Défense en France - Le nouveau style de la défense : changement dans la continuité ?
Après la victoire du Parti socialiste aux élections de juin 1981, le gouvernement de M. Mauroy dispose à l’Assemblée nationale d’une majorité qui lui confère une totale liberté d’action pour mettre en œuvre sa conception de la Défense. Est-ce le changement ou la continuité qui l’emportera en ce domaine ? Les premières mesures prises ne fournissent pas d’indications permettant de répondre avec certitude à cette interrogation. Tout au plus serait-on tenté de dire qu’il s’agit pour l’instant d’un changement dans la continuité.
L’un des premiers gestes du nouveau ministre de la Défense a été d’octroyer deux voyages gratuits aux appelés pour leur permettre d’accomplir, lors des élections, leur devoir de citoyens – j’allais dire de « soldats-citoyens » pour reprendre le titre d’un ouvrage que M. Charles Hernu [NDLR : le « nouveau ministre de la Défense » dont parle l’auteur] publia jadis et dans lequel il exposait sa conception de la Défense, une conception qu’il entend ne pas renier, comme il l’a rappelé aux journalistes qu’il recevait le 10 juin.
Parmi les premières mesures prises par le nouveau ministre, citons d’abord celles par lesquelles il entend apurer le contentieux passé :
– réexamen du dossier du Larzac [NDLR : référence au mouvement de désobéissance civile non-violente contre l’extension d’un camp militaire dans le Larzac] et interruption de l’extension du camp pour s’orienter vers une solution négociée, mesures qui ont été accueillies avec plus de faveur par les écologistes que par les militaires, soucieux de l’entraînement des unités mécanisées et blindées ;
– levée des sanctions et participation à la rédaction de la loi d’amnistie, geste d’apaisement compréhensible au début d’un nouveau septennat ;
– retour aux décrets sur les salaires dans les arsenaux ; ceux-ci seront donc indexés, comme par le passé, sur le secteur métallurgique de la région parisienne ; autre mesure qui sera également bien accueillie par les ouvriers des arsenaux : celle du report de la décision de fabriquer une partie des nouveaux fusils automatiques Famas dans les usines de la Manurhin ;
– plus généralement, on fait état, au ministère de la Défense, du « rétablissement » du dialogue tant avec les syndicats qu’avec les militaires. Dans cet ordre d’idées, il faut citer l’audition des syndicats par le ministre et la convocation, le 24 juin, du Conseil supérieur de la fonction militaire. S’il montre une volonté de dialogue, M. Charles Hernu ne paraît pas disposé pour autant à céder à d’éventuelles pressions démagogiques de nature à ébranler l’autorité du commandement et la discipline des armées. Il a bien précisé, lors de sa participation au débat télévisé du 22 mai dernier, à l’occasion de la projection du film sur Patton (général d’armée américain), qu’il n’admettrait pas la constitution de comités de soldats. Il veillera par contre au fonctionnement régulier des commissions régimentaires qui existent déjà et qui associent les appelés à la bonne marche des affaires les concernant, comme celles de l’ordinaire, des foyers, des loisirs, etc.
Parmi les mesures concrètes qui ont marqué le début de l’activité du nouveau ministre, il faut citer aussi l’obtention par lui, lors du conseil des ministres du 10 juin, d’une partie des 50 000 emplois nouveaux créés par le gouvernement dans la fonction publique, avec 1 000 postes supplémentaires de gendarmes, dont 120 femmes et 10 assistantes sociales. Le ministre a également amorcé diverses mesures concernant l’arme de la gendarmerie : création d’un poste de général de corps d’armée et d’un poste supplémentaire de général de brigade, modification à venir de la tenue des officiers généraux de la gendarmerie, assouplissement du règlement de l’arme, de façon à permettre aux gendarmes de disposer de quatre semaines de permission et d’un repos hebdomadaire de 48 heures.
C’est également à la suggestion du ministre de la Défense que les manifestations du 14 juillet ont été décentralisées dans les sièges des six régions militaires ainsi qu’à Marseille et à Strasbourg. Fait symbolique également : un certain nombre d’appelés et de sous-officiers ont été invités à la réception offerte par le président de la République après le défilé du 14 juillet.
Parmi les autres mesures à l’étude, citons la suppression des tribunaux permanents des forces armées, qui devraient être remplacés, annonce-t-on dans l’entourage du ministre, par des juridictions civiles spécialisées dépendant du ministère de la Justice et dont la compétence serait limitée aux infractions strictement militaires, tandis que les autres infractions jugées actuellement par les tribunaux militaires relèveront désormais des juridictions de droit commun.
Notons encore que si le président de la République a visité un Salon de l’aéronautique au Bourget dont les armes avaient été bannies, le Premier ministre assistant à la clôture du même Salon y a affirmé, à propos des engins tactiques et systèmes d’armes, que « la réussite des programmes en cours nous engage(ait) à poursuivre nos efforts en coopération avec les autres pays européens, ou à défaut dans le cadre national » et que « le premier objectif de l’industrie aérospatiale française (devait) être de réaliser des matériels nécessaires pour assurer à notre pays une défense indépendante », propos qui ont apparemment recueilli une large approbation. Il en est sans doute de même des propos de M. Charles Hernu au débat télévisé déjà cité, dans lequel il s’est déclaré en faveur de la construction de deux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) supplémentaires. M. Charles Hernu s’est aussi rendu à l’Exposition de Satory [NDLR : salon international annuel consacré à la Défense] où il a déclaré entre autres : « Si nous sommes attachés à tout le désarmement possible dans le monde, ce désarmement ne saurait s’accompagner de sécurité moindre pour la France, et le matériel que nous avons pu voir dans cette exposition permet de satisfaire tous les besoins d’une armée moderne ».
Ainsi donc signes de continuité, comme la visite à Taverny du président de la République accompagné de M. Charles Hernu, et symboles de changement coexistent pour l’instant. Les véritables choix restent encore à venir. Comme le disait une précédente chronique, la préparation du budget de la Défense pour 1982 et, plus encore, celle de la prochaine loi de programmation militaire, destinée à prendre le relais en 1983 de celle votée en 1976 et expirant fin 1982, devrait montrer clairement quelle sera la politique de Défense au cours du nouveau septennat. ♦