Les lois de la guerre sont souvent considérées comme un accessoire de la guerre, plus ou moins bien accueilli par les belligérants et dont l’importance dans la réalité militaire est des plus limitées. Cette idée est fausse. Si paradoxal que cela puisse paraître, la guerre, dans sa notion comme dans sa réalité, baigne dans le droit international.
Le droit de la guerre, en effet, intervient dès le temps de paix dans l’organisation de la défense et dans la structure des forces armées, il imprègne la conception de la guerre, il influe sur le contenu des plans stratégiques, sur le choix des moyens de guerre et sur leur mise en œuvre, sur la délimitation des objectifs, sur la conduite des hostilités, sur la fixation des buts de guerre. Bref, tant pour ses moyens que pour ses fins, la guerre est liée au droit international.
La compréhension de la nature et de la portée véritables des règles du droit de la guerre, ou, comme on dit communément aujourd’hui, du droit des conflits armés, est généralement obscurcie par une série de préjugés, de malentendus et de confusions, qui paraissent d’autant plus tenaces qu’ils sont partagés même par des juristes. Par des notions et appellations suggestives mais contestables, telles que « droit humanitaire » ou « règles pour la protection des victimes de la guerre », qui visent des aspects partiels de ce droit, on prétend saisir sa totalité et en caractériser l’essence ; en vérité, on minimise la valeur exacte et l’importance pratique de ces normes, on en dénature le sens et en déforme le rôle. Le résultat est que, aux yeux des gouvernants et des états-majors des forces armées, comme aux yeux de l’opinion publique, la portée réelle du droit de la guerre sur le plan militaire paraît extrêmement réduite.
L’objet de cet article est de prouver la fausseté de cette vue traditionnelle et de démontrer que, parmi les qualités du droit de la guerre, son caractère stratégique n’est pas le moins essentiel. Par le terme « caractère stratégique », nous entendons ici simplement le fait de former un élément obligatoire de la stratégie. Parler du caractère stratégique du droit de la guerre, ce n’est donc pas affirmer que ce caractère appartienne aux lois de la guerre par leur nature, par leur origine. Cela n’est vrai, historiquement, que pour une partie de ces lois, celles qui sont issues des « usages de la guerre ». Pour la plupart des règles internationales de la guerre, il pourrait sembler plus correct de parler de conséquences ou d’incidences sur la stratégie, au lieu de « caractère stratégique ». Cependant, cette distinction intéresse l’historien et le théoricien du droit de la guerre. Elle est sans importance si l’on considère le corps des règles du droit de la guerre dans son ensemble et si l’on envisage, comme nous nous proposons de le faire, l’action et la fonction actuelles de ces règles sur le plan militaire. Dans cette optique, l’emploi du terme de caractère stratégique, appliqué collectivement à ces normes, est justifié.
Nous prétendons donc seulement ceci : Dans l’élaboration des plans touchant la conduite générale de la guerre, le droit international est un élément aussi réel que les facteurs humains, matériels, géographiques, économiques, diplomatiques et politiques qui délimitent, déterminent et structurent le contenu de ces plans. Avec, toutefois, cette différence importante que les règles du droit de la guerre ont le caractère d’universalité propre au droit international. Attirer l’attention sur le lien existant entre le droit public et la stratégie, cela n’a rien de nouveau. Quoi de plus banal que la constatation que l’organisation militaire d’un État, notamment le système de recrutement de l’armée, est le facteur le plus décisif de la stratégie, et un des facteurs les plus caractéristiques de l’histoire militaire universelle ? Or, l’organisation militaire d’une nation, c’est du droit public par excellence. S’agissant du droit international public, l’affirmation de son caractère stratégique, au sens non doctrinal où ce terme est utilisé ici, ne saurait paraître nouvelle que par rapport à la méconnaissance générale entourant la nature du droit des gens, et en particulier du droit de la guerre.
Le droit est inhérent à la guerre
Données ou normes ?
Le caractère stratégique des règles du droit de la guerre
Le droit de la guerre, arme et armure
Fonction et action stratégique du droit de la guerre
Le principe de modération
Limitation quantitative du droit d’action de force
Limitation qualitative du droit d’action de force
Limitation politique
Le principe d’humanité et le principe de civilisation
Neutralité
La paix
Les armes nucléaires et le droit de la guerre
Sanction du droit de la guerre
Limites du droit de la guerre