Exposé de l'ancien secrétaire général des Affaires étrangères (1965-1973) à l'École supérieure de guerre le 2 mars 1973. Il avait auparavant représenté la France au Conseil de l’Otan, aux Nations unies puis aux États-Unis.
La politique étrangère de la France
Je n’aurais pas la prétention ni le sentiment, en exposant la politique étrangère de la France, de présenter une position officielle engageant le Ministre ou le Gouvernement. Je voudrais simplement examiner les problèmes diplomatiques qui se posent aujourd’hui ou se poseront à nous dans les prochains mois, en n’exprimant que mon point de vue personnel, sans négliger toutefois ce que j’ai pu apprendre au cours de trente-cinq années consacrées à la négociation internationale, et tout en me gardant de toute indiscrétion.
La première idée qui peut venir à l’esprit de certain est celle de savoir s’il peut exister une politique extérieure de la France, autrement dit, si notre pays, compte tenu de sa situation militaire, économique, politique, a vraiment la liberté de ses choix. C’est une interrogation qui, en ce qui me concerne, ne m’a jamais posé de cas de conscience, sauf en 1940 lorsqu’il m’est apparu évident que les décisions des autorités de Vichy étaient imposées par un État ennemi. Mais cet avis n’est pas entièrement partagé, semble-t-il. puisque j’ai lu il y a peu de temps dans un grand journal du soir un article d’un de mes anciens collègues intitulé : « Sommes-nous indépendants ? ».
Je crois pouvoir affirmer qu’au cours d’une longue carrière, et en dehors de la période de l’Occupation à laquelle je me référais, je n’ai pas constaté que des considérations extérieures nous aient dicté notre conduite. Bien plus, je dirais qu’en maintes occasions la France, malgré la relative modestie de ses moyens, a su prendre une position originale inspirée par les principes qu’elle défend traditionnellement comme par ce qu’elle considère comme son intérêt bien compris. Cette attitude, si exceptionnelle quand on la compare à celle d’un grand nombre d’autres États de même importance, n’est pas inspirée par un sentiment de nationalisme périmé, ni par la puissance de nos finances ou de nos armes, mais par une certaine volonté de défendre nos idées. Elle ne nous empêche pas d’ailleurs de déléguer librement une partie de notre souveraineté dans des domaines précis, soit par un accord commercial, soit par un traité d’alliance, soit par l’adhésion à une Communauté européenne.
Quels sont donc ces principes qui nous guident ? Certes, d’une façon générale, la recherche de la paix : il apparaît qu’aujourd’hui une guerre mondiale, en raison de l’équilibre nucléaire international, paraît improbable, de même que la France, après avoir décolonisé, ne se trouve pas mêlée directement aux conflits locaux.
Évidemment, sommes-nous aussi déterminés par la défense de nos intérêts de toutes natures, sur les plans techniques ou politiques.
Au-delà de ces objectifs, la conception ancienne, un peu abandonnée naguère mais à laquelle le Général de Gaulle a donné une vie nouvelle : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et la non-ingérence dans les affaires intérieures d’autrui, forment la ligne directrice de notre action.
Ces différents concepts, nous les retrouverons en analysant les rapports de la France avec ses alliés d’une part, ceux qu’elle entretient d’autre part avec les États qui ne partagent pas les mêmes idéologies en matière sociale ou politique. Reprenant la pensée exprimée par le Président de la République, je dirai que nous sommes les alliés de nos alliés et qu’avec les autres pays, qu’ils appartiennent au Tiers-Monde ou qu’ils soient dirigés par des gouvernements communistes, nous souhaitons développer des relations de détente, d’entente et de coopération.
La France reste l’alliée de ses alliés. Cela signifie que sur le plan mondial nous sommes toujours engagés par notre signature au bas du Pacte Atlantique, que sur le plan européen nous appartenons à une Communauté dont nous avons été les premiers inspirateurs et dont nous désirons le constant développement.
Il est vrai qu’en 1966 la forme de notre engagement vis-à-vis de l’Occident a été modifiée puisque nos forces armées ne sont plus intégrées à celles de nos partenaires. Je dis bien « la forme », car le Traité de Washington ne prévoyait nullement pareille intégration. C’est au cours des deux premières années de son existence, entre 1950 et 1952, que craignant à juste titre les effets de la guerre froide alors déchaînée et les ambitions démesurées de Staline, les alliés atlantiques ont décidé de fusionner leurs forces sur le continent européen, de leur donner un commandant unique, américain, tout en essayant d’uniformiser l’entraînement des unités, les armements, la tactique, la stratégie, etc.
