Afrique - Bab-el-Mandeb (détroit séparant Djibouti et Yémen) : la porte étroite - Un pacte d'assistance militaire en Afrique de l'Ouest
Le détroit de Bab-el-Mandeb est bordé d’États dont la stabilité reste mal assurée, soit que leur conservatisme ne tienne pas compte de l’évolution générale du monde, soit que leur progressisme se fonde sur une idéologie qui s’épuise à chercher le terrain le plus apte à recevoir ses racines, soit enfin que les rivalités arabes favorisent la dérive, dans certains de ces États, de territoires que le pouvoir central n’a jamais pu historiquement intégrer. Depuis la réinstallation égyptienne sur la rive asiatique du canal de Suez, l’ouverture méridionale de la mer Rouge vers l’océan Indien reprend tout son intérêt stratégique : s’ils parvenaient à le contrôler, les pays arabes qui s’opposent à l’Égypte pourraient, à l’occasion, faire perdre à ce pays le bénéfice qu’il trouve à mener jusqu’au terme l’application des accords de Camp David. Dans ce contexte général, les Yémen, la Somalie et l’Éthiopie connaissent des situations qui méritent chacune une analyse particulière.
En République arabe du Yémen (RAY), ou Yémen du Nord, la densité de la population dépasse 35 habitants au km2, une des plus importantes de la péninsule. Les quelque 7,5 M d’habitants étaient employés pour 76 % dans l’agriculture ; cette activité paraît de moins en moins florissante ; les hommes vont donc chercher du travail dans les secteurs pétroliers d’Arabie saoudite ou des Émirats voisins qui reçoivent plus d’1,5 M (seulement 500 000 en 1977 !) de travailleurs yéménites. Toutes les cultures sont donc en régression ; la balance agricole est négative en ce qui concerne les produits alimentaires alors qu’elle était excédentaire jusqu’à 1975. Les deux principales cultures d’exportation (coton et café), dont les valeurs additionnées représentent les trois-quarts des exportations, voient également leur production baisser (pour le coton, 63 % des chiffres de 1977, soit 27 000 tonnes). Toutefois, malgré un lourd déficit de la balance commerciale, la balance des paiements présente un fort excédent grâce aux surplus de la balance des services et des transferts, autrement dit grâce aux fonds rapatriés par les travailleurs émigrés. Ces quelques chiffres sont donnés en vue d’illustrer notre propos sur un pays assez peu connu de l’opinion française. Il faut ajouter que, afin de maintenir en place, à Sanaa, un gouvernement qui leur soit favorable, les États pétroliers de la péninsule fournissent à la RAY une aide massive qui sert non seulement à combler les déficits budgétaires, en particulier à alimenter le budget de la Défense, mais aussi, depuis 1978, à financer dans une large proportion les deux plans quinquennaux destinés à développer les infrastructures routières, énergétiques et sociales. Dans ces domaines, des progrès sensibles ont été obtenus grâce à la manne venue de l’étranger pour protéger le régime féodal qui assure, selon les Émirs, l’équilibre politique du pays et de la péninsule. Bref, les États fortunés du Golfe entretiennent le Yémen, relativement peuplé mais ne disposant pas de ressources pétrolières, afin que cette nation ait l’impression de vivre sur le même pied qu’eux. Ils le font de deux manières : en fournissant du travail, donc de l’argent, à la population ; en soutenant financièrement les privilèges de la classe associée au gouvernement de Sanaa.
Leur crainte vient de ce que la partie du Yémen concédée aux Britanniques après l’occupation turque par le Traité de 1934 est devenue la République démocratique du Yémen (RDY). Celle-ci occupe en effet le Sud-Est de la péninsule ; elle possède le seul port valable, Aden ; elle s’est dotée d’un régime soutenu par l’URSS et Cuba ; elle pratique enfin un socialisme scientifique d’autant plus rigoureux qu’il se sent conforté depuis que l’Éthiopie voisine, considérée comme l’État le plus puissant de la région, a adopté une idéologie apparentée à la sienne. La RDY, elle aussi, tire un certain avantage de l’émigration : près de 500 000 Sud-Yéménites, sur une population inférieure à 2 millions, travaillent dans les États pétroliers du Golfe et rapatrient une partie de leur salaire. Les sommes ainsi rentrées, jointes aux revenus des exportations de pétrole raffiné, ne parviennent pas à résorber le déficit d’une balance des paiements que le gouvernement a renoncé d’ailleurs à rendre publique. Les Émirats se montrent moins généreux à l’égard d’Aden, zone contaminée sans rémission, croit-on, par le virus marxiste, qu’envers Sanaa que l’on désire protéger de la contagion. Car, bien qu’elle soit aussi fragile que sa voisine du Nord, la RDY ne cache pas qu’elle aide le « Front national démocratique » (FND), mouvement clandestin, à entretenir l’insécurité sur presque tout le territoire de la RAY. La signature d’un Traité de réunification, en 1979, comme la visite du président Ali Abdallah Saleh à Moscou en octobre 1981, n’a servi en réalité qu’à permettre au gouvernement de Sanaa de faire monter les subsides que lui accordent Ryad et les autres Émirats du Golfe. Il n’a eu aucun autre effet pratique, pas plus du reste que les propositions de négociation faites périodiquement au FND n’ont arrêté les exactions de ce mouvement. Celui-ci, selon sa propagande, vise davantage à assurer l’indépendance d’un pays vendu par ses féodaux à l’Arabie saoudite qu’à transformer l’idéologie du régime ; mais les Saoudiens ne s’y trompent pas : sans leurs aides financière et militaire et sans la complicité des féodaux, Moscou trouverait à Sanaa de meilleurs sympathisants qu’à Aden. Les rebelles paraissent circuler sur l’ensemble du territoire et, adossés à la frontière sud-yéménite, ils semblent tenir solidement un secteur situé aux environs d’Al Baïda, au Nord-Est de Taez. Le Sud-Yémen, protégé de l’URSS et de Cuba, contrôle le PUP (Parti de l’unité populaire yéménite), noyau du Front le plus ouvertement marxiste, dont trois des principaux dirigeants siègent au Bureau politique du Parti gouvernemental de la RDY. Toutefois la Libye et la Syrie, par opposition au gouvernement de Sanaa, soutiennent, au sein du FND, des mouvements à caractère plus religieux et plus nationaliste. De même, les Chiites iraniens cherchent à pénétrer le Zeïdisme, secte à laquelle appartient près de 40 % de la population. C’est pourquoi, bien que la religion constitue un contrepoids à l’influence marxiste, c’est une arme dont le gouvernement de la RAY ne peut guère user sans risques.
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