Institutions internationales - La sécurité collective en Amérique centrale - L'impasse de l'Europe agricole - Le CoCom (Coordinating Committee for Multilateral Export Controls) et la Chine
Aggravée en septembre 1983 par la destruction, par un Su-15 soviétique, d’un Boeing sud-coréen (vol 007 Korean Air Lines New York–Séoul) au-dessus du Kamtchatka (après être entré dans un espace aérien soviétique interdit), la tension internationale a gravi un nouveau degré en octobre avec les menaces soviétiques contre le programme d’installation des euromissiles, puis avec les attentats qui, à Beyrouth, ont frappé les forces françaises et américaines, enfin avec l’intervention des États-Unis dans l’île de la Grenade.
Les problèmes régionaux ont été ainsi occultés par la tension Est-Ouest, qui comporte des données telles qu’elle ne paraît pas actuellement justiciable d’un règlement durable. Le monde n’est plus celui de la bipolarisation telle qu’on l’a connue dans les années 1950, mais les centres régionaux qui devaient lui substituer une multipolarité organisée ne sont pas parvenus à donner une forme politique et encore moins militaire à leurs aspirations, ceci étant surtout vrai pour le monde non communiste, car les liens entre Moscou et les capitales communistes restent ce qu’ils étaient. L’Institut du Pacifique vient par exemple de réaliser, pour le compte de la Fondation des études de défense nationale, une étude prospective des problèmes qui se posent dans cette zone (Éd. Berger-Levrault, collection « Stratégies ») : il conclut par 3 scénarios, qui comportent tous des facteurs d’incertitude rendant toute prévision aléatoire. Si rien ne permet de penser que le Japon se détachera de l’influence des États-Unis, tout raisonnement concernant la Chine aboutit à une interrogation. Aussi bien les années qui viennent paraissent-elles devoir être marquées par une instabilité génératrice de nouvelles tensions. Au centre de celles-ci, le problème allemand pourrait acquérir des dimensions nouvelles, car les mouvements « pacifistes », au-delà de leur aspect immédiatement politique, témoignent de la naissance d’un patriotisme qui aspire à la réunification, laquelle ne se concevrait que dans une distension des liens avec le monde atlantique. Mais ceci n’est pas une perspective très proche. Le mois d’octobre a été dominé par le drame libanais, dont on voit mal comment il pourrait trouver une solution, et par l’intervention des États-Unis à la Grenade.
La sécurité collective en Amérique centrale
Dans un discours à la nation américaine, le président Reagan a, le 26 octobre 1983, rendu Moscou responsable de toutes les difficultés qui dominent les relations internationales. Il a plus précisément expliqué le pourquoi de l’intervention à la Grenade : devancer un débarquement cubain imminent pour lequel d’importants stocks d’armes avaient été constitués. Sur le plan politique, sa décision ne peut guère susciter de contestations dans les milieux non communistes : il ne pouvait prendre le risque de voir se créer une situation comparable à la « crise des fusées » de l’automne 1962, provoquée par l’installation à Cuba de missiles soviétiques capables de frapper presque tout le territoire américain. Sur le plan juridique, cette intervention a soulevé des critiques. Pourtant, les États-Unis n’ont pas agi seuls : l’action a été menée par des forces américaines, mais aussi par des contingents de 6 pays des Caraïbes : Antigua, la Dominique, Sainte-Lucie, la Barbade, Saint-Vincent et la Jamaïque. Mais la disproportion des forces entre les États-Unis et leurs alliés était telle que l’intervention a été mise au compte exclusif de Washington. L’opération a été juridiquement justifiée par le Traité des Caraïbes orientales de 1981. Celui-ci prévoit des mécanismes de sécurité collective en cas d’agression extérieure. Y avait-il « agression extérieure ? » Le Traité a créé un « comité de défense et de sécurité » formé des ministres de la Défense des pays membres, qui a pour tâche de formuler des recommandations pour la « défense externe » et pour la « sécurité collective », contre des « agressions extérieures, y compris les agressions par des mercenaires avec ou sans appui intérieur ou d’éléments nationaux ». Ce Traité visait ainsi, à la fois, une agression extérieure et une entreprise de subversion, et les plusieurs centaines de soldats cubains capturés ont ainsi pu être considérés comme des mercenaires. Le gouvernement américain ne s’est référé ni au Traité de Rio de 1947, ni à l’Organisation des États américains (OEA). Dans le cas de l’OEA, il aurait fallu réunir les représentants de pays dont les uns sont des adversaires de Fidel Castro et dont les autres sont plus ou moins favorables au castrisme, et aucune décision n’aurait pu intervenir. Il en aurait été sensiblement de même pour le Traité de Rio, signé le 2 décembre 1947 par les États-Unis et les pays de l’Amérique latine (à l’exception du Nicaragua et de l’Équateur). Ce Traité établit une alliance de défense collective contre toute agression, d’où qu’elle vienne, et il constitue un exemple de « groupement régional » dans le cadre de l’article 51 de la Charte des Nations unies. Il servit de modèle pour la conception du Traité de Washington, le 4 avril 1949, qui créa l’Alliance atlantique. Ses instances n’ont pas été réunies, sans doute parce que, comme pour l’OEA, certains pays membres n’auraient pas considéré l’action cubaine à la Grenade comme une agression, ce qui, du fait de la règle de l’unanimité (conséquence du maintien de la souveraineté des États-membres), aurait empêché une intervention préventive jugée indispensable à Washington. Ceci montre les limites de la notion de sécurité collective : elle suppose un accord fondamental sur les principes politiques, ce qui n’est pas le cas en Amérique latine, où l’action de Fidel Castro n’est pas jugée de la même manière par tous les États-membres de l’OEA ou signataires du Traité de Rio. Le problème essentiel se pose ainsi moins en termes juridiques qu’en termes politiques.
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