Il faut constater que les circonstances qui justifiaient pareille intégration, exceptionnelle en temps de paix, se sont estompées depuis quelques années. La détente a succédé à la guerre froide en Europe et la France, qui n’a pas été étrangère à cette heureuse évolution, peut s’en réjouir.
Mais si un jour — ce qui paraît actuellement fort improbable — l’expansionnisme soviétique vers l’Ouest renaissait de ses cendres, les engagements de l’Alliance en ce qui nous concerne, comme je le crois en ce qui concerne les autres signataires, seraient tout aussi valables qu’il y a vingt-trois ans.
Si l’attitude prise en 1966 nous paraît donc justifiée par les faits, si elle n’a pas entraîné de graves complications avec notre principal allié, la question se pose du moins de savoir s’il nous faut prévoir dès maintenant les conditions d’une utilisation éventuelle de notre force nucléaire. Chacun sait qu’elle est fort réduite comparée à celle des États-Unis ou de l’Union Soviétique, chacun sait qu’elle ne serait employée qu’à titre d’ultime recours et que son rôle est avant tout de dissuasion, mais ne conviendrait-il pas de décider dès à présent des moyens de coordonner son emploi avec celui des forces américaine et britannique, même si l’hypothèse d’un conflit en Europe paraît invraisemblable aujourd’hui ? La France n’a jamais, à ma connaissance, écarté le principe d’une pareille étude. Elle semble toutefois peu utile, d’une part parce que la force nucléaire française n’a pas encore atteint un degré opérationnel suffisant, d’autre part en raison de la situation de détente politique qui se développe présentement et dont les négociations américano-soviétiques sur la limitation des armements stratégiques (SALT) constituent un des aspects les plus concrets.
À cet égard, on peut se demander si ces conversations, qui ont abouti le 26 mai 1972 à la signature à Moscou de premiers accords, ne viennent pas modifier cet équilibre nucléaire mondial auquel je faisais allusion tout à l’heure et qui représente un des facteurs principaux de la paix européenne. Je ne le crois pas pour ma part. Les instruments diplomatiques échangés à Moscou comprennent essentiellement un traité sur la limitation des missiles anti-balistiques (ABM) et un accord intérimaire valable pour cinq ans portant sur le gel de certains armements nucléaires offensifs : missiles intercontinentaux (ICBM) et missiles portés par des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SMBM). Il n’affecte pas les systèmes d’armes nucléaires avancés (FBS) ni les forces autres qu’américaine et soviétique. Il apparaît donc que, jusqu’à présent tout au moins, il n’y a pas de modification des équilibres stratégiques existants. La France, qui s’est montrée depuis longtemps favorable à la détente dans le monde, suit donc avec intérêt le déroulement des SALT, tout en marquant fermement qu’elles ne sauraient revêtir qu’un caractère exclusivement bilatéral ni engager de quelque manière que ce soit une tierce partie.
D’une façon plus générale, nous nous en tenons, en matière de désarmement, à notre politique bien connue : c’est par la voie de négociations entre les cinq puissances détentrices d’armes nucléaires que des progrès vers une limitation et une réduction de ces armes peuvent être espérés.
En attendant soit un plan commun d’emploi des armes nucléaires américaines, françaises et britanniques, soit de nouvelles étapes vers un désarmement atomique plus complet que celui résultant des premiers accords SALT, ne conviendrait-il pas de mettre au point, pour le bénéfice de l’Europe Occidentale, une force unifiée franco-britannique ? C’est une question qui revient souvent sur le tapis et qui est agitée de temps à autre dans les milieux de presse ou les Parlements. Elle ne me paraît pas actuelle. Quelle que soit en effet la lettre des accords signés à Nassau entre le Président Kennedy et M. Mac Millan, quelle que soit la réserve qui se trouve officiellement contenue dans ces accords quant à la possibilité pour le Royaume-Uni d’utiliser seul ses propres armes nucléaires, je crains — pour des raisons techniques qui tiennent à l’origine de ces armes et au réseau de communications employé pour les utiliser — qu’en fait l’Angleterre ne soit pas complètement libre d’agir dans ce domaine. Il faut ajouter que l’existence d’une force unifiée franco-britannique présuppose la création d’un gouvernement des deux pays ou d’un gouvernement européen capable de prendre les décisions d’emploi. Les conditions politiques générales, l’échec de la C.E.D., la volonté de chaque puissance européenne de ne pas déléguer sa souveraineté en matière militaire me font penser que la solution dite franco-britannique appartient encore au domaine du rêve.
