Faits et dires
* Lors de leur assemblée plénière, les évêques français ont adopté, le 8 novembre 1983 à Lourdes, un texte intitulé « Gagner la paix ». Nous en retiendrons ces passages :
– La condamnation absolue de toute guerre ne met-elle pas les peuples pacifiques à la merci de ceux qu’anime une idéologie de domination ?… À la limite, la paix à tout prix conduit une nation à toutes sortes de capitulations. Un désarmement unilatéral peut même provoquer l’agressivité des voisins en nourrissant la tentation de saisir une proie trop facile… On ne peut donc refuser à chaque pays le droit à la légitime défense contre les menaces intérieures comme devant les périls intérieurs.
– C’est encore servir la paix que de décourager l’agresseur en le contraignant à un commencement de sagesse par une crainte appropriée. La menace n’est pas l’emploi. C’est la base de la dissuasion et on l’oublie souvent en attribuant à la menace la même qualification morale qu’à l’emploi… L’immoralité de l’usage rend-elle immorale la menace ? Ce n’est pas évident.
– Il est clair que le recours à la dissuasion nucléaire suppose, pour être moralement acceptable : qu’il s’agisse seulement de défense ; que l’on évite le surarmement, la dissuasion est atteinte à partir du moment où la menace formulée rend déraisonnable l’agression d’un tiers ; que toutes les précautions soient prises pour éviter une erreur ; que la nation qui prend le risque de la dissuasion nucléaire poursuive par ailleurs une politique constructive en faveur de la paix.
– La radicalité du nucléaire enlève désormais à quiconque la prétention de gagner une guerre nucléaire. La dissuasion apparaît comme une solution de détresse, éminemment provisoire. Il n’y a donc pas d’alternative pour nous : il faut gagner la paix.
* De son côté l’Assemblée générale du protestantisme qui s’est tenue à La Rochelle a adopté à une écrasante majorité (124 voix sur 148) une motion : « la lutte pour la paix ». En voici les 2 passages essentiels :
– Le maintien de la paix passe d’abord par le refus de se résigner à la bipolarisation du monde en 2 blocs antagonistes de l’Est et de l’Ouest, et de considérer l’une ou l’autre des idéologies en cause comme un mal absolu.
– On ne peut accepter de s’installer dans la dissuasion nucléaire. Nous demandons donc à notre pays d’avoir le courage de s’engager vers un gel nucléaire, comme premier pas de désescalade du surarmement, même unilatéral.
* La pièce maîtresse de la stratégie de dissuasion en France, c’est le chef de l’État, c’est moi : tout dépend de sa détermination.
Président François Mitterrand, le 16 novembre 1983 à la télévision
* Ce que je demande, c’est l’équilibre entre les forces. L’équilibre stratégique des fusées qui traversent l’Atlantique.
Président François Mitterrand, ibidem
* Pourquoi est-ce que l’Union soviétique cherche une supériorité alors qu’elle l’a déjà dans le domaine des armes conventionnelles et classiques en Europe ? Veut-elle une supériorité régionale indiscutable ? Pourquoi veut-elle séparer les États-Unis d’Amérique de l’Europe occidentale ? Interrogeons les Soviétiques. Moi, je dis : cela, c’est trop.
Président François Mitterrand, ibidem
* La France n’a pas de force intermédiaire. À la limite, il existe 18 fusées, celles du plateau d’Albion et qui, partant du sol français, pourraient atteindre le sol de l’Union soviétique. Nous ne sommes pas les adversaires de l’Union soviétique… Si nos missiles sous-marins étaient pris en compte dans la discussion des forces intermédiaires (ce qu’ils ne sont pas) on assisterait à ce spectacle étrange : 2 pays étrangers qui disposeraient de notre armement à nous alors qu’eux ne discutent pas de leurs sous-marins dans cette négociation.
Président François Mitterrand, ibidem
* Action extérieure : je ne peux pas signer, je m’y refuserai, la disparition de la France de la surface du globe, en dehors du pré carré.
Président François Mitterrand, ibidem
* Les 18 missiles du plateau d’Albion sont une partie indissociable de notre force nucléaire stratégique, tout comme les missiles embarqués sur les sous-marins. Les missiles S-3 sont des armes du sanctuaire, dans une stratégie qui n’est pas une stratégie antiforces mais une doctrine de dissuasion globale. La France croit à la dissuasion, à la prévention de la guerre et non pas à un conflit nucléaire qui se voudrait limité à une aire géographique ou à une catégorie de cibles militaires.
M. Charles Hernu, le 15 novembre 1983à l’Institut des hautes études de défense nationales (IHEDN)
* Certains esprits laissent parfois entendre que notre force (de dissuasion) devrait participer à une défense nucléaire européo-américaine. Cela n’est pas soutenable… L’autonomie du gouvernement est entière et nulle automaticité n’est attachée à l’engagement de la Force d’action rapide (FAR)… Elle peut intervenir en Europe. Dans cette perspective la FAR concrétise notre alliance dans l’Alliance avec la République fédérale d’Allemagne (RFA)… L’engagement de la FAR aurait donc une signification politique dissuasive.
M. Charles Hernu, le 3 novembre 1983 à l’Assemblée nationale
* À la suite de l’arrivée en Grande-Bretagne et en Allemagne fédérale des premiers euromissiles américains, l’URSS a quitté la salle des négociations de Genève. Dans un message lu en son nom à la télévision soviétique, M. Youri Andropov fit part des mesures de rétorsion suivantes :
– L’Union soviétique estime impossible sa participation ultérieure aux négociations de Genève.
– Le moratoire décrété en mars 1982 par Léonid Brejnev sur le déploiement des SS-20 dans la partie européenne de l’URSS est annulé.
– Moscou va accélérer la mise en place des missiles nucléaires tactiques en République démocratique allemande (RDA) et en Tchécoslovaquie.
– L’URSS va déployer des moyens appropriés dans les zones océaniques et maritimes pour parer à la menace que représentent les euromissiles.
Moscou, le 24 novembre 1983
* Je pense que les Soviétiques reviendront (à Genève) parce qu’ils doivent être conscients, aussi bien que nous, qu’il ne peut pas et ne doit pas y avoir de confrontation nucléaire entre les 2 seules nations qui ont vraiment une grande capacité de destruction nucléaire.
Ronald Reagan, le 24 novembre 1983