Le déporté
Profondément émouvant, mais surtout extrêmement précieux, est le témoignage que Jean Mialet nous donne de ses vingt mois de déportation, trente-six ans après en être revenu, encore vivant contre toute attente. Dans l’atroce hiérarchie des horreurs subies par les déportés, un rang spécial revient au lieu où il a souffert – le tunnel de Dora destiné à la fabrication des V1 et V2 – et à l’époque de son martyr, celle des numéros « 20 000 » dont les survivants ont connu l’épreuve de deux hivers cruels. Souffrances et brutalités, résignation mais refus d’accepter la déchéance, désespoir surmonté et espérance indestructible, volonté de tenir et d’aider les autres, telle est l’atmosphère tragique qu’il restitue grâce à des « mémoires » écrits en 1945, à l’hôpital, en sortant du drame, et utilisés par lui seulement aujourd’hui.
Ce recul permet à l’homme de pensée et de culture, inséparable de l’homme de cœur et de combat, de dégager les réflexions fondamentales suscitées par l’expérience inhumaine vécue jadis par l’élève-officier vigoureusement attaché à son système de valeurs traditionnelles, religieuses, patriotiques, familiales et militaires : constatation qu’une telle barbarie, toujours possible, loin d’être l’apanage d’époques révolues et de peuplades lointaines, a pu se développer de notre temps et au centre de la vieille Europe ; estime et affection à l’égard de tous les éléments constituant, dans son unité et sa diversité, le peuple français, et volonté de substituer à la tendance à l’affrontement et à la désunion le goût de la rencontre et du dialogue, de la compréhension et de l’aide mutuelle ; conflit entre la nécessité d’une perception lucide du mal pour en combattre le retour, l’emprise et l’honneur, et l’obligation rappelés par le Christ de pardonner « jusqu’à soixante-dix-sept fois » les fautes commises par un frère ; c’est cette pensée élevée qui clôt ce très beau livre, dont le sous-titre significatif est précisément : « la haine et le pardon ». ♦