Si l’Europe unie a fait peu de progrès vers la construction d’une force armée, nucléaire ou conventionnelle, la France notamment ayant réservé nettement sa position, du moins devons-nous constater que, depuis trois ans, la Communauté d’abord formée de six États, a accompli son œuvre d’achèvement, s’est élargie en incluant la Grande-Bretagne, le Danemark et l’Irlande et entend poursuivre sa route qui doit mener en 1980 à une véritable union européenne, dont les contours restent volontairement flous mais qui, à la suite de la Conférence au Sommet de Paris, est devenue l’objectif capital des Neuf. Cette politique correspond entièrement aux vœux de la France tels qu’ils ont été exprimés il y a longtemps déjà par MM. Pompidou et Maurice Schumann. Elle comprend non seulement la mise en place d’un marché commun industriel et agricole, mais la recherche d’une union économique et monétaire.
Tel est le second volet de la politique française à l’égard de ses alliés, non plus atlantiques, mais européens de l’Ouest.
Le Traité de Rome et les suites qu’il comporte a eu le mérite capital d’obliger la France à ouvrir ses frontières, à se débarrasser de l’armature étouffante des contingents et des droits de douane, pour mettre sa production en contact avec celle des pays étrangers. C’est le seul moyen qui existe, compte tenu de nos institutions et du caractère de nos habitants, de provoquer une modernisation de nos entreprises, un abaissement de nos coûts de revient qui permettent à la France de sortir de l’état de faiblesse extrême où l’avait conduit, entre les deux guerres, un protectionnisme débilitant. Je suis convaincu que notre appartenance à un ensemble européen étendu, doté d’institutions libérales et faisant appel à la concurrence comme moteur de progrès, est la cause profonde de la métamorphose que nous constatons dans les conditions de vie aussi bien que dans l’état d’esprit des Français. Tout retour en arrière serait néfaste pour notre pays.
Est-ce dire que le renforcement et l’élargissement de la Communauté Économique Européenne ne vont pas se heurter à des obstacles dont d’ailleurs la France avait prévu qu’ils surgiraient devant nous ? Cela n’est pas douteux dans les rapports entre les États-Unis et une Europe unie, alliée et amie de l’Amérique, mais qui se veut indépendante. Malgré le niveau très bas du tarif commun européen, malgré le déficit commercial habituel de nombreux pays de la C.E.E. vis-à-vis des États-Unis, malgré le protectionnisme qui par de multiples voies grandit sans cesse en Amérique, Washington souhaite obtenir des Neuf la possibilité d’accroître encore les exportations américaines en Europe : soit par des réductions du tarif commun, soit par des modifications de la politique agricole commune, soit par la révision des accords de la C.E.E. avec d’autres nations en Europe et en Afrique, etc. Les Américains s’imaginent que le déficit de la balance des paiements dont souffre leur pays pourrait être comblé grâce à une attitude plus libérale de l’Europe Occidentale à leur profit. Ils commettent, à mon avis, une erreur sur la cause de ces hémorragies sans cesse grandissantes du dollar. Les chiffres sont là pour prouver qu’aucune concession commerciale obtenue, soit des pays industriels de l’Europe, soit du Japon, ne serait suffisante pour combler cet immense fossé. Vouloir modifier les mouvements de marchandises ou de capitaux pour assainir la situation c’est exactement confondre l’effet avec la cause ou, suivant l’image connue, agir sur le thermomètre pour faire baisser la température. L’existence de ces volumes considérables de dollars exportés provient de causes internes et non du mauvais vouloir des clients de l’Amérique : je veux parler des déficits énormes et répétés des différents budgets américains et du statut actuel du dollar inconvertible, qui peut être créé sans limites pour les besoins américains. Le système qui tend à rejeter sur des tiers les conséquences de gestion politique ou financière condamnables, qui de plus maintient le prix officiel de l’or à un niveau très inférieur au cours du marché, stérilisant ainsi des masses énormes de disponibilités financières, peut se perpétuer pendant un certain temps. Il n’aboutira en définitive qu’à une crise dont il est impossible de fixer ni les limites ni la date et qui atteindra le monde occidental tout entier, y compris les États-Unis. Je sais que ces vérités qui me paraissent simples ont été à maintes reprises exposées à nos amis américains, sans que leur politique en ait été modifiée. Je souhaite que, dans l’intérêt de l’Occident et des États-Unis eux-mêmes, les mesures nécessaires soient prises s’il en est temps encore. Car il s’agit d’éviter non seulement une dépression et un chômage sans précédent mais peut-être, par un retour à un protectionnisme redoutable, une transformation des conditions sociales et économiques qui ont été jusqu’à présent la source d’un extraordinaire développement.
