Sans vouloir faire de Berlin le foyer vers lequel convergent tous les rayons de la scène politique européenne, on doit convenir que l'ex-capitale du Reich joue le rôle d'une sorte de creuset où se fondent les efforts des anciens occupants pour tenter de mettre en pratique la détente au cœur de l'Europe. Dans cette optique, l'auteur, qui dirigeait jusqu'à la fin de cette année universitaire le Centre d’études juridiques français de l'Université de Sarre, analyse l'accord quadripartite sur Berlin de 1971 et les traités allemands avec l'Est, ratifiés par le Bundestag en 1972.
Les ambiguïtés des textes manifestent l'inachèvement de l'histoire et l'impossibilité aujourd'hui d'une décision définitive quant à la structure politique de l'Allemagne future : seule est exclue la réunification de l'Allemagne par la violence. À cet égard, la « visite historique » rendue au chancelier Brandt par M. Léonid Brejnev, les 18-22 mai 1973 à Bonn, a confirmé à la fois le spectaculaire dégel psychologique suscité par l'Ostpolitik occidentale… et le maintien des divergences de principe sur le devenir de l'Allemagne.
« Ce qui est vrai de cette ville l’est aussi de l’Europe », lançait John Kennedy dans le discours qu’il prononçait à l’Hôtel de Ville de Berlin-Schoeneberg, le 26 juin 1963. Par avance, le gouvernement soviétique avait acquiescé, dans sa note du 27 novembre 1958 : « La question de Berlin… touche profondément non seulement les intérêts nationaux du peuple allemand, mais aussi les intérêts de tous les peuples qui désirent établir en Europe les conditions d’une paix durable ».
De fait, Berlin, après avoir été le symbole de la victoire commune des Alliés, était devenu le reflet de leur division. En 1945, la capitale du IIIe Reich disparu — par ailleurs, siège du Conseil de contrôle qui, composé des quatre commandants en chef, avait pouvoir de décision sur les questions intéressant toute l’Allemagne — était divisée en quatre secteurs, mais une autorité interalliée de gouvernement, la Kommandatura subordonnée au Conseil de contrôle et composée des quatre commandants de secteur, assurait l’administration conjointe de la ville. Mais, dès 1948, l’impuissance frappait l’organisation quadripartite : au niveau allemand, l’absence d’unanimité au Conseil de contrôle laissait à chaque puissance une entière liberté dans le gouvernement de sa propre zone ; au niveau berlinois, la paralysie de la Kommandatura conduisait chacun des quatre commandants de la ville à administrer son propre secteur. Devenus rivaux, les vainqueurs allaient susciter de nouveaux pouvoirs publics allemands, édifiés à leur image. Les puissances occidentales autorisaient les Länder d’Allemagne de l’Ouest à se fédérer : le 8 mai 1949, l’Assemblée parlementaire, émanation des assemblées des onze Länder occidentaux, votait la loi fondamentale de la République fédérale, qui était approuvée par le Conseil de contrôle… tripartite. De même à Berlin — où un corps collégial d’administrateurs municipaux, le Magistrat, était élu depuis la mise en vigueur de la constitution provisoire du Grand Berlin, le 2 août 1946 — la rupture entre alliés se traduisait par la formation d’un second Magistrat à Berlin-Est le 30 novembre 1948, et par le remaniement du cadre constitutionnel des secteurs occidentaux. Le destin de la ville divisée prenait, dès lors, l’allure d’un enjeu fondamental à l’Est comme à l’Ouest. Pour l’Ouest, les secteurs occidentaux de Berlin devenaient un « bastion de la liberté », et comme la concrétisation de la volonté occidentale de défendre, en même temps que cette liberté, la vocation de l’Allemagne à être réunifiée dans un cadre libéral-occidental. À l’Est, le maintien d’une présence occidentale à Berlin était ressenti comme une remise en question permanente de la sphère d’influence soviétique et de l’édification d’une Allemagne socialiste : le flot de réfugiés est-allemands qui passait par Berlin entravait la consolidation interne de la République démocratique.
Pourtant, malgré les accès de tension politique, les occupants ne s’étaient jamais départis d’une grande prudence au plan juridique. La Conférence de Paris du 23 octobre 1954, si elle déclarait vouloir associer l’Allemagne, sur un pied d’égalité, au camp occidental, n’en ménageait pas moins les droits des trois puissances occidentales à Berlin : le maintien de l’occupation militaire à Berlin permettait de maintenir les droits de stationnement et de passage… et la présence modératrice des anciens tuteurs. La même préoccupation existait du côté oriental, puisque Berlin-Est conservait un statut juridique spécial dans le cadre juridique de la République démocratique. Au lendemain de la crise berlinoise des années 1958-1962, le rôle de Berlin comme enjeu politique dans les rapports Est-Ouest semble perdre de son acuité : les Occidentaux se montrent disposés à se fonder sur le « statu quo » et à réduire la signification symbolique de Berlin ; l’Union Soviétique et la République démocratique sont désormais convaincues de la volonté des Occidentaux de maintenir leur présence à Berlin-Ouest — laquelle ne constitue plus, depuis l’édification du Mur, une menace immédiate pour la stabilisation du régime oriental. Enjeu de la compétition entre l’Est et l’Ouest, Berlin devient ainsi progressivement le « test » d’une éventuelle collaboration des deux « camps » en vue de l’établissement d’un nouvel ordre européen. Dès l’époque de la « Grande Coalition », les premiers contacts sont pris, avec l’approbation du gouvernement fédéral, entre les trois Occidentaux et l’Union Soviétique. Mais un élan décisif ne sera imprimé aux conversations des Quatre que lorsqu’elles auront été « encastrées » dans l’ensemble de l’« Ostpolitik » occidentale. À cet égard sera particulièrement importante la double corrélation établie entre la solution du problème de Berlin et d’une part, la ratification du traité germano-soviétique du 12 août 1970 par la République fédérale, d’autre part la participation des puissances de l’OTAN à une conférence paneuropéenne sur la sécurité et la coopération.
Berlin, microcosme de l’Europe
Une acceptation nuancée des réalités
Une ambiguïté juridique fondamentale
De l’Ostpolitik de Bonn au dialogue paneuropéen
Les frontières orientales : un préalable au règlement européen
Les rapports inter-allemands : une préfiguration du « pari européen ».