Afrique - Sénégambie : illusion ou nécessité ? - M. Jean-Pierre Cot en Afrique : la France doit concentrer ses efforts sur ses amis traditionnels
Une nouvelle tentative de coup d’État est survenue à Banjul (Bathurst) durant les tout derniers jours du mois de juillet 1981, alors que le président Jawara se trouvait à Londres pour assister au mariage du prince héritier de la couronne britannique. Cet événement attire de nouveau l’attention sur la petite Gambie et, à travers ses problèmes, sur l’équilibre de la partie de la côte occidentale de l’Afrique allant de la Mauritanie à la Sierra Leone et où se glissent, au milieu de territoires francophones qui furent longtemps rivaux, une ancienne colonie portugaise, la Guinée-Bissau, et une vieille possession britannique, la Gambie, deux territoires dont les régimes politiques sont peu conciliables. Les problèmes frontaliers que l’on sait si difficiles à résoudre en Afrique y sont d’autant plus insolubles que deux de ces pays, la Gambie et le Sénégal, ont une composition ethnique presque identique, des dispositions géographiques complémentaires, des options politiques analogues, des régimes équivalents et n’ont de différence que l’empreinte laissée par leurs colonisateurs respectifs. La similitude de ces conditions contraint le plus petit d’entre eux à vouloir cohabiter avec son homologue dans un ensemble plus vaste où il pourrait resserrer ses liens avec celui-ci, tout en s’assurant une protection contre une emprise trop étouffante. Le président Jawara s’est employé à dessein, durant les années passées, à réconcilier le Sénégal de M. Senghor avec la Guinée de M. Sékou Touré. Il témoigna dans sa diplomatie d’une patience et d’une persévérance qui furent couronnées de succès, sinon dans le fond du moins dans la forme, puisque Conakry (capitale de la Guinée) fut associé au projet d’équipement du fleuve Gambie. Le projet, un peu trop ambitieux pour n’être pas longuement mûri, aurait pu continuer à s’élaborer avec la seule participation de Dakar et de Banjul ; en adjoignant la Guinée, Sir Dawda Jawara évitait un tête à tête qui serait devenu rapidement trop intime.
La complexité des relations entre le Sénégal et la Gambie provient d’un contentieux historique, aggravé par une situation économique qui fait de cette ancienne enclave britannique, délimitée par un traité de 1783, une sorte de parasite de l’agriculture sénégalaise, une partie de la production d’arachides du Sénégal étant écoulée par le fleuve Gambie sur Banjul où elle est traitée au profit de la zone sterling. Certes, les Gambiens, habitants d’un pays agricole dont les terres cultivées couvrent 23 % du territoire, se consacrent presque exclusivement à la culture de cette graine (79 % de la population active), mais les rendements à l’hectare obtenus par ce pays, et qui sont supérieurs de presque 100 % à la moyenne africaine, ne peuvent s’expliquer que par des infiltrations frontalières. Les 150 000 tonnes d’exportation d’arachides représentent 22 % du PNB (Produit national brut) et constituent, avec le tourisme, la principale source de revenu ; la balance agricole fait apparaître un solde positif qui atteint le chiffre exceptionnel de 28 % du PNB. Les nombreuses tentatives pour mettre fin à cette anomalie ont échoué durant la période coloniale, notamment entre les deux guerres : à plusieurs reprises, des conversations amorcées furent interrompues devant les exigences anglaises, puis définitivement abandonnées sous un prétexte de moralité, des populations de formation britannique ne pouvant être décemment absorbées par une majorité modelée par la France. En réalité, la lutte entre les compagnies françaises et anglaises spécialisées dans l’exploitation des corps gras, encore peu importantes à cette époque, était engagée. Cette rivalité demeure et explique en partie pourquoi, en 1965, le président Jawara, contrairement aux recommandations de l’ONU, refusa de constituer avec le Sénégal, indépendant depuis cinq années, une fédération dont l’existence n’aurait pu que mettre un terme à cette situation. Cependant, le souci de maintenir l’indépendance nationale ne l’a pas conduit à doter son pays d’une Armée solide. Avec 400 gendarmes mal équipés et 300 policiers, le gouvernement gambien pouvait malaisément assurer l’ordre dans un pays où le multipartisme favorisait plus qu’il ne contenait les tensions politiques. Sir Dawda jugea d’ailleurs prudent de signer avec Dakar, en 1967, un accord de défense dont il crut compenser les effets en entretenant des liens étroits avec Conakry et, plus tard, en amorçant des relations moins confiantes avec Bissau, dont le gouvernement donnait asile aux plus irréductibles des opposants gambiens.
Favorable à un régime parlementaire où les différentes tendances de l’opinion seraient capables de s’exprimer, le président Jawara, qui dirige le Parti progressiste du peuple (PPP), au pouvoir depuis l’indépendance, a autorisé la création de trois mouvements concurrents : le Parti de la libération nationale (NLP), le Parti Uni (UP) et le Parti de la convention nationale (NCP). Ceux-ci regroupent des clientèles différentes de la sienne et ont la possibilité de s’exprimer librement. Le NCP est dirigé par M. Cheriff Dibba, ancien vice-président de la République qui, depuis qu’il fut contraint à la démission, cherche à entamer l’électorat mandingue où recrute le PPP, et constitue l’opposition légale la plus dynamique.
Il reste 78 % de l'article à lire
Plan de l'article