Marine - La Jeanne d'Arc, symbole et réalité
Depuis le 18 novembre 1980, la Jeanne d’Arc court les mers en compagnie de l’escorteur d’escadre Forbin, dont cette mission est la dernière participation à la campagne de l’École d’application des enseignes de vaisseau. Il sera, en effet, prochainement désarmé et remplacé dans le groupe par un aviso-escorteur.
La Jeanne d’Arc sera de retour à Brest à la fin du mois. Sa campagne 1980-1981 était tournée vers l’Extrême-Orient, alors que la précédente avait été axée sur l’Atlantique Sud et le continent Sud-américain. Elle aura, cette année, matérialisé la présence de la France en mer Rouge, dans l’océan Indien, et visité le Sri Lanka, l’Indonésie, les Philippines, la Chine, le Japon, Hong Kong, Singapour et les Indes.
Symbole de diplomatie, de courtoisie, de représentation de la France dans le monde, la Jeanne offre aussi la dure réalité d’un bâtiment de combat moderne, dont les capacités dans ce domaine sont sans doute moins connues, ou reconnues, que ses qualités d’ambassadeur itinérant de la France.
L’imbrication, au sein d’un même bâtiment, de ces missions de formation des officiers, de présence de la France dans le monde et de missions éventuelles de combat, telle qu’elle est réalisée sur la Jeanne d’Arc, est unique au monde.
Entrée en service en 1964, l’actuelle Jeanne d’Arc a remplacé le croiseur du même nom qui, après trente-cinq années de services mouvementés, méritait une juste retraite et, surtout, ne présentait plus de réelles capacités de combat, ni les qualités nécessaires pour assurer la formation de jeunes officiers appelés à servir dans une Marine alors en pleine évolution.
Sa silhouette un peu hybride – mi-croiseur et mi-porte-avions – originale à l’époque puis copiée par le Moskwa et le Leningrad, cache un peu sa puissance et surtout son adaptabilité et sa polyvalence. Elle est, en effet, capable d’assumer des missions en haute mer, dans le pur domaine de la guerre sur mer, aussi bien que des missions contre la terre, grâce à ses capacités de transport et de mise à terre de troupes d’assaut. Son déplacement de 10 000 tonnes, sa grande autonomie, ses très vastes possibilités de logement lui permettent d’exercer indifféremment l’un ou l’autre de ces rôles.
Ses équipements opérationnels – radars de veille air et surface, sonar, contre-mesures électroniques – lui donnent les moyens d’exercer le commandement du groupe de bâtiments qui se formerait autour d’elle si la nécessité devait s’en faire sentir. Son armement propre – 6 missiles surface-surface, 4 tourelles de 100 mm – lui assure une redoutable puissance de feu.
Le système d’armes anti-sous-marin est centré sur ses hélicoptères lourds qui, au nombre de huit de type Super-Frelon dans sa version « combat », peuvent assurer aussi bien la surveillance d’une zone donnée que la protection et la défense d’un convoi ou d’une force navale engagée dans d’autres opérations. Leur remplacement par un nombre sensiblement équivalent d’hélicoptères de transport et d’assaut transforme la Jeanne d’Arc en bâtiment de débarquement moderne, capable de mettre à terre en quelques heures la valeur d’un régiment de combat.
Une modernisation-refonte du bâtiment est prévue en 1984-1985. Elle permettra une remise au dernier standard des principaux équipements et armes, ainsi que l’installation d’un système de traitement et d’exploitation automatique des données et informations tactiques. S’il en était besoin, ces travaux montreraient le souci que la Marine entend manifester pour maintenir à un niveau opérationnel élevé l’un de ses bâtiments majeurs, malgré sa participation, habituellement limitée, à des opérations ou exercices importants.
Ses programmes de campagnes successives, soigneusement mis au point avec les Affaires étrangères, la conduisent sur toutes les mers du globe, assumant ainsi une part importante de la mission de présence dans le monde qui est confiée à la Marine. La taille du bâtiment, la qualité de ses équipements et de sa présentation générale, ainsi que l’aura prestigieuse qui l’entoure, donnent à chacune de ses visites à l’étranger un poids significatif et une image de la France à la hauteur de l’intérêt que celle-ci porte aux liens amicaux qu’elle désire entretenir à travers le monde, en même temps que de l’importance qu’elle attache à se manifester dans telle ou telle partie du globe. Ses quelque 600 hommes d’équipage et les 150 officiers-élèves qui sont à bord contribuent, par leur tenue exemplaire, à maintenir cette image de marque de la France et de ceux qui la servent.
Bâtiment de combat moderne, ambassadeur itinérant de la France, la Jeanne d’Arc est aussi l’École d’application des enseignes de vaisseau.
Les officiers-élèves proviennent d’horizons très divers : École navale, École militaire de la flotte, École du commissariat de la Marine, médecins, administrateurs des affaires maritimes, sans oublier un certain nombre d’officiers représentant des marines étrangères. Aussi l’un des premiers objectifs de l’École d’application est-il de faire se connaître et rendre homogène cet ensemble de jeunes officiers, appelés au cours de leur carrière à travailler ensemble.
Il s’agit ensuite de faire franchir à ces jeunes gens le pas qui sépare « l’élève », protégé ou coupé des problèmes concrets de la vie, de l’officier qui devra faire face aux responsabilités de son état. Une campagne de quelques mois, loin du quotidien et des routines de la terre, leur donnera cette occasion de réfléchir, de méditer et de mûrir, tout en leur apprenant à vivre cette part importante de leur métier que constituera toujours, où qu’ils soient, leur rôle de représentant de la France.
Encadrés par des officiers, qui à leur rôle d’instructeurs ajoutent celui de chef de service d’une unité opérationnelle, ils seront, pendant la durée de leur embarquement, confrontés à l’organisation et au fonctionnement du bâtiment, tout en approfondissant leur formation sur des matériels performants et en service sur la plupart des unités.
Ce sera aussi leur première occasion d’observer pendant plusieurs mois la vie des hommes qu’ils auront prochainement à commander. Cette vie de marin, à laquelle ils se préparent, leur sera présentée sous ses multiples aspects, avec les moments privilégiés d’une campagne outre-mer, mais aussi avec la découverte des difficultés et des servitudes du service.
Cette halte dans la course au savoir sera le départ vers une vie où leur personnalité progressivement affirmée pourra s’épanouir à leur propre profit, mais aussi à celui des hommes qui leur seront confiés pour le service du pays.
L’instruction proprement dite n’est pas destinée à faire des officiers-élèves des spécialistes dans tel ou tel domaine. Elle s’attache à leur donner les connaissances essentielles que doit posséder tout officier dans les nombreuses disciplines où il peut être appelé à servir, en insistant particulièrement sur celles qu’il rencontrera dans les fonctions d’officier chef de quart, officier de garde, officier chef de service.
À l’issue de la campagne, affecté sur une unité importante ou plus modeste, promu enseigne de vaisseau de 1re classe ou au grade équivalent dans son corps d’origine, l’ancien Midship entrera alors dans la vie active armé des connaissances indispensables pour qu’il puisse très rapidement prendre sa part de responsabilité dans l’état-major de son unité.
Bâtiment de combat de premier rang, symbole de la présence française dans le monde, support de la formation des officiers, telles sont les trois facettes de la Jeanne d’Arc. Son activité peut paraître mystérieuse, incompréhensible, voire même de peu d’intérêt pour qui ne la voit que de la terre … mais ce sont ces longues traversées et ces visites multiples qui formeront des officiers prêts à servir et à combattre que la Marine et la France pourront accueillir dès leur prochain retour à Brest. ♦