The Military Balance 1983-1984
Comme d’habitude à pareille époque, l’Institut international d’études stratégiques (IISS) de Londres publie son ouvrage annuel dont le titre pourrait se traduire par « L’équilibre militaire en 1983-1984 », et qui est en fait un inventaire arrêté au 1er juillet 1983 des forces militaires des différents pays du monde, suivi d’un certain nombre de tableaux comparatifs des moyens nucléaires, des dépenses de défense, des accords de livraisons d’armes, avec in fine plusieurs analyses, l’équilibre Est-Ouest en Europe dans le domaine des armements conventionnels, des bâtiments de guerre, dans celui des tendances démographiques comparées entre pays de l’Otan et pays du Pacte de Varsovie et enfin une brève étude des tendances économiques actuelles et de leurs conséquences sur les budgets militaires.
Dans la première partie, en tête de chaque grand pays, de chaque grande alliance ou de chaque grande région du monde, on trouve un bref commentaire donnant un aperçu des évolutions en cours ainsi que le point sur les accords et les alliances régionales. Pour les États-Unis, on constate ainsi une diminution du nombre des missiles intercontinentaux en raison du retrait progressif des vieux missiles Titan. Par contre, par rapport à 1983, on voit augmenter le nombre des sous-marins nucléaires lance-missiles. 44 bombardiers B-52 sont retirés du service et il est fait état d’une modernisation des radars de défense aérienne et spatiale. Pour les forces conventionnelles, il a été créé un nouveau commandement appelé CENTCOM qui a remplacé la Rapid Deployment Joint Task Force, mais la plupart des unités affectées à ce commandement sont également prévues pour renforcer le front Otan en Centre Europe. Ces unités pouvant ainsi recevoir deux sortes de missions, il pourrait arriver que les Américains demandent à leurs alliés d’augmenter leur contribution sur le front central.
Pour les Soviétiques, il ne semble pas qu’il y ait de modification profonde dans leur potentiel nucléaire stratégique en dehors de la mise en place des SS-20. Il est à remarquer la portée variable des SS-11 et SS-19 qui leur permet d’être utilisés aussi bien sur l’Europe que sur les États-Unis. Il est fait état de rumeurs concernant une profonde réorganisation du commandement des forces classiques qui seraient réparties en 3 « théâtres » (Ouest, Sud et Extrême-Orient), le théâtre Ouest étant lui-même subdivisé en 3 « théâtres d’opérations militaires » (TVD) et constituant la partie la plus forte et la plus moderne du dispositif soviétique. Il est également signalé qu’un changement de doctrine d’emploi des forces serait survenu par la création de Groupements de manœuvre opérationnelle (GMO). La défense aérienne s’appelle maintenant Voyska PVO et aurait pris sous son autorité une partie de l’aviation tactique dite « de front » et la DCA de l’Armée de terre. L’Armée de l’air serait elle-même profondément réorganisée en 5 armées dont 3 ont pris les fonctions tactiques et stratégiques dévolues jusqu’ici à la force aérienne à long rayon d’action. En pratique toutes les opérations aériennes seront coordonnées au PC de théâtre, les forces terrestres et aériennes, y compris la défense aérienne, étant, en temps de guerre, intégrées au niveau TVD.
En ce qui concerne les pays du Pacte de Varsovie, il semble intéressant de signaler les doutes que les Soviétiques nourrissent à l’égard de leurs alliés et qui leur font rechercher de nouvelles lignes de communication le long de la côte de la Baltique et à travers la Tchécoslovaquie. Pour l’Otan, c’est le problème des euromissiles qui tient la vedette, mais également les implications technologiques de la doctrine Rogers.
Les deux analyses qui sont une nouveauté par rapport aux années précédentes ont eu un certain retentissement dans la presse. La comparaison des démographies fait d’abord apparaître qu’en 1999, si les tendances actuelles persistent, 30 % du personnel militaire soviétique proviendra des populations d’Asie centrale. De plus toutes les sources sont d’accord pour dire que les potentiels humains des deux blocs sont en train de vieillir. La croissance en Europe centrale est nulle et, dans certains cas, il y a une régression qui, en ce qui concerne la République fédérale d’Allemagne (RFA), sera de 50 % en 1999. Pour compenser, déclare le Military Balance, la réserve de main-d’œuvre de l’Otan viendra de plus en plus des pays méditerranéens, et la plupart des nations seront obligées de recruter des femmes pour les échelons de soutien.
En ce qui concerne les problèmes économiques, le press release qui accompagne le document est beaucoup plus explicite que l’analyse qui figure en fin de l’ouvrage. Le premier paragraphe de ce press release est en effet intitulé : « Aucune preuve de course aux armements », et dans le cas des superpuissances, il est fait état d’améliorations plus qualitatives que quantitatives. Dans le Military Balance lui-même, on peut lire qu’en dépit d’une forte baisse des revenus et de coupes sombres dans les dépenses publiques de la plupart des pays, y compris les dépenses sociales, le total des dépenses militaires mondiales a continué à augmenter fortement. On s’aperçoit cependant que cette augmentation est due aux deux superpuissances, mais que les pays de l’Otan d’une part ceux du Pacte de Varsovie d’autre part ont des budgets militaires constants ou en légère diminution. Dans le Tiers-Monde, les dépenses militaires des pays du Moyen-Orient ont augmenté de plus de 35 % dans les 5 dernières années, et la tendance reste la même en raison du conflit Irak-Iran. On peut donc penser que l’on va vers de graves réductions dans les dépenses d’armements dans les années à venir mais que ces réductions ne se sont pas encore réellement produites. On peut considérer comme un signe des temps qu’un tel sujet soit étudié dans le Military Balance 1983-1984. ♦