Il existe en Europe des États qui ne sont pas liés à la France par un traité d’alliance : États neutres ou non alignés, États signataires du Pacte de Varsovie. On peut se demander si l’appartenance de ces pays au continent européen ne doit pas les amener à conclure entre eux des accords particuliers, en dehors de la Charte des Nations-Unies à laquelle tous, sauf la Suisse, ont adhéré.
Cette conception a conduit à la préparation de la Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe, à laquelle sont invités tous les États européens, à quelque catégorie qu’ils appartiennent, plus les États-Unis et le Canada, en raison de leur engagement en Europe et des forces qu’ils y entretiennent. La préparation de cette Conférence a commencé à Helsinki. La France y est représentée par son Ambassadeur en Finlande.
Depuis longtemps nous avions donné notre accord au principe d’un Traité englobant toutes les nations de l’Europe, mais il nous avait paru difficile d’entreprendre des négociations avant que fût réglée la question des relations entre la République Fédérale Allemande et la République Démocratique. C’est aujourd’hui chose faite, grâce notamment à la volonté d’ouverture vers l’Est du Chancelier Brandt que notre Gouvernement a constamment appuyée.
Que faut-il attendre des préliminaires d’Helsinki, puis de la Conférence qui vraisemblablement leur fera suite ? À Helsinki, il ne s’agit pas d’examiner le fond des problèmes, autrement dit nous écartons l’idée d’une « pré-conférence ». Nous cherchons à faire admettre un règlement comportant une procédure en trois phases :
— réunion des Ministres des Affaires Étrangères destinée à fixer les grandes orientations du futur Traité ;
— réunion de trois commissions d’experts chargés de mettre au point dans le détail le texte même du Traité en ce qui concerne la sécurité, la coopération économique, les relations culturelles et humaines entre États européens ;
— réunion finale à un haut niveau pour signer les instruments diplomatiques sur lesquels un accord aura pu intervenir.
Personnellement, je crois que nous devons nous contenter au début de dégager des principes assez généraux, une sorte de « code de bonne conduite » entre États européens agissant en dehors des blocs et s’exprimant, dans toute la mesure concevable, de façon complètement libre. Si cette première expérience réussit, nous pouvons songer à nous montrer plus précis au cours de réunions ultérieures. En tout cas, nous voulons éviter une sorte d’affrontement entre deux groupes, dont l’un serait dirigé par les États-Unis et l’autre par l’URSS. Les notions d’égalité des États et d’indépendance politique devront être à la base des échanges de vues.
C’est pourquoi la France a pensé qu’il était prématuré de s’attaquer en même temps à un autre problème qui, certes, est important pour notre sécurité : celui de la limitation des forces existant en Europe. Il est inutile d’insister sur le fait que cette question est infiniment complexe et qu’elle demandera des mois, sinon des années, pour nous permettre d’aboutir à un résultat concret. Contentons-nous donc pour le moment de rechercher ensemble un traité qui mette en pratique les notions d’entente et de coopération, consolide et développe l’atmosphère de détente dont la France depuis bien des années s’est faite le champion, non seulement en Europe mais dans le monde.
Car il suffirait de reprendre les idées, sinon le texte même des déclarations, protocoles, « énoncés des principes », communiqués qui ont été échangés entre l’URSS et la France sous l’impulsion du Général de Gaulle puis de M. Pompidou pour imaginer ce qu’on peut attendre, dans un premier temps tout au moins, d’une Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe.
La France pense en effet que les différences évidentes des politiques intérieures, des idéologies, de la forme de nos sociétés ne doivent pas empêcher l’établissement de très bons rapports entre notre pays et l’Union Soviétique. Rapports bilatéraux d’abord qui ont été grandement améliorés dans les domaines économiques, scientifiques, techniques ; consultations politiques ensuite, à tous les échelons, ministériels et administratifs. Cette même conception s’applique aux autres États socialistes européens et à la Chine populaire.
