Défense dans le monde - Afghanistan : An III
Le 27 décembre 1982 a marqué le 3e anniversaire du gouvernement Babrak Karmal et de la présence soviétique en Afghanistan.
Trois années de présence, mais aussi trois années de lutte contre une résistance qui ne désarme pas mais qui ne semble pas trop inquiéter le régime de Moscou. Celui-ci ne daigne pas augmenter de façon significative ses forces et donne l’impression de se satisfaire de ce que d’aucuns jugent être un enlisement, ou une impasse.
Sur le terrain, la situation est la suivante :
L’ensemble des experts occidentaux estiment les forces soviétiques en Afghanistan à 105 000 hommes, appartenant aux deux armées de terre et de l’air. À ces 105 000 h, il faut en ajouter 35 000 stationnés en territoire soviétique mais suffisamment près de la frontière afghane pour intervenir, au côté de leurs camarades occupants, en cas de besoin.
Les erreurs du début de la campagne : mauvaise préparation du personnel, inadéquation des matériels au terrain et à ce type particulier de combat ont été rectifiées. Il n’en demeure pas moins que la pesanteur du système soviétique reste omniprésente et interdit toute initiative tant aux cadres qu’à la troupe dans un combat de contre-guérilla qui en réclame beaucoup.
Si les personnels des unités aéroportées et des brigades d’assaut par air constituent une infanterie de choix, ce n’est pas le cas des fusiliers motorisés qui répugnent même à débarquer de leurs véhicules. En conséquence, l’état-major soviétique aura recours à l’armée afghane ou plutôt à ce qu’il en reste pour avoir une infanterie de première ligne. Cette armée, qui comptait une centaine de milliers d’hommes en 1978, n’en compte plus aujourd’hui que 25 000, autrement dit les anciennes structures qui existent toujours sont la plupart du temps des structures vides, que même les nouvelles mesures de conscription n’arrivent pas à remplir. Les seules forces sur lesquelles le gouvernement peut s’appuyer sont les milices. C’est parmi leurs membres que sont recrutés les agents chargés d’infiltrer les Moudjahidines ou de déstabiliser certaines tribus frontalières.
Les forces soviéto-afghanes fortes de 130 000 h soutenus par des moyens aériens, avions et hélicoptères, qui leur confèrent une supériorité aérienne « de fait » s’opposent à 120 000 ou 150 000 Moudjahidines dont le moindre défaut est le manque d’unité. Les doigts des deux mains ne suffisent pas pour dénombrer les nombreux mouvements de résistance. Quoiqu’il en soit, chacun met en ligne un certain nombre de combattants, qui, bien que de valeur très inégale, n’en tiennent pas moins en échec leurs adversaires.
En effet, les forces de la résistance constituent une infanterie légère de choix parfaitement adaptée au milieu montagnard et à la guérilla. Agissant à partir de zones-refuges, les Moudjahidines s’efforcent de désorganiser les forces adverses, en coupant leur flux logistique et en faisant régner, depuis l’année dernière, l’insécurité au cœur même des villes. À la guérilla « classique », ils ont ajouté la guérilla urbaine avec son cortège de plastiquages, de fusillades et de prises d’otages. Cette situation nouvelle a obligé les Soviétiques à changer leurs méthodes de combat.
Jusque-là, ils s’étaient contentés de combattre l’ennemi dans les zones vitales pour leur économie (gisements de pétrole et de gaz de la région de Mazar-I-Sharif), le long du cordon ombilical Douchanbé-Kaboul et sur la route circulaire avec quelques opérations de plus grande envergure dans le Panshir par exemple. Désormais, et cela s’est vérifié au cours de ces 3 ou 4 derniers mois, il leur faut aller plus loin et s’en prendre à la population qui, dans de nombreux cas, apporte son soutien à la résistance. C’est ainsi qu’a été inaugurée cette politique de la « terre brûlée » qui a fait ses preuves dans la moyenne vallée du Panshir et dans les villages du Nord et Nord-Est de Kaboul. Celle-ci a porté très vite ses fruits ; villages détruits, récoltes brûlées, troupeaux décimés ont fait fuir les habitants qui se sont réfugiés dans les grandes villes ou à l’étranger. Les Moudjahidines, pour leur part, s’enfoncent de plus en plus loin au cœur des massifs montagneux afghans ou s’infiltrent en profitant des mouvements de population au cœur des villes où ils peuvent alors continuer leur combat.
Enlisement… Impasse… Équilibre voulu par une Union soviétique qui trouve son compte dans un conflit peu coûteux qu’elle contrôle et qui lui sert à entraîner ses cadres et ses hommes en vraie grandeur et d’où les travaux d’infrastructure importants entrepris le prouvent – elle n’a nullement l’intention de se retirer… La solution d’un tel conflit ne pourrait alors être que politique, à moins que cet équilibre précaire ne soit rompu par les Moudjahidines eux-mêmes, dans l’hypothèse où ils recevraient une grande quantité d’armes, antiaériennes par exemple.
Tout serait alors remis en question et les Soviétiques seraient contraints de revoir à nouveau à la fois leur stratégie et leur tactique. En ce début de 1983, il ne semble pas que l’on en soit encore arrivé là ! ♦