Défense dans le monde - Les forces armées et la normalisation en Pologne
Le 31 décembre 1982, le général Jaruzelski a suspendu l’état de siège et libéré un grand nombre de personnes interpellées ou internées depuis un an. Parmi ceux qui sont restés privés de liberté figurent notamment sept des dirigeants du Comité d’autodéfense sociale (KOR).
Ces décisions traduisent sans doute la certitude du gouvernement d’être en mesure de maîtriser toute manifestation d’hostilité susceptible d’éclater dans le pays, mais également la reconnaissance du danger potentiel que continue de représenter l’opposition liée étroitement à la direction de Solidarité (Solidarnosc). Elles visent probablement aussi à essayer de désamorcer les principales critiques du monde occidental à l’égard des dirigeants de Varsovie. Mais elles ne peuvent en fait masquer une situation intérieure caractérisée par l’absence d’adhésion populaire, qui oblige le gouvernement polonais à prolonger son recours aux unités de la milice pour assurer un ordre public souvent menacé, et aux forces armées pour tenter de reconquérir les esprits.
Si les formations de l’Armée polonaise ne participent plus guère aux missions de contrôle dans les grands centres urbains ou sur les principaux axes routiers, les forces de la Milice et la ZOMO (réserves motorisées de la Milice) restent pour leurs parts omniprésentes. Les contrôles de police s’exercent toujours avec rigueur sur l’ensemble du pays.
Les effectifs de la ZOMO qui ont été augmentés de près de 50 % par rapport à 1981, sont actuellement maintenus à ce niveau élevé par rappel de réservistes et incorporation de nouvelles recrues. Bien rodées aux actions de prévention et de répression des manifestations depuis la déclaration de l’état de siège, ces forces ont fourni la preuve qu’elles étaient à la fois efficaces et suffisantes pour contrer toutes les tentatives de Solidarité. Leur action dans les milieux clandestins de l’ex-syndicat a obtenu des résultats non négligeables si l’on en croit les déclarations officielles du ministère de l’Intérieur polonais.
Dans ces conditions, le retour de la quasi-totalité des unités militaires dans leurs garnisons respectives pouvait s’effectuer d’autant plus normalement que c’est à une autre mission que se voit appelée l’Armée populaire polonaise : la reconquête des esprits.
Pour cela, l’Armée s’est tout d’abord efforcée d’obtenir par elle-même une évaluation détaillée de la situation du pays sur les plans économique, psychologique et politique. Cette tâche a été menée dès octobre 1981 par les groupes opérationnels régionaux (TGO), qui se sont répandus à travers la Pologne pour informer les autorités centrales des réalités, dénouer les problèmes locaux et vraisemblablement préparer le coup de force du 13 décembre 1981.
Ces groupes de militaires, toujours en fonction actuellement, agissent semble-t-il en véritables missi dominici, munis de pouvoirs administratifs étendus. Ils constituent sans aucun doute le meilleur outil du gouvernement pour appréhender les réactions spontanées au niveau des organisations sociales et économiques, dans les zones rurales et les centres urbains de faible importance. Le satisfecit qui vient de leur être accordé par les comités de défense des voïvodies témoigne à l’évidence de leur réussite.
La deuxième partie de la mission confiée aux forces armées est la revitalisation des structures de base du parti. À ce titre, des conférences d’autocritique du Parti ouvrier unifié polonais (POUP) se sont déroulées ces dernières semaines à tous les niveaux de la hiérarchie militaire. Tout récemment, celle qui réunissait les responsables de l’état-major général à Varsovie concluait à la nécessité de renforcer l’autorité du parti au sein de l’armée et soulignait le rôle qu’étaient appelés à jouer les personnels militaires dans les « journées rencontres » organisées au profit de la jeunesse.
De son côté le Conseil de la jeunesse de l’armée polonaise, placé sous la présidence du général Henryk Koczara, conviait le 16 décembre 1982 les jeunes gens sous les drapeaux, appelés ou engagés, à redonner vie à « l’Union de la jeunesse socialiste de Pologne (ZSM) ».
Ainsi le général Jaruzelski réaffirme sa confiance dans les forces armées, à un moment où il estime avoir franchi une première étape dans la normalisation de la situation intérieure polonaise. Milice et Armée ont été incontestablement les principaux artisans du succès du pouvoir. Elles continueront l’une et l’autre à préserver cet acquis initial, dont la fragilité impose encore leur maintien au niveau des comités de défense des voïvodies et à la tête des grandes entreprises industrielles. Mais leurs méthodes et leurs moyens, bien adaptés à la répression brutale, le seront certes beaucoup moins à une stratégie de « normalisation douce » condamnée à rencontrer pour longtemps encore l’hostilité latente de la majorité des Polonais. ♦