Les déplacements du Président de la République à Moscou, en Asie centrale, à Minsk, ceux de M. Maurice Schumann dans différentes capitales de l’Est européen et à Pékin, les relations confiantes qui existent entre nos missions diplomatiques et celles de ces pays sont exemplaires. Nous n’avons pas la prétention de monopoliser la détente et nous sommes heureux de voir que d’autres pays, notamment les États-Unis, l’Allemagne Fédérale, la Grande-Bretagne nous suivent dans cette voie. Les rapports de force, la situation politique mondiale, l’avènement de l’ère atomique ne nous font pas considérer comme redoutable une pareille évolution. Nous ne sommes plus en 1922 ou en 1950. Tout en restant vigilants, constatons que les conditions de Rapallo ou de la guerre froide ne sont plus aujourd’hui réunies.
Est-ce à dire que tous les problèmes se trouvent actuellement réglés ? Certes non. Si nous pouvons nous féliciter de voir enfin le cessez-le-feu signé au Vietnam puis au Laos, les troupes américaines retirées, les Vietnamiens appelés à résoudre eux-mêmes leurs problèmes internes — suivant les formules qui rappellent étrangement celles qui ont été énoncées il y a des années par le Général de Gaulle dans son discours de Pnom Penh mais qui ont été bien tardivement comprises — nous devons constater qu’il existe toujours des foyers de guerre encore menaçants. Guerres locales assurément, mais qui pourraient s’étendre et dont la France, à la fois pour des raisons humaines et en vertu des responsabilités qui sont les siennes comme l’un des cinq membres permanents de l’Organisation des Nations-Unies, souhaite voir la fin. Je ne saurais mentionner ici tous les points du globe qui sont la scène de tels affrontements. J’évoquerai simplement le fait que depuis la guerre des Six Jours de juin 1966, aucun règlement n’est intervenu pour clore le conflit, parfois sanglant, qui oppose Israël au monde arabe. Depuis le début, notre Gouvernement s’est prononcé pour l’application stricte et complète des résolutions du Conseil de Sécurité, excluant la prise de possession de territoires par la force, recommandant la reconnaissance de la souveraineté israélienne et l’application des mesures infiniment complexes concernant la liberté de navigation, le statut de Jérusalem, etc. Je crains, hélas, que les suggestions raisonnables et équilibrées que nous n’avons cessé de présenter et qui, notamment, ont inspiré l’attitude récente de nos neuf partenaires européens, ne puissent dans un délai prévisible constituer la base du règlement espéré.
Tels sont les éléments essentiels de la politique étrangère de la France en ce début d’année 1973. On peut constater que ses traits ont été profondément marqués par la personnalité et la vision du Général de Gaulle dont M. Pompidou a poursuivi la ligne générale.
Souvenons-nous toutefois que la diplomatie, comme toute autre activité humaine, ne saurait être cristallisée. Les situations sont changeantes, souvent imprévisibles, et nous devons être prêts à tout moment à « inventer » pour y faire face.
Le rideau qui s’ouvre sur la scène de 1973 nous révélera un décor dont certains aspects sont ceux-mêmes que je viens de décrire, mais dont d’autres apparaîtront sans doute comme nouveaux à ceux qui seront chargés des affaires extérieures de notre pays.
Je crois en particulier que les problèmes économiques vont dominer la situation internationale. L’expansion industrielle sans précédent que laissent entrevoir les experts et leurs statistiques, si elle est un élément de progrès, n’ira pas sans entraîner de grandes secousses : rivalités commerciales et financières entre les États-Unis et la Communauté européenne élargie, explosion du commerce japonais, entrée en scène de la Chine immense, profits énormes que vont retirer de la vente du pétrole et du gaz les pays du Moyen-Orient… Voilà les difficultés nouvelles que la France et l’Europe vont devoir affronter.
J’émets simplement pour conclure un vœu : celui qu’aucune circonstance intérieure ou extérieure ne vienne altérer les bienfaits que la France retire, et quant à l’état d’esprit de ses habitants, et quant à leurs conditions de vie, d’une politique d’ouverture de ses frontières. Autrement dit qu’elle ne soit pas contrainte de les refermer, comme elles l’étaient avant 1958, date d’entrée en vigueur du Traité de Rome. Notre pays serait alors frustré des avantages considérables qu’il est en droit d’attendre de la politique qui a été menée par son Gouvernement, grâce au travail et à l’ingéniosité de son peuple. ♦