automatique.
La conduite de tir mixte, radar-optronique ou purement optronique sera opérationnelle vers l’année 1984… elle constitue un sensible pas en avant dans ce domaine difficile de la lutte antimissiles. Les performances des systèmes d’armes de défense associés, canons ou missiles, méritent encore d’être affinés, jusqu’au jour où il sera possible de donner au rayonnement laser une énergie suffisante pour en faire le véritable « rayon de la mort » de la science-fiction, capable sinon de détruire la structure solide d’un missile, du moins d’en désorganiser la tête en brûlant son autodirecteur… Ce jour n’est pas si loin, et une fois encore, la réalité sera plus forte que la fiction.
Philosophiquement, cependant, se défendre et se mettre à l’abri des coups est bien, attaquer le premier si nécessaire et imposer sa loi est mieux.
Nulle défense ne peut être impénétrable… Quelle que soit la qualité des moyens dont il dispose, l’art du chef sera toujours de reconnaître l’instant précis et fugitif où il lui faudra prendre une décision qui entraînera de façon implacable le succès ou l’échec